Croise hier vers l'éternel
absolu
Je suis d’humeur solitudinaire aujourd’hui, cette solitude qui s’apparente à l’ordinaire, d’habitude bonne au saut du lit, malgré la nuit solitaire. Je suis nostalgique de caresses voluptueuses, volutes assassines, les vêtements qui encombrent, le plaisir qui libère, la nudité inspire et le cœur exhale… Les draps se froissent la mise en plis s’évanouit, la nuit m’observe sans pouvoir absorber l’envie, et me laisse rêver d’une vie en alexandrin où le râle n’est pas exempt des reins…
Le vice est caché dans les formes, l’esquisse est noyée dans la norme. La brise éveille mes sens et m’évoque la chaleur du souffle en transe. Ce souffle qui électrise, une chaleur qui efface la grise mine, un croissant, une demi-lune, l’autre cachée par le drap, un bras, coquin, fait glisser ce dernier et rager le soleil de l’astre dévoilé à sa lumière. Exposée ainsi à son insu aux rayons ultra-violet, l’à demi-réveillée ne voit d’autre issue que de fermer les volets pour éclipser son homologue, écouter l’hommage rendu à sa plénitude, et savourer l’apogée stellaire avec son admirable orateur. Ça ne se raconte pas, ça se déguste, ça ne s’oublie pas, même après des lustres…
La lumière vacille, la main précède la vague de frissons, le soupir succède à la courbure de l’échine, la muraille de sa majesté tombe face à l’âme ajustée à sa taille, dévasté par la puissance du raz-de-marée, l’amiral se déleste de sa médaille et décline toute responsabilité quant aux dangers de l’Ô, séance tenante…
La montée de l’eau, si lente, le corps oscillant, si haut. Les naïades se préparent dans l’éloge, préparez-vous, en première loges, noyade assurée. Les filles d’Okéanos et de Thétys ondulent, attrapent vos pieds dans leurs filets, vous tentez de garder l’équilibre, mais c’est la marée d’équinoxe, ondines qui s’enroulent comme des algues et galbent un plaisir encore diffus, dans un flux de plus en plus puissant. Elles vous bercent, pour mieux vous surprendre, elles vous mettent dans le mouvement, pour mieux le suspendre… médusé vous vacillez. Leurs yeux facétieux vous hypnotisent, leurs chants fallacieux vous séduisent. Engourdi, jusqu’aux hanches, vous ne devez pas flancher, mais le tangage fait son effet. De l’eau maintenant jusqu’au menton, vous gardez le cap. Peu importe, s’il le faut j’absorberai l’excès de sel sur sa peau pour continuer à flotter. Aussi iodé soit-il, parfois odieux, Neptune impose son rythme lancinant et fascine l’océan. Le Dieu de l’eau dresse son trident et les éclairs succèdent aux nymphes, chassées par le zéphyr..
La tempête se lève sur son visage, annonce le naufrage à venir sur ses joues, ce plaisir égaré sur le bout de la langue, qui colle au palais ; les mots s’effacent, happé par les flots, font place à l’émotion… les traits se durcissent, les muscles se crispent, l’œil incrédule se laisse éblouir, la paupière cache la pupille dilatée, le plaisir trouble ses yeux, maintenant fermés pour garder plus longtemps cette douce violence, cette nuée de papillons qui provoquent à l’autre bout du corps un cyclone des plus ravageurs. Il dissimule cette délicieuse douleur il plonge tête la première dans la profondeur du moment, les courbes retournent ses sens, il ne sait plus distinguer le sud du nord, il mord doucement à l’hameçon sans m’écorcher, nous voilà dans un monde à part, lointain, abyssal…
L’atmosphère électrique passe en alternatif, le derme épileptique est parcouru de spasmes, se détache de la réalité, l’échine se courbe sous le joug de l’adversaire, le corps en proie à un sulfureux combat, contre soi-même ; retarder l’échéance, la main s’agrippe à l’autre, rester en vie, garder pied, ne pas se laisser submerger, pas maintenant, pas encore, plongée en apnée, je retiens son souffle, il effleure mes soupirs, mais, c’est trop grand, c’est trop fort, il ne pourra lutter guère plus longtemps. Les conditions sont optimales pour prendre le large, les voiles se gonflent, le courant l’emporte loin de soi-même, il perçoit le chant des sirènes, tente de se focaliser sur une baleine, mais les alizés balaient l’horizon, paralysent la raison. Il ne voit déjà plus rien il est submergé par la vague. La foudre a frappé, l’œil étincèle, il perd pied, l’écume aux lèvres, m’entraîne dans la descente, trop tard pour redresser le cap, il vient d’heurter un récif, le navire agonise dans une dernière récidive, la coque se brise et c’est la marée blanche… L’anticyclone s’installe, le corps, épuisé, retombe sur le sable (fond de commerce d’un célèbre marchand), le cerveau dans l’épuisette ; à côté, celui, passif, abasourdi, dans une position lascive, la marée a remonté la dentelle noire bien au-delà de l’origine du monde, seul témoignage de leur croisière vers l’éternel obscur. Il couvre cette somnolence impudique, cette insolence presque sadique, constante provocation des sens, contre lesquels il se bat en vain ; il se glisse, une dernière fois, l’espace d’un instant, avant que Morphée ne les surprenne, ne les dénonce aux mœurs, ou aux douanes. Plaisir détaché de tous les pores, sans amarre sur la chair ferme, plaisir sans frontière, qui jette l’ancre où bon lui semble…
Chacun rejoint son rivage, redessine les contours de son paysage, gomme les dernières traces de l’exaltante escapade, exhalant déjà l’attente du prochain mirage…
C’est l’effet dessert, la glace vanille des Îles Marquises, le chocolat fondu et la Chantilly, elle sait que les aérosols contribuent à l’effet de serre, la banquise fond en vagues, mais c’est une chaleur exquise, ça excuse tout, ça vaut bien une plongée dans l’extase, quitte à manquer d’air…Délit des cieux puni sur terre, s’envoyer en l’air est répréhensible par la foi, crée un problème dès lors que vous ne procréez pas, et que rien ne germe.
J’estime qu’on trime assez au quotidien, pour ne pas se faire un peu de bien avec autrui. Et même si on passe son temps à se mentir, la vérité absolue du moment vaut la peine qu’on le vive, au moins une fois, car le désir ne ment pas. Les yeux qui brillent, la poésie de la peau qui rosit, ce décor qui déparent les corps, je parle de catharsis, de cet oasis dans les cathares, de l’oaristys, de l’or qui s’infiltre par les interstices d’une vie fissurée, du regard fiévreux, ébahi devant cette beauté libérée des habitudes, défigurée quand reviennent les contraintes, qui fait fi des idées reçues, qui se donne toute entière quand il se met à nu, qui reprend tout dès qu’il s’éloigne…
Elle n’est d’aucune propagande, se fout des rumeurs qui circulent, elle n’a que faire des alter-nombrilistes, à l’ombre d’un égotisme indispensable à son équilibre, d’un ego à la limite de l’autisme. Les restes du plaisir s’envolent, elle se replie sur soi, elle replie ses ailes, elle garde cette chaleur au plus profond, le plus longtemps possible…
Et puis elle se refroidit, elle frissonne, le froid résonne à nouveau dans ses veines, les derniers spasmes calorifères s’en sont allés dans l’atmosphère… c’est le transfert d’énergie… rien ne se perd, tous les cris s’évaporent, elle s’endort.
Demain elle sourira, dans ses yeux un éclat… l’émoi d’avoir croisé hier…