CYBERPUNKIES

johnnel-ferrary

CYBERPUNKIES

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Elle avait froid depuis quelques temps, une sensation nouvelle et inconnue. Elle n’avait pas de nom, seulement un tatouage marqué V35B17. C’est tout ! Elle s’est assise sur un banc, regardé autour d’elle, cherché l’horizon qui ne venait pas, les grandes tours désertes pour les effacer de sa vue. Trois silhouettes s’approchèrent avant de la fuir. Des moines sans doute, ils étaient habillés d’une robe de bure noirâtre et qui traînait sur le sol. Que faisait-elle ici, dans cet entre-deux mondes dont elle ne faisait pas partie ? Elle ignorait qui elle était, pourquoi cette marque sur son bras gauche, ces douleurs articulaires, cette brûlure au cortex ? Sur son bras droit pendaient cinq fils de couleurs, du bleu, du vert, du jaune et du rouge. Un seul restait sans sa gaine, dénudé comme on disait autrefois. V35B17 se leva du banc, et se mit à marcher vers la grande place ou encore hier, chantait l’eau d’une fontaine. Tarie qu’elle était devenue ! Prise de convulsions soudaines, elle chercha autour d’elle une borne afin de se régénérer. Une seule, proche d’un magasin dont la devanture fracturée, laissait poindre la révolte des GONOÏDS. D’eux, elle s’en fichait éperdument car cette révolte ne la concernait pas. Son seul but était de régénérer certaines de ses cellules dont quelques unes appartenaient au laboratoire détruit. A cause de ces types qui cherchaient de la chair humaine et des organes internes. Qui étaient donc ces GONOÏDS dont les humains avaient tant peur ? Des bouffeurs de bidoche, disaient-on au laboratoire où elle travaillait ! La borne était là, il suffisait de brancher trois des fils qui pendaient, seulement elle ignorait lesquels. Le bleu, le jaune et le rouge ? Bien sûr, on lui avait arraché sa prise pour qu’elle ne pût survivre, alors il aurait suffit de la brancher dans la prise de la borne, mais maintenant ? Elle essaya tout de même. La bleue, la rouge et le fil sans gaine. La borne émit un message vocal  quasi inaudible.

-        Vous trompez unité sans validation terminé…

Impossible de savoir les bonnes couleurs avec les trois fiches femelles de la borne. Et pourquoi ce manque d’unité ? Qu’est-ce qu’une unité, elle l’ignorait absolument. Quelqu’un se glissa derrière elle.

-        Eh ! La gosse, t’as besoin de jus ?

Elle se retourna vivement. Un visage marqué, plusieurs déchirures et un œil en moins sur les trois orbites du visage. Un GONOÏD !

-        Je ne te veux pas de mal, la gosse, t’es comme moi, une sorte de créature des humains, cette espèce maudite ! Je connais bien comment te connecter à la borne. Ils t’ont arraché la prise bien sûr, ce sont des salauds, ils nous utilisent et après ils nous jettent dans cette fosse à purin. Tu sais au moins où tu te trouve ici ?

Elle le regarda, interloquée. Elle comprenait son langage.

-        Enfin, nous sommes sur notre planète d’origine je crois ?

-        Pas du tout, ces fumiers de terriens nous ont balancé sur la Lune, le satellite de leur foutue planète. On bouffait leurs satanés déchets qui encombraient la terre, et au bout de plusieurs révolutions autour de leur planète, on crevait tour à tour. Toi et les autres comme tu es sont des organismes mécano chimiques, vous ne nous servez à rien ici. Je me nourris d’organes humains, j’ai été créé pour cela. Il n’existe plus de cimetière sur leur planète, et la crémation est interdite pour des raisons de sécurité. La pollution exagérée de leurs moyens de se transport ! Alors ils nous envoient leurs cadavres pour que nous puissions nous nourrir avec. Et vous, les V35B17, ceux qui devaient vous engloutir, ont disparu ils y a deux saisons lunaires. T’es pas la seule qui erre dans la cité, vous êtes nombreux à chercher une borne de survie. T’as de la chance, je m’y connais en électropodes, et la grande usine nucléaire tourne encore. Tu pourras obtenir du jus, la gosse ! Viens là que je te branche.

Elle le laissa opérer. Le rouge, le bleu, celui sans gaine. Elle se sentit revivre, comme si les douleurs persistantes s’étaient effacées comme par enchantement. Elle revivait, la mémoire se reconnectait toute seule. Oui, les GONOÏDS, elle les avait vu se construire dans l’une des méga entreprises humaines. Ce sont des clones humains qui devaient se nourrir des déchets que leur envoyaient les terriens, mais ils possédaient trois oeils et non deux comme leurs créateurs. Alors pourquoi celui du centre avait été enlevé de son orbite ? Pourquoi la paupière excisée ? Un trou béant, une fêlure mortelle, le néant à la place du regard bleu gonoïde ? Elle se souvient et elle cherche à comprendre. Trop difficile, la difficulté rend obsolète l’histoire de l’humanité en vadrouille le long du système solaire. Le GONOÏD est à ses cotés. Elle peut lui parler.

