Crash

Laurent Doudiès

Scène d'introduction... Histoire de rentrer dans le vif du sujet.

Ne me demandez pas comment on en est arrivé là, je n'en sais rien moi non plus. Tout se passait bien. Un vol de compression sans surprise et sans désagrément. Excepté la nausée habituelle, bien-sûr. Non, vraiment pépère.

Jusqu'à ce que tout parte en couille. Il faut bien se rappeler que dans le tunnel noir le pilote, c'est à dire moi, n'a rien à faire qu'à attendre que ça passe. Dans les vols de gros porteurs c'est même encore plus velours, puisque le pilote dort et est réveillé quelques secondes avant la sortie. Dans mon cas, je reste éveillé. Les navettes de type Calderon-Vega sont trop petites pour être équipés de caissons de sommeil. Les autres membres d'équipage sont harnachés sur leurs fauteuils et, masque respiratoire à l'appui, sont sédatés dans le compartiment passager à l'arrière. Et croyez-moi, il vaut mieux.

Le vol de compression éveillé c'est comme nager en plein rêve, shooté à un mauvais mélange de champignons, et subir la redescente dans le même temps. Non recommandé aux estomacs sensibles. Après c'est comme tout le reste, on s'habitue.

J'aurais dû être alerté par une série de petits bips de la fin du tunnel. Là, j'avais été sorti de mon trip par l'alarme de proximité stridente et l'arrêt brutal des modules noirs.
« Vous êtes sorti inopinément du vol de compression.

Sans blague !

Ce que c'est con un navordinateur. Si c'est pour sortir des évidences comme ça c'est pas la peine. Je sais bien qu'on est pas censé sortir d'un tunnel comme ça. C'est un peu comme si on vous faisait passer à travers un mur de briques. Ou plutôt par les joints entre les briques. J'ai pas entendu, mais j'ai senti mes côtes hurler alors que le harnais m'empêchait d'aller m'écraser comme une crêpe sur le tableau de bord. J'ai aperçu un joli cercle bleu, avec des petites touches de vert et blanc. Et merde !

— Dommages structurels importants. Collision imminente. Établissement des protocoles d'urgence...

On aurait dû passer au travers. Bon, c'est un peu complexe et moi-même je suis pas certain de pouvoir clairement vous expliquer ça, mais le tunnel noir c'est un peu comme si tu annulais la courbure de l'espace. Tu vas tout droit. C'est quantique il paraît. Ben là, la planète elle était devant nous. Et elle se rapprochait drôlement vite. Je voulais bouger mes mains mais il y avait un colosse invisible qui me maintenait fermement plaqué sur mon fauteuil. J'avais l'impression que mes yeux avaient doublés et qu'ils ne demandaient qu'à sortir de leur orbite. Ma tête battait plus fort qu'un régiment au pas. Pourtant fallait bien que j'arrive à bouger, sinon adieu Jim. On est jamais prêt à mourir. On sait que ça nous arrivera, tôt ou tard, et on préfère tous tard. Mais pas là, bordel ! Pas déjà.

La deuxième secousse fut tout aussi brutale. Entrée dans l'atmosphère. Là en plus du mur, vous avez la chaleur. J'ai bougé ma main, mon épaule et moi on a hurlé quand elle s'est déboitée, mais j'ai réussi à enclencher les boucliers. Ça va pas nous sauver, mais ça peut me donner quelques minutes. Mon crâne cessa de bouillir. Je voyais toujours tout en rouge, mais c'était déjà une première victoire.

Le tableau devant moi passa de l'orange feu, au blanc laiteux et les tremblements secouaient la navette comme un panier à salade. Carbon-Vega, c'est un peu cher mais là je regrettais pas que le boss ait pas trop lésiné sur la qualité. Un coucou un peu moins blindé ce serait déjà vaporisé et moi avec. Mon épaule me faisait un mal de chien, mais ce n'était rien en comparaison de ma poitrine. Le colosse invisible avait élu domicile sur mes poumons et ce con de brutus pesait une tonne.

— Capitaine, activez les protocoles d'urgence.

Bordel ! Je deviens vite grossier quand ça part en cacahuète. Et là, croyez-moi, on flirtait gravement avec les records du monde du plantage en beauté. Il suffisait juste que j'arrive à activer les rétrofusées. Et accessoirement que je mette mon casque. Même si à ce stade je doute qu'il sauve quoique ce soit.

Le blanc laiteux venait de s'envoler en filandres cotonneuses et tout devint bleu. C'est toujours pareil avec les planètes telluriques. Elles sont recouvertes à plus de soixante-dix pourcent de flotte. Le problème avec l'eau à haute vitesse c'est que tu t'écrases dessus comme sur une plaque de béton. Au mieux tu rebondis.

Le rouge commençait à virer au noir. Punaise, c'est trop con. J'arrivais plus à respirer. Et l'autre qui continuait avec sa voix d'hôtesse d'accueil.

— Capitaine, activez les protocoles d'urgence.

— Activation… protocoles d'urgence.

— Capitaine. Confirmez.

Putain ! Qui a programmé ça ?

— Confirmation… Jim Algorn, 77739. »

J'ai pas entendu sa réponse. Le bleu est devenu noir et j'ai perdu connaissance. C'est sans doute mieux. Avec la perte de conscience, disparait la douleur et la peur ou toute forme d'émotion. En réalité c'est plus comme si on vous mettait en pause avec un effet amplificateur, vous savez quand vous fermez la porte devant une foule qui s'empile derrière et que vous la ré-ouvrez d'un coup. Pareil avec vos émotions et la douleur.

  • Palpitant et bien documenté. On s'y croirait. J'hésite un peu pour la fin car je suis un peu guimauve. Disons qu'ils s'en sont sortis et que l'aventure commence.

    · Il y a plus de 2 ans ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

    • Merci, j’ai tendance moi aussi à être assez happy ending. Effectivement l’aventure commence;)

      · Il y a plus de 2 ans ·
      Bibi corse 2010

      Laurent Doudiès

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