Dans la peau d'Antigone
zoeylou
Tenter de se glisser dans le personnage d'Antigone (Anouilh).
" Parfois, il faut se contenter d'agir, pour réfléchir ensuite, s'il reste du temps. Il te faut vivre, avant toute chose. Je n'ai jamais été autre chose que cette gamine mal coiffée, habillée de ce qui me tombait sous la main, quand toi tu t'enrubannais de fleurs de pacotille, quand tu te poudrais et te coiffais pendant des heures. Et ça te va à ravir, Ismène, tu es lumineuse, non, tu es la lumière, mon point d'orgue, une lueur rassurante dans le noir. Mais tout toi est travaillé, de tes tenues à tes amours. Je ne peux pas, moi. Je ne peux pas me poser et attendre que la vie se passe sans moi. Le soir où Hémon est venu me chercher, je n'étais pas jolie, pas même parée. Je revenais des champs, des brindilles dans les cheveux, la plante de mes pieds noircie par la terre battue. Il a posé les yeux sur moi, après avoir passé la soirée à te faire virevoleter. Il m'a demandé d'être sa femme, dans un sourire, j'ai répondu oui. Une impulsion, une délicieuse folie que je ne regrette pas. J'aurais pu tergiverser, chercher l'erreur que tous ont décelé dans son choix. Me demander pourquoi il a choisi un frêle moineau aux yeux lointains plutôt que se jeter à tes pieds, te suppliant, comme tous les autres. Mais non, j'ai dit oui, oui, oui. Ne me demande pas de changer ça, je n'y parviendrai pas. Arrondir les angles, sourire, comprendre et accepter, ça n'existe pas dans mon Monde. Tu me parles de comprendre les grands de ce Monde, pourquoi le ferais-je ? Admettre qu'ils ont des choix à faire, des décisions à prendre, je le peux. Mais je n'ai pas leur prétention, pas leurs attentes, pas leur sale espoir de réussite pour me salir. Je n'ai pas à comprendre, à m'abîmer yeux ou le coeur avec leurs bassesses. Je comprendrai plus tard, et si j'en ai la chance, jamais. Je sais, tu as peur pour moi. C'est une drôle de choix que je m'apprête à faire là. Je connais tes opinions, mais femme ou pas, je me réserve le droit de mourir comme un homme, dressée, fière, pour une idée. Je ne te demande ni de comprendre, ni de pardonner, mais d'accepter le fait que je ne pourrai plus jamais me regarder dans une glace si je vis de lâcheté."