Courrier du coeur
bleuelectrique
Je me sens comme un pigeon voyageur.
Prisonnier de vos attentes, je me trimballe de ville en ville, de maison en maison, et je transporte le poids de vos pensées, de vos sentiments, de vos désirs. Je vide un peu mon sac autour d'un bol d'eau fraîche, je distribue le courrier et repose mes ailes fatiguées dans votre herbe verte, verte mais pas plus que celle du voisin.
Le message est passé, mais ne passe pas et votre gueule grande ouverte avale mon petit corps frêle avant de recracher deux trois plumes tâchées de votre égoïsme. Je suis lasse, je traîne des pattes.
Je repars, je bas de l'aile, votre colis pèse lourd sur mon dos. Il y a des barbelés autour du carton, mais il est bien ouvert et se déverse à moitié sur mon bec. Je prends vos coups et vos morsures, je tiens bon car j'ai trop peur d'échouer dans mon envol.
Plus encore que l'atterrissage, c'est votre regard empreint de déception qui me terrifie. Je l'ai aperçu l'autre jour, alors que vous me donniez quelques graines à picorer. Entre l'hypocrisie et la douleur, il était là. Le reproche. Minuscule, léger, presque liquide. Je l'ai laissé se fondre en moi, je vous ai laissé me convaincre que j'étais un vulgaire oiseau, transporteur de marchandises empoisonnées.
A la manière du facteur, j'ai quitté vos lieux avec un sourire trop grand pour être vrai. A la semaine prochaine, madame, monsieur. J'attends déjà avec impatience nos futurs débats, que dis-je, votre prochain monologue dans lequel je n'ai que la place de l'oreille attentive et de la tête qui hoche pour approuver vos états d'âme. Quelle joie ! J'apporterai le courrier, bien sûr. Laissez-moi le temps de me faire frapper à la porte d'à côté.
Toc toc : bonjour, j'ai un message pour vous.
Et me voilà de nouveau enfermé dans la cage de vos non-dits, à raturer des feuilles et des feuilles avec mes griffes abîmées.