COUP de GUEULE number, j’sais plus

Hervé Lénervé

Les jeunes savaient s’amuser avant.

Un matin, j'étais tranquillement en train d'écrire mes conneries, quand, à l'heure des fâcheux, le carillon sonna, mais je me gardais bien d'aller tirer la bobinette ou quoi d'autres que ce soit d'ailleurs, qui aurait pu laisser espérer un signe de vie dans mon repère-planque d'impasse de quartier pavillonnaire. Hier, déjà, des témoins de Jéhovah étaient venus tenter leurs chances à ma porte et j'avais eu la faiblesse, la curiosité peut-être, de montrer le bout de mon nez. Il n'en faut pas davantage à ces démiurges pour vous piquer une matinée entière à parlementer. Moi, pour leur interdire l'entrée, eux, pour la forcer. Vous connaissez cette mauvaise blague sur les témoins de quand Jéhovah-rien ne va plus ? Non ! Allez, on est entre nous, je vous la livre : les témoins jéhovanniens ressemblent à un appareil génital masculin, ils essaient par tous les moyens de rentrer partout, de percer votre intimité pour y implanter leurs spermatozoïdes de prosélytiques prophétiques, mettre un pied, ou autre chose, dans l'encoignure de la porte, mais les deux testicules restent toujours à l'extérieur. Bon, je vous avais prévenu, elle n'est pas fameuse !

Mais revenons à la journée qui nous préoccupe. Rasséréné par la croyance incrédule qu'ils n'oseraient jamais revenir le lendemain même, je risquais, par pure curiosité cette fois, un œil pour m'assurer que ce n'était pas ma belle voisine apeurée par la nuit qui vienne taper à mon huit, mais comme on n'était pas dans une chanson de Brassens, qu'il n'y faisait pas orage et qu'on n'était même pas la nuit, ce n'était pas elle, dommage ! De plus, la seule voisine qui me jouxte est une vieille pie, harpie, échevelée, livide aux milieux des tempêtes… Bon, bref, ça ne le faisait pas. Donc déçu, j'observais, à la place de mes fantasmes, un aréopage de jeunes habillés en années soixante-dix se tenant derrière mon portail. «  Que me veulent-ils tous ces zèbres échappés de Woodstock ? » Encore cette putain de curiosité, qui nous en fait faire bien des bêtises, ma pauvre dame !

-         Bonjour ! Jeunes-gens, que me vaut le désagrément ? Lançais-je mondain.

-         Cool mec ! Ne mords pas.

Me répondit le plus blond, le plus frisé, le plus à se méfier. On n'est jamais blond comme les blés, frisé comme un mouton et souriant comme un croissant chaud, pour rien, sans avoir beaucoup à se faire pardonner.

-         Oui ?

-         Nous sommes à la recherche d'un lieu sympa pour organiser une petite assemblée.

-         C'est bien, les gars, mais je ne peux rien faire pour vous. Vous voyez bien, l'endroit est calme et peuplé de petits vieux qui n'aspirent plus qu'à une chose, qu'il reste aussi tranquille que vous l'avez trouvé en y venant.

-         Ne t'inquiète pas mec ! Regarde on n'a que des guitares sèches.

Personnellement, j'ignorais qu'il en existât de mouillées, mais bref, passons. L'effronté continua sur sa lancée.

-         Cela mettra de la joie dans une ambiance bonne enfant et ainsi on resserrera les liens affectifs du quartier.

-         Mais nous ne sommes pas de vieilles godasses à lacer et nous nous entendons très bien comme cela.

-         Evidemment, non ! Mon pote ! Nous venons juste vous amener un surplus de gaité.

-         Je n'ai rien contre la valeur ajoutée à l'ennuie, les gars, mais vous voyez bien que c'est trop petit, ici.

-         Pas du tout, mec, regarde on n'est pas gros et si on pousse un peu les nains de jardin, il nous en reste assez pour allumer notre feu de camp.

Pourquoi, n'ai-je pas profité de cette rime pour leur dire de fiche le camp sur-le-champ en amenant leur feu de joie, joisse ou pas. Parce que je suis poli, peut-être ? Con, sûrement !

Le fait est, ou fut, qu'une heure plus tard mon terrain minuscule était ou fut… foutu. Fleurs piétinées, herbes en migration vers d'autres horizons. J'étais envahi par une cohorte d'hurluberlues venus d'on ne sait où, mais certainement pas de notre planète, car elle n'aurait su en compter autant au dernier recensement. Les guitares, soit dites acoustiques, s'étaient métamorphosées en hurleuses électriques. Des amplis empilés à n'en plus finir squattaient tout l'espace respirable en dépassant le ciel pour y cacher le soleil. Des câbles partout comme du lierre-serpent en reptation sur le gazon. Une estrade grande comme le parvis de la Défense défiait les lois de la logique dimensionnelle. Des tentes de toutes les couleurs avaient essaimées un peu partout dans une ordonnance qui devait être celle qui nous laisserait presque appréhender le concept du chaos isentropique. Dans la rue étroite qui mène à ma solitude, des vans d'un autre temps, style combi à la maladie contagieuse aux pois roses et aux fleurs naïves, se partageaient la moindre parcelle d'asphalte encore disponible.

