Croquer la mort
Jean Claude Blanc
Croquer la mort
Croquer la mort, à pleines dents
C'est la vengeance des vivants
Suivre le cadavre, qui git devant
Ce qu'on se fait chier aux enterrements
Pompes funèbres, tout un métier
Faut arranger les amochés
Refaire binette aux trépassés
Dignes du boulevard des allongés
Il faut les pompes et le costard
L'air navré, pas trop bavard
La mine blême, de circonstance
Pour présenter condoléances
Au pavillon des zigouillés
On décortique toutes les plaies
Médecin légiste, peut trifouiller
Le décédé va pas broncher
Toute ma vie, caché, discret
De faire le mort, suis habitué
Ne venez pas me charcuter
J'ai ma petite bière, mon urne sacrée
C'est un boulot, pas mal payé
On dit, l'argent n'a pas d'odeur
Mais se farcir le macchabé
Est répugnante la saveur
Les VRP des endeuillés
Ce sont de jeunes et beaux garçons
A 4 épingles sont tirés
Du genre homo, tellement mignons
Pardonnez-moi, c'est pas très gai
Mais ma façon de mystifier
Ce qui m'attend, c'est le plumier
Ça sert à rien, de se stresser
« La mort, toujours recommencée » (Brassens)
Croquer la mort, c'est pas donné
Pourtant en croquent les boutiquiers
C'est un commerce, qui marche bien
Pour eux la gloire, pour nous la fin
On nous ressasse les vertus
Du pauvre blaireau, qu'a disparu
Ça fait plaisir à la famille
Quant au héros, lui, il roupille
Qu'est-ce qui se passe, quand on est mort
Philosopher, n'est pas mon fort
A mes gamins, je leur récite
C'est un passage, qui passe pas vite
Croquer la mort n'est pas gourmand
Mais y'a toujours nouveaux clients
La profession ne chôme pas
Ses serviteurs, sont pas ingrats
Personne se plaint dans les mouroirs
A peine crevé, on te prélève
Un bout de rein, juste pour voir
Mais si tu bouges, faut qu'on t'achève
Il y a toujours des plus futés
Qui se suicident, sans commentaires
Les puits de sciences, bien attrapés
Hara-kiri, pas leur bréviaire
Cérémonial bien obligé
Le protocole est respecté
Le croque mort, c'est sa fonction
De simuler, les émotions
Dès que t'es mort, t'es reconnu
T'étais un Etre, comme on voit plus
Toujours gentil et valeureux
Finalement, tu meurs heureux
Service rapide, comme chez Mac Do
T'es assuré, pour ton caveau
De ton vivant, t'as tout prévu
Ton testament, et orémus
Croquer la mort, t'es consentant
Quand tu n'es plus, plus mal aux dents
Les pompes funèbres, cirent leurs godasses
Mais l'air de rien, de fric amassent
Parlez-moi plus de ces flatteurs
Qui nous font croire, à vie meilleure
Je me méfie de leurs hommages
En eux se cachent, anthropophages
Faites-moi cramer, sur mes bruyères
Paix à mon corps, réduit en cendres
Bons sentiments, et l'air tendre
Hypocrisie, vaines prières
JC Blanc novembre 2022 (pour en finir avec mes deuils)