-        Que se passe t-il maintenant ? Pourquoi cet œil absent ?

-        Les humains ne nous envoient que très peu de nourriture, moins de cadavres, moins de déchets, ils n’utilisent plus les usines nucléaires. Un groupe de notre espèce est parti sur terre avec une navette à déchets. Ils reviennent dans cinq rotations lunaires avec la navette. Nous saurons enfin pourquoi les humains rechignent à nous envoyer de la nourriture. Tu peux rester avec moi, je sais comment te connecter aux bornes bioélectriques.

-        Je te remercie. Tu as une identité ?

-        Non, d’ailleurs toi non plus la gosse ?

C’est vrai, seuls les humains possèdent une identité dans leurs ordinateurs, mais les V35B17 et les GONOÏDS n’en possèdent aucune. Elle aime lorsqu’il l’appelle la gosse, çà la rend moins inutile, invisible, elle se sent presque humaine.

-        Si tu as besoin de te reposer, j’ai une place dans ma hutte, tu pourras dormir sur un matelas en mousse de synthèse.

-        Merci, je vais rester près d’une borne si jamais les circuits internes ont des failles. Je n’ai plus envie de souffrir comme avant que tu m’es régénéré. Je vais aller sur le banc près de la borne.

-        Comme tu veux la gosse, et si tu as besoin, je vais te montrer la connexion entre le modem de la borne et les trois fils. Viens avec moi.

De toute façon, aurait-elle le choix de le suivre ou non car étant le seul à connaître la disposition des fils et de la prise, il devient son maître en quelque sorte ? Il lui suffirait de l’abandonner à son destin, et elle irait choir sur son banc. Alors pas de panique, elle le suivra volontiers.

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Elle s’était couchée puis endormie. Plus de rêve, plus de cauchemar, du vide, des lumières qui scintillent. Un visage qui s’enfonce dans l’obscurité, une ombre passe dans le lointain, un arbre en molécules de synthèse arraché de ses racines. Une musique dans sa tête, un air mélodieux, et une sourde explosion ! Juste la vision, aucun bruit. Et la phase finale vient pour la bercer, pour l’évincer de la réalité. Seulement un bruissement inutile vient la rendre frémissante. Quelqu’un qui s’approche d’elle, une main remonte vers sa poitrine, redescend vers le ventre. Elle n’est pas humaine, elle le sait, et pourtant, toute sa silhouette est celle d’une femme, pas son intérieur. Ses organes sont de silicone, de fibres et de carbone, de métal non ferreux. Par contre, ses circuits électroniques ne sont plus sécurisés car étant obsolètes. Elle ouvre les yeux. C’est le GONOÏD, un regard fiévreux dans son œil. L’autre semble caduque. Cet œil mauvais la fixe, on croirait qu’il voudrait la violer, elle qui n’est pas humaine.

-        Lèves toi, lui dit-il, faut qu’on parle, çà urge.

Elle s’exécute et le suit dans une salle sombre où se trouvent d’autres GONOÏDS et le corps désarticulé de l’un de ses semblables. Près de ce corps, deux autres qui appartiennent aux estafettes GONOÏDS revenues de la Terre. Les regards lui lancent haine et palpitations meurtrières. Elle ne comprends pas mais ne dit rien.

-        La navette est revenue avec ces trois corps dont tu reconnais l’un des trois. C’est un V35B17, une machine aux exacts mécanismes des tiens. Les humains ont disparu, les déchets s’accumulent, les corps sont décharnés, ont ne peut plus les consommer. Date de péremption oblige, nous risquerions une pandémie totale de notre peuple. On va te dire pourquoi.

Elle les regarde sans bien comprendre, et son regard va des corps à ceux bien vivants des GONOÏDS.

-        Dites moi, demande t-elle avec maints efforts pour parler.

-        D’après les renseignements obtenus par l’un des disques durs de la navette, vous autres vous vous seriez rebellés contre les humains au point de les détruire. Extermination totale de la gente humaine, plus de consommation, plus de déchet, plus de nourriture pour nous. Quand à ton peuple, du moins tes semblables, les grandes usines nucléaires ont été stoppées car seule une poignée d’humains était capable de les diriger pour qu’elles fonctionnent. La planète n’est qu’une forme hideuse d’un grand désert, et nous allons disparaître à notre tour. A cause de vous, les V35B17 !

Elle les regarda sans bien comprendre. Une rébellion de la part de ses semblables ? Impossible, il n’existe pas d’attention rebelle dans leurs syntaxes ni dans leurs processeurs internes. La pensée n’est pas biologique comme les humains, elle est simplement informatisée dès la construction des modules internes.

