coup de vent
jeanro
Mais le vent faisait barrage. Il les poussait, les bousculait, brûlait les joues, tirait les cheveux, hurlait dans les oreilles. Il distribuait généreusement gifles et baffes à ces petits trop pressés d’accéder à leur rêve. Des gamins en manque d’histoires, se croyant dans un livre d’images avec donjons, remparts, beaux chevaliers et nobles dames.
Comme ils se trompaient !
Le nez baissé, la tête dans le capuchon, ils gravissaient avec peine les marches creusées au fil des ans, par mille autres pas.
Mais le vent s’entêtait. Depuis longtemps, sa main cruelle tenait un couteau à désosser. Depuis des siècles, il n’y avait déjà plus du tout de chair à Quéribus. Il ne restait plus qu’un squelette de murailles blanches à Peyrepertuse. Tout avait été décapé. Les forteresses étaient maintenant vides.
Mais la procession des petits s’obstinait et voulait accéder. Ils ne savaient pas . Par les brèches et à la poterne la tramontane avait continué à gueuler. Elle avait cherché à leur faire peur, elle les avait cloués sur place, complètement sonnés, accrochés à la rampe de cordage, leurs yeux grands ouverts tournés vers le ciel, les cheveux dressés sur la tête. Le vent les avait bouleversés et leur âme avait commencé à chanceler. Sous eux, à l’a pic, le vide les aspirait. Les lointains étaient barrés par la silhouette menaçante du Canigou et par le trait d’acier de la mer.
Dans la grande plaine quelques champs de vigne tentaient de rassurer.
Mais Le vent était sans pitié. Il était comme le temps, violent, désinvolte, indifférent, fugueur. Il passait et s’en moquait bien. Tous ne se risquèrent pas au plus haut. Des rafales de fin du monde y menaient un boucan d’enfer. Un petit groupe se tassa au pied des marches paralysé de peur. Les autres se courbèrent et se tenant aux cordes ils se hissèrent jusqu’à la barbacane. De l’autre côté à l’abri de l’épaisse muraille, le calme revenu les surprit.
Mais le vent avait eu raison de leurs rêves. La forteresse était vide et creuse. Ils cheminèrent dans l’absence des ruelles désertes. La chapelle n’avait plus de toit. La citerne n’avait plus d’eau. N'y avait-t-il jamais eu ici des fêtes ou un peu de douceur Des enfants avaient-t-ils joué sur ces terrasses ? Des pères avaient-t-ils appris à leurs fils à tirer à l’arc ? Des dames en robe de velours rouge avaient-t-elles tiré l’aiguille à leur ouvrage de tapisserie, dans un rayon de soleil, à un coin de fenêtre ? Y avait-t-il seulement eu du feu dans des cheminées ? Des chandelles ? Des tapis de laine ? De la belle vaisselle ?
Le vent avait tout emporté. Il leur désigna sèchement la sortie et comme un fou il les poussa brutalement dans le dos, les renvoyant sans ménagement à leurs automobiles et à leurs téléphones portables.
c'est drôle, j'ai pensé à Queribus dès les premières lignes sans avoir "calculer" la photo ; un "paradis" m'attend où je peux contempler à loisir (de mon ponton) la silhouette intemporelle de Queribus
· Il y a presque 10 ans ·Sophie Marchand