Critiques

leeman

Plusieurs idées qui s'entrechoquent.

"Pourquoi écrire ?" lisais-je en haut de la première page ; cela semblait être un titre, ma foi fort intriguant, allait-ce être une remise en cause de la littérature moderne, de la liberté d'expression ? Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. J'éteignais ma lumière, vieille de plusieurs années, et je rangeais mes lunettes.
Je me levais de mon bureau pour m'avancer vers la fenêtre, là ou la foule parisienne clamait sa fureur. Et je prenais ce journal inconnu trouvé dans un caniveau, la veille au soir. Ce titre m'avait donné l'eau à la bouche ; j'ai sorti mes lunettes, à nouveau, et je lisais, à voix haute :

"Je trouvais ça pathétique, tous ces gens, leur colère n'apaisait rien, et pour autant, ils n'ont trouvé la foi d'hurler que dans un seul fait récent. Je blâme ceux qui affirment leur mécontentement seulement après. Nous avons fait de cet événement toute une montagne, et aujourd'hui, un mois plus tard, plus que des poussières. Que vous êtes hypocrites ; vôtre mémoire n'est que sélective, vous ne vous révoltez que contre ce qui se déroule en nôtre pays. Et je suis conscient qu'il est horrible d'attribuer un degré d'atrocité à des faits passés, mais le monde en est rempli, et rien ne pourra basculer le temps, il est le seul à ne point cesser de couler, tandis que vos cris et votre colère semblent rappeler le silence. Vous n'avez point à me haïr, à me juger, car je ne vous hais point, et je ne vous juge point. Prenez conscience de ce que peut ressentir l'autre, avant de prendre conscience de vous-mêmes, ne soyez pas égoïstes. La familiarité de tous ces élans de colère ne fut point discutable : elle était présente. Vos débats sont fatiguant, ils épuisent. Vous osez tous -j'entends ceux qui furent concernés par l'acte- écrire ou proclamer à haute voix que toute la France s'est accablée. Vous vous trompez, et ne généralisez plus. Beaucoup de personnes sont indifférentes, et ne se voient guère concernées de ce qui s'est passé. Alors, vous trouverez que nous sommes ignobles de dire et de penser ça ; mais n'est-ce pas ignoble de s'intéresser à la mort lorsqu'elle vous concerne seulement ? Que faites-vous des gens à l'autre bout du monde, torturés, violés ? Vos débats sont dérisoires, et vous devriez tous vous remettre en cause ; beaucoup osent parler, beaucoup osent affirmer telle ou telle chose par rapport à la religion musulmane, mais ces gens sont probablement aveuglés par les préjugés, et leur opinion devient nulle, car vous pensez tous la même chose : avez-déjà vous pensé par vous-même ? alors, me direz-vous, ce que vous tentez d'affirmer n'est pas l'acte, mais la symbolique et l'importance de la liberté d'expression. Sur ce point, il n'y a aucun souci, la liberté d'expression est propre à tous, et nous avons tous le droit d'en faire ce que nous voulons (cf les caricatures satiriques de Cabu et autres), mais comprenez-vous leurs risques ? Depuis de nombreuses années ils subissaient moult pressions ; par ailleurs, vos débats ne portent en rien sur les dessinateurs, si vous regardez précisément ce que vous échangez en tant que pensées, la majorité des sujets portent sur la religion, la branche musulmane, ainsi que sur les 4 juifs ayant assurés cet attentat, oubliez-vous qui sont les victimes ? Pourquoi parler de combat de religion, d'opposition et de conflits alors que vous protestez et faites des dessins pour prôner la liberté d'expression ; rendez-vous utiles, et même si vous faites semblant d'être concernés, de crier pour une cause que nous ne défendiez pas, pensez à ces personnes mortes, ne souillez pas leur mémoire ; car personne ne sait ce qu'ils auraient pensé de tout ceci. Pas même leurs collègues, qui sait, Cabu aurait très bien pu démissionner s'il était encore vivant. Il est mort, et peut-être que vous souillez ses souhaits à en faire trop, à croire que pleurer et se révolter est une bonne chose. En somme, prenez conscience de toutes les minorités, et même si la colère, la haine sont présentes en vos esprits, ne vous exprimez pas, et taisez-vous, car l'expression doit être le fruit de la raison, doit être une pensée pure, non pas aveuglée par votre tristesse."

Je souriais, à la suite de cette lecture. Il est vrai que cette masse semblait se révolter contre quelque chose d'assez futile à l'échelle de notre existence ; je pensais ne pas prendre parti, et ne pas dire s'il fallait soutenir ces gens dans la rue, ou s'il fallait suivre les paroles de cet homme, dans ce journal. Pour autant, les deux n'ont pas tort, dans un sens, il ne faut pas ne rien dire, ils cherchaient à répandre le silence, voire le chaos en tant que terreur ; mais d'un autre côté, leurs sentiments les poussent à prendre parti d'une cause à laquelle ils n'étaient guère intéressés auparavant, et c'est assez étrange. C'est une référence à un texte de Spinoza, et il est vrai que son discours sur ces personnes m'a fait penser à beaucoup de philosophes... Mais lesquels ? Les pensées se chevauchent, tout comme leurs mots et leurs gestes, c'est une foule inarrêtable ; oh, je n'en ris pas, je souris juste à l'idée de voir qu'il existe tant d'espoirs, et que parfois, les idéaux se contredisent, sont en perpétuel conflit.