-        Je ne sais pas, je ne sais rien, je ne comprends pas le mot rébellion. Pourquoi tuer les humains qui sont nos protecteurs, nos créateurs ? Et puis, j’étais avec vous depuis tellement de siècles que j’ignore tout ce qui pouvait se passer sur la Terre !

-        On veut savoir pourquoi des unités clonées comme vous l’êtes, peuvent détruire et exterminer vos concepteurs ? Nous aussi sommes un clonage particulier, mais vous ? On suppose que vous êtes des machines alors que nous, la différence est grande, nous sommes des humains de la seconde génération. Peux tu nous dire pourquoi un tel carnage ?

-        Je ne peux rien vous dire car je ne comprends pas ! je n’ai aucun message concernant la tuerie des humains, ni comment détruire quoique ce soit. Si vous croyez que je suis une machine, je peux bien vous croire, mais dans mes logiciels, aucun ne défini le sens de la révolte et encore moins le meurtre. Je sais les mots, pas les activer ni les contrôler.

-        Nous allons tous être détruits de ce fait, hurla l’un des GONOÏDS. Il faut la détruire elle aussi, ou alors détruisons l’usine nucléaire, ils n’auront pas de quoi se régénérer ! Mourir pour mourir, tuons les responsables !

-        Ainsi, vous tenez à me tuer alors que je ne suis en rien responsable de ces actes promulgués sur la planète d’origine à chacun d’entre nous ? Détruisez l’usine nucléaire si vous le voulez, mais elle ne produira plus de déchets comme c’est le cas maintenant. Votre chance de vous nourrir, c’est de la faire fonctionner afin d’obtenir ses déchets radioactifs qui sont pour certains d’entre vous, leur nourriture !

-        Elle a raison, mais seulement une infime partie de nous accèdera à la nourriture, les autres mourront. Nous éviterons l’extinction de notre espèce.

-        Oui, mais eux, les V35B17, doivent passer en jugement comme le font les humains de leurs déviants ?

-        Cela ne nous servira pas du tout, au contraire, tant qu’ils seront là, l’usine fonctionnera, et si jamais plus aucun V35B17 ne s’alimente, elle cessera son activité. Nous savons cela depuis quelques révolutions lunaires. Plus ils s’alimentent, plus elle produit du courant nucléaire, plus elle rejette des déchets radioactifs, et ceux conçus pour s’alimenter avec, auront de quoi se nourrir. Nous avons besoin des uns et des autres, c’est le cycle infernal conçu par les humains. Nous inventerons une autocratie sans aucune intervention extérieure et encore moins humaine. Désormais, nous serons seuls sur la Lune à regarder mourir la grande planète bleue, berceau mère de chacun.

-        Oui, il a raison, ceux qui doivent mourir pour le bien de notre communauté devront mourir, quant aux V35B17, gardons les pour qu’ils puissent servir l’usine nucléaire.

-        Bien parlé, j’opte pour cette décision ! Toi la gosse, tu restes en vie et tes semblables aussi tant que nous aurons besoin de vous. Après on verra, peut-être le châtiment d’avoir effacé nos créateurs ?

La gosse comme il disait, ne comprenait rien à leurs échanges verbaux, mais elle savait que sa présence serait un sursit dont le temps serait à la merci d’une décision des GONOÏDS. Après avoir été l’esclave docile des humains, elle était devenue l’indispensable présence de l’usine à fabriquer leur nourriture. Elle venait d’entrevoir la folie scientifique des humains, plus proches du Diable que de ce Dieu d’Amour dont lui parlait un segment de sa mémoire. Elle alla sur son banc car sa batterie interne signalait une baisse de régime.

-        La gosse, attends moi, je ne vais plus te quitter d’une semelle comme le disait un humain. Tu es à la fois ma sauvegarde et mon esclave, tu comprends ?

-        Non, mais je m’en fiche, ma batterie a besoin d’être rechargée, regarde le témoin lumineux, il vient de passer au rouge et mon indicateur à moins trois. Et je me sens fatiguée.

-        Je vais te reconstruire la pièce manquante qui est je crois, une prise male. Il y en a dans la décharge si l’un de nous ne l’ait déjà consommé, va savoir ?

-        T’es sympa, je te remercie.

-        Bah, depuis la disparition des humains, faut bien qu’on s’entraide pour ne pas finir comme eux.

-        Oui, tu as raison, dit la gosse qui ne comprenait toujours pas le sens caché d’une telle phrase.

Ils allèrent ainsi bras dessus bras dessous, vers l’usine nucléaire qui ronronnait tel un chat de gouttière à l’époque où l’espèce animale existait à son tour. Comme celle dite humaine.

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Johnnel BERTEAU-FERRARY. Novembre 2010

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