CP

La Louve Et Le Sphinx

J'ai un souvenir plus ému de mon entrée en CP que de mon dépucelage. Dans les deux cas, j'entrais pourtant dans la cour des grands. La différence majeure est que, à moins qu'Alzheimer n'entame son travail de sape, je serais en mesure, bien après que ma libido ne soit plus qu'un lointain souvenir, de continuer de lire et d'écrire.

Bien sûr, avec les années, mes souvenirs sont altérés, mes sensations sont passées au crible de tant d'événements. Il y a donc sans doute une grande part de subjectivité dans ma mémoire qui a tendance à fantasmer un paradis perdu qui n'a jamais été.

Il n'empêche. Des éléments factuels persistent. Ce qui est absolument extraordinaire, c'est alors que j'écris, ce sont les souvenirs olfactifs qui me reviennent. Je laissais de côté la pâte à modeler pour la colle Cléopâtre. Son odeur d'amande me fait saliver rien qu'à y penser.

Les lettres n'étaient pas tout à fait des hiéroglyphes. J'avais entamé leurs décryptages en grande section de l'école maternelle. Je savais déjà écrire mon prénom et j'en étais fier. Il était bien plus compliqué à écrire que mon homozygote Benoît ou que mon camarade Etienne.

Une étape majeure allait cependant être franchie et elle était de taille. D'un besogneux travail pour déchiffrer les syllabes,  j'allais entrer dans l'ère de l'évasion par les mots. Sans cette découverte qui me permit par la suite de m'enfermer dans mon propre monde, que serais-je devenu ?

Dans un premier temps, il fallut faire ses gammes. Mon institutrice, dont je n'ai gardé qu'un très vague souvenir, avait conservé ses réflexes d'avant mai 68. Il était donc impératif de veiller à ce que les lettres ne dépassent pas d'un iota les petites lignes telles qu'elles avaient été définies. Moi j'adorais m'entraîner aux majuscules. Encore aujourd'hui, bien que cela devienne rarissime puisque j'écris essentiellement par le biais de l'ordinateur, c'est toujours l'image d'un moine copiste dans son scriptorium qui me vient en tête.

Pour la lecture, le déniaisement se fit par Valérie et son frère Daniel. Pour l'anglais, ce fut Imagine your english et pour l'allemand Wir lernen deutsch par le biais de Rolf und Gisela. Là encore, des flashs m'assaillent qui, telles des guerriers kenyans, viennent de leur lance piquer ma nostalgie. Bien que les images qui accompagnaient les textes ne fussent pas d'Épinal, j'étais plongé dans un idéal où tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. J'étais alors enveloppé de toute la candeur de l'enfance et j'étais encore bien trop jeune pour découvrir Aldous Huxley.

Je suis à ce jour incapable de me remémorer avec certitude du premier livre que je lus en autonomie complète. J'ai toutefois des souvenirs très marqués pour deux ouvrages. Le premier existe, aucun doute là-dessus. Il s'agit de Tistou les pouces verts de Maurice Druon. Pour le second, j'ai en tête Jeudi 32 mais je n'en ai retrouvé aucune trace. Je me souviens du héros qui pousse la cloison à l'arrière de son armoire pour se perdre dans un jardin fantastique. Pour ce que je considère comme le premier roman, ce fut Les derniers jours de Pompéi.

De manière plus générale, je me rappelle que j'étais également un peu une bête curieuse. Enfin, nous étions. J'étais avec mon jumeau Benoît que j'allais encore me traîner durant trois lustres, hormis un interrègne entre la cinquième et la troisième. Je ne connaissais pas encore le docteur Mengele bien que nous fumes l'objet d'expérimentations. Par exemple, nous devînmes des cobayes quand, pour apprendre à différencier la droite de la gauche, nous servîmes de miroir.

Enfin, bien que ma culture musicale se soit peu développée dans le domaine du classique, je revois encore le pianiste aveugle qui m'initia à Pierre et le loup, à l'époque où je n'étais encore qu'une oie blanche. Bien avant que les requins ne viennent scier la branche de l'innocence où j'étais assis.

PetiSaintLeu

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