Critique de "La Vie d'Adèle"

robert-de-saint-loup

Critique de la Palme d'Or 2013, "La Vie d'Adèle" de Abdellatif Kechiche

Adbellatif Kechiche a quitté la banlieue parisienne pour Lille, et ce changement d'atmosphère a été bénéfique à sa créativité. Ceux qui, comme moi, avaient été déçus et agacés par ses premiers films devraient tout de même donner une chance au dernier. On retrouve bien les constantes du réalisateur (Marivaux, le parler "jeune", les cours de lycée filmés...), mais elles ont atteint une maturité et une maîtrise remarquables dans La Vie d'Adèle (chapitres 1 & 2).

            Ce portrait d'une jeune femme, depuis sa Première L jusqu'à ses premières années comme institutrice brille par sa justesse et son intérêt. Il commence comme ces innombrables films sur les premiers émois adolescents homosexuels (Fucking Amal, My Summer of Love, Naissance des Pieuvres...) et reprend leur schéma : une jeune fille qui se cherche (Adèle) rencontre une jeune femme qui assume son homosexualité (Emma) - mais il va plus loin qu'eux. Le film ne débouche pas immédiatement sur la rencontre amoureuse et ne se termine pas quand le personnage principal décide de vivre sa sexualité. Il décrit d'abord longuement Adèle, sa famille, sa classe et sa brève aventure avec un garçon, puis continue au-delà de la rencontre avec Emma pour montrer cette passion vécue pendant plusieurs années et sa fin.

            La beauté d'Adèle (Adèle Exarchopoulos), "nature" et imposante à la fois, illumine le film. Au cours des trois heures, le spectateur parvient à une familiarité rarement atteinte au cinéma avec ce visage, ses légers défauts et ses perfections. Au début, Kechiche s'attache à montrer Adèle manger goulûment et dormir profondément, pour rappeler qu'elle est une lycéenne, mais Emma (Léa Seydoux) et le spectateur bravent rapidement cet interdit pour se laisser aller à l'admiration.

            Le film évite de s'appesantir sur l'aspect social de l'homosexualité (approbation de certains, incompréhension ou mépris haineux des autres) et ne se réduit pas non plus à une romance érotique (les scènes de sexe sont d'ailleurs un peu trop appuyées et parfois presque cocasses).       Plus encore que la Palme d'Or, la raison d'aller voir La Vie d'Adèle, c'est l'opportunité de voir cette fresque sur une jeune femme, hommage à La Vie de Marianne de Marivaux, roman exploité dans le film, qui réussit à nous projeter effectivement dans la vie d'Adèle, expérience enrichissante dont on sort profondément diverti et à laquelle on repense par la suite. Kechiche a réalisé - et c'est assez rare - une vraie œuvre cinématographique.

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