Puis sans la décence d'attendre la nuit de la saint glinglin, la musique, si musique était, lança un cri… un cri, qu'il n'y a pas de quoi en rire… un cri de peur… un cri d'effroi,  un cri de survie et moi qui suis sourd comme un pot, me retrouva avec mon pot brisé en mille et un morceaux. Les notes, si notes étaient, flottaient dans les airs, les sons et bruits il y avait, une fois sortis des amplis étaient libres de toutes contraintes, le vent les portait, les modulait, les distordait, les saturait, les étripait à son seul génie d'improvisation, la cacophonie aléatoire des inspirés de conservatoires. Il en changeait les intonations et surtout les intentions, en changeait les mélodies en les castrant de toute harmonie.

Mes circonvoisins crurent tant à la fin du Monde qu'ils n'appelèrent ni pompier, ni flic, ni armée qu'auraient-ils bien pu faire contre la fin du Monde, l'arroser, l'interpeler, la tuer ? Mes voisins restèrent donc, planqués sous leurs lits, sous leurs tables, sous leurs femmes, pour ceux, qui en avaient encore une, pour les protéger. Le quartier était sinistré et les infos devaient déjà relayer la nouvelle aux quatre coins de notre Terre sphérique.  Les régies des chaînes télévisées de tous pays étendaient leur empire sur une petite ville dévastée. En plus de mes soixante-huitards attardés, des badauds, des chalands, des parasites du sensationnel grossissaient le flux ininterrompu. Nous étions à la limite de la saturation, de l'implosion. Sous le poids de ces tribus, il me sembla que le sol s'affaissa de trois mètres au-dessous du niveau de la mer, en-dessous du niveau de toute raison. Le bon sens n'avait plus sa place, seul restait le bon… le bon moment, le bon endroit pour faire une fête du Diable, une rave électronique à coups d'accordéons, de harpes, de vielles et de vieilles casseroles. Les jeunes riaient, chantaient, s'aimaient. Ils ne voulaient plus refaire le Monde, ils tentaient juste de s'amuser encore un peu dessus, tant que ce dernier pouvait encore les supporter. Toute la nuit, la musique régna, toute la nuit le rêve se poursuivit jusqu'à l'extase d'existence. C'est à ce point précis du récit que j'émergeais en me réveillant en sursaut dans mes draps trempés de sueur, dans ma peau moite de peur. J'ouvrais mes oreilles. Silence… un  oiseau au loin, une voiture encore bien plus loin, puis plus rien… le vide… l'immobilité de tout mouvement… l'arrêt du temps… le néant.

Allez, mon gars, tu as rêvé, on ne va pas en faire un plat. Je me levais, on finit tous par le faire, un jour ou l'autre. J'allais à une de mes fenêtres pour vérifier qu'il n'y avait rien à vérifier. J'ouvrais les volets…

Et,  Ô joie ! Ô allégresse vertes ! Ô hosanna mes aïeux ! je n'en croyais pas mes yeux ! Pas de détritus, d'immondices jonchant mes plates-bandes, tout était en ordre, tout comme avant. Un ciel plus sombre que la suie, des poussières d'étoiles, plus noires que nos âmes, tombant sur nos têtes déchevelées, chauves, quoi ! Une herbe jaune rachitique asphyxiée par manque de photons. Des façades grisâtres de maisons ravalées à la pollution. Des arbres sans feuille, été comme hivers. Enfin toute notre belle Nature.

Ouf ! Tout ceci, n'était qu'un mauvais rêve de ceux que l'on appelle cauchemars. La fin n'était donc pas encore pour demain ? Bisous à tous, à tout le monde ! Notre Monde est beau et je vous aime! Il va falloir que j'arrête de me faire des peurs pareilles, moi ! Je chausse mon scaphandre et je vais acheter un bon morceau de… de quoi déjà… putain de mémoire, je ne me rappelle plus le nom de ce que l'on mangeait quand on mangeait encore… quand on vivait encore. C'est pas joli, joli de vieillir.

  • c'était un champs privé , qui a amené au voisinage autant de surprise que dans le rêve d'Hervé ,en fait j'adore le film qui en a été fait , il m'amene de la bonne humeur (evidemment au matin gueule de bois assuré ) il est devenu force et contraint pour l'organisateur une oeuvre de bienfaisance !

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Photo0250

    ciel-d-ete

    • Ce n’est pas de tout repos de faire œuvre de bienveillance. Merci de ton commentaire.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Woodstock n'a pas eu lieu dans un jardin privé et n’était pas de surcroit une œuvre de bienfaisance. Cela dit, l'évènement en son temps m'avait bien fait rêver aussi, mais c’était avant. Avant les réseaux "sociaux" et toutes les conneries qu'ils peuvent engendrer. Je confirme, c'est pénible de vieillir, ... mais c'est ainsi et ça va plus vite que l'on ne l'imagine :o)

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • rêver de se refaire le coup de woostock dans son jardin en banlieue , ah oui les années sont passées

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Photo0250

    ciel-d-ete

    • Certes ! Les années sont passées, mais où ? Où, ont-elles pu bien passer, celle-là ??? Sincèrement, j’sais pas ! Merci !

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

Signaler ce texte