Coupable

amaende

Fille !

Fille. Je suis une fille. Je le resterais. Et pourtant un jour je suis devenue femme. A ce qu'il paraît...

A cet instant. Ou du moins juste après, j'aurais aimé trouver quelqu'un derrière cette porte. Porte imaginaire, mais pourtant bien réelle quelque part... Une personne avec un bouquet de fleur, ou un truc comme ça... Comme une amie ou même une inconnue qui t'intronise ou t'accueille dans la confrérie... C'est quoi le féminin de confrérie : "consœurerie" ou "conciergerie" ?!

Salope !

Je n'ai vu que les regards des gens culpabilisant, juger mon âme. Je suis rentrée dans cet immeuble, dans cet appart. J'en suis sortie, et ça se voyait que j'y avais "laissé" quelque chose. Oublié ? Perdu ? Oui "perdu" !

Les passants, cette vielle au balcon arrosée d'encore d'un peu de vie par l'entretient de ses plantes, ce scoot moins bruyant et rapide que d'habitude, même ce mioche dans la poussette le savait et me jugeait. Tous me jugeaient du doigt inquisiteur.

Trainée !

Impossible qu'ils puissent le savoir ! Me concentrer sur ma démarche. Mon pas, comme d'habitude. L'insouciance dans la ballerine gauche, et la légerté dans l'autre pied. Mon jean large doit tout cacher, non ? Et comment je fais pour ma propre odeur ? La sienne aussi ? ...dans mon cou. En moi aussi. ...surement... Je ferais donc tout le trajet à pied. J'en suis déjà lasse et fatiguée. J'aimerais un bon chocolat chaud. Mais à la maison. Un bain aussi. Une douche, plus surement. Mais bien chaude. C'est moi qui sent comme ça ? Mais je ne sens pas « moi ». Je ne me sens plus « moi ». Et pourtant...

Sale Pute !

Pourtant c'est fait maintenant. Et je ne peux plus faire marche arrière. C'est clair. Je ne pourrais plus le refaire. Enfin si ! Et je l'espère bien. Mais pour cette première fois, c'est fait. Ça devait être une sorte de libération. Ça devrait être... Rien. Y'a rien. On donne et on prends. On lâche aussi l'affaire, on perd parfois pied. Son temps aussi, des fois. On peux décoller complet. Dormir aussi, après. Donner du plaisir et se faire plaisir. En voler aussi, à cette égoïste de vie, je veux dire. Je le sais maintenant. Mais là...

Gourgandine !

Et du rêve d'un poids enlevé, d'une formalité d'un mythe surfait, d'un truc qui devrait toujours être pur et léger, je me sens lourde. Plus pesante que lorsque j'ai traversé ce passage piéton y'a pas une heure pour rejoindre Susaki.

Chienne !

Pourquoi ? Mes parents ? Tout aussi cools que cons, ça fait une paye que je ne suis plus sous leur giron. Ils ne sont pas dupes non plus. Frère et sœur ? Lui, sera toujours quelque part, un refoulé. Elle, reste superficielle, que je me demande si vraiment, elle est bien ma sœur.

Et si j'avais été adoptée sans que personne ne le dise ? Échangée à la maternité ?

Putain !

Alors c'est la société ? Avec l'image de la femme qu'on nous donne, c'est pas de la littérature qu'il faudrait faire. Des bombes ! Et pas des sexuelles ! Et oui, que c'est "elle" ! Nous !!! Faut être objet, blonde, mère, intelligente mais moins qu'eux, indépendante mais dépendante d'un lui, désirable, disponible qu'à un seul mais surtout pas à tous, et pourtant asservie à l'ensemble d'eux, habillée ni trop ni pas assez, ultra-monogame et hyper-hétéro-normée, etc... Le truc inique et sempiternelle, sans aucune moyenne ou neutralité possible. Le truc impossible sur le papier !

Vaurienne !

J'imagine que c'est pareil pour nos frères de larmes, à qui la société demande « d'assurer ».

Don Juan !

Je pense à toi Susaki. Tu as voulu encore me retenir. Tu voulais aussi me raccompagner. J'ai insisté. J'ai toujours insisté. Dans ton pays de tes grands parents, on ne sait pas dire non, il paraît. C'est toi qui me l'as dit, en fait.

J'en ai profité.

De toi aussi.

De Toi, j'avais envie simplement.

Toi - Moi. ....et le reste du monde sur le seuil du porche de ton immeuble. Sur celui de ta porte, ma culpabilité.

J'ai eu un plein d'émotion ET une vague de plaisir ! C'est très prometteur. Et Susaki est une promesse à lui tout seul. J'ai aussi des sentiments. Beaucoup en fait, et rien que pour lui. Faudrait que j'arrive à lui dire. Me le dire aussi.

Mais ça, ça peut attendre. Demain : kiné, et je prends rendez-vous au gynéco, je retrouve Susaki à 14 sur la ligne 12 pour nos premiers 5 à 7 rien qu'à 2. Toute une nouvelle organisation. Faut que j'arrête de calculer.

Je suis une fille et une femme somme toute.

Nat.

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