Et c'est alors que je me décidais à partir, il était temps pour moi de rejoindre quelques amis et passer du temps avec eux, converser, philosopher. Je descendais mes escaliers, pour ouvrir ma porte, voilà encore le bruit assourdissant de leurs voix. Il est vrai que ça en devient agaçant, un tel mouvement doit tout de même respecter l'autre. La demoiselle qui m'est si chère m'attendait dans ce froid bouleversant, mais couverte ; je me hâtais de la rejoindre pour que nous puissions être au chaud, le plus vite possible. Je ne vous la décrirai pas, ce serait trop imagé, et je ne voudrais pas que vous tombiez amoureux d'elle. En fait, je dois avouer qu'il n'y a guère plus tendre âme sur terre, et jamais quelqu'un n'a su me rendre aussi heureux. Pour ainsi dire, la force de ses sentiments m'aident à progresser, et ses baisers sont d'une infinie tendresse que j'apprécie sans jamais m'en lasser. Oui, c'est une belle femme, mais ce n'est pas ce que j'ai cherché avant tout. J'ai souhaité une femme qui m'aime pour ce que je lui apporte, et non pour ce que je suis physiquement ; c'est, dans ce seul et unique cas, la seule à avoir pu me satisfaire pleinement. Je me sens heureux, car précédemment, la joie m'était un sentiment totalement inconnu. Une fois arrivés, nous nous sommes installés : nous étions les premiers arrivés. Je la regarde intensément dans les yeux, et je la vois inquiète, voire assez triste. C'est alors qu'elle m'a dit : "Aujourd'hui, une remplaçante à la fac m'a agressée et traitée de tous les noms parce que je suis arabe..."

Voilà une nouvelle qui vint me frapper d'un coup, comme pour me réveiller, ou m'assommer. C'est une chose qui ne m'a guère plu, je déteste les gens racistes. Et par-dessus tout, ceux qui font du mal aux gens que j'aime ; c'est un fait qui, étrangement, me rappelle les débats religieux dont parlait cet homme dans ce journal, et ce qu'il dit à propos de la pensée et de la raison ; cette femme remplaçante s'est exprimée sous la colère, c'est une certaine haine qui l'a poussée à dire ces choses assurément désagréables. Elle n'a pas réfléchi avant de parler, et c'est assez blessant de savoir qu'une personne, et même plusieurs, puisse se permettre d'insulter ouvertement une autre, sans raisons valables. Je l'ai prise dans mes bras et je l'ai rassurée. La soirée allait commencer, ils arrivaient, il fallait que nous pensions à autre chose.
Il est maintenant 5h du matin, c'est un silence continu qui règne au sein de notre Capitale. Malheureusement trop souillée, elle garde néanmoins toute une beauté phénoménale. J'ai pris ce journal, et je me suis assis sur un banc, dans un parc abandonné, un lampadaire m'éclaire suffisamment pour que je feuillette brièvement les pages sales et mortes. Quelques critiques du sujet, de ce qu'il est, de sa représentation dans le monde. La femme qui partage mes jours vient de s'asseoir à côté de moi. Je décidais de partir avec elle, il était temps d'aller dormir toute la nuit, il nous faut nous reposer, aujourd'hui fut un jour lourd en émotion. Sur le chemin du retour je lisais sur les murs, tantôt "Gloire à la liberté d'expression", tantôt "Charlie n'est que le commencement", voilà de quoi nous faire peur, n'est-ce pas. Je me demandais si tout cela n'allait-il pas nous mener à une guerre. Car certes, beaucoup sont indifférents face à ce qu'il se passe, mais qu'en sera-t-il lorsqu'ils seront eux-mêmes touchés ? Ne seront-ils d'ailleurs pas les premières cibles ? Tout est compliqué, la politique me fatigue ; je ne cherche plus à comprendre pourquoi tout le monde gueule comme ça, pourquoi les médias manipulent tout le temps. Pourquoi sont-ils obligés de faire leurs salauds et de dévoiler des choses qui devraient ne pas être dites. Il y a, certes, des choses qui doivent être dénoncées, mais il faut respecter l'intimité, et savoir la couleur du caleçon de Cabu lors de sa mort, je crois qu'on s'en fout complètement.
Oui, on s'en fout. J'ai la fille que j'aime à mes côtés, c'est le plus important ; et la politique, la guerre, la misère du monde sont importantes, mais je ne peux me consacrer à tout, je préfère donner de l'amour à une femme qui sait me rendre heureux que donner des millions à des gens que je ne connais pas et être seul pour toujours. Oui, ça fait connard. Mais je n'ai pas de pensée fixe, et rien n'est fondé en moi, sinon que l'amour que j'éprouve tant pour cet ange.
S'il fallait mourir pour une cause, je dirais que beaucoup critiquent la république, mais y sont pour, ils vont voter, contribuent à son existence ; j'aimerais mourir pour vous montrer la vérité, et sachez que ceux qui ont amené à la révolution française étaient bourgeois libéraux. Des gens qui n'en voulaient que pour le pognon. Voltaire possédait d'ailleurs une immense fortune ; la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ne sont pas une création de vos droits, puisque déclarer veut dire mettre en lumière. Mais avons-nous réellement mis en lumière quoique ce soit ? Ce ne sont que des droits qui arrangent...
La République tombera.

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