dans le secret des mots

Jean Claude Blanc

 

                             Dans le secret des mots

Chaque jour je m’assigne à noircir des pages

Comme un scribe appliqué, penché sur mon ouvrage

Lointaine expédition dans la région des lombes

Forcené, fasciné, de mots je me nourris

Une croisade obstinée, une sorte de louange

Hommage à mon enfance, aux songes inachevés

Tous mes vers inspirés, de vent et de musique

Déroulent le tapis rouge, aux spasmes lancinants 

Je caresse du regard mes feuillets chiffonnés

Les premiers balbuties de ma bouche zozotés

Je m’y retrouve marri, chaque fois plus rassis

Chefs d’œuvres inachevés, bons à dépoussiérer

Le verbe reste pour moi un moyen de survie

Je puise dans ce vivier un regain d’énergie

Quand le voile du doute, vient trainer par ici

Dans le secret des mots je vais me réfugier

Des bouffées de soupires, de lumières, de larmes

Bousculent mon esprit, dedans c’est le fouillis

Je suis pas formaté pour tout bien structurer

Gambadent mes pensées, à vous de faire le tri

J’attrape au vol un mot, le tourne, et le retourne

Le soupèse, l’éprouve, au rythme de la phrase

L’alexandrin fantasque, ne peut se satisfaire

De pieds mal ficelés, de rimes dissonantes

N’est pas Verlaine qui veut, j’en souffre à mes dépens

Mixer sur le papier ses humeurs, ses musiques

Troubadour laborieux, j’en cherche l’harmonie

A mes chansons de gestes n’ai pas trouvé la clé

Métronome appliqué, je scande mes litanies

En comptant sur mes doigts si çà fait bien le compte

Amalgamer les sons, le sens, les saveurs

Pour que prenne la pâte, c’est une drôle de gageur

Mon goût pour les ouvrages, lapereaux sans vergogne

En palper les reliques, en détacher les pages

Restaure les odeurs racornies par le temps

M’attache à la lecture d’une manière charnelle

Rapport voluptueux, obsession amoureuse

Evoquer un plaisir c’est déjà l’assouvir

On y met une image, un cadre, des couleurs

Soudain le rideau s’ouvre et on part en voyage

Le bouquin sous mon lit, mon objet de piété

N’ose pas l’entrouvrir de peur de l’abîmer

Comme chrétien fidèle je le tiens bien serré

Dans l’espoir d’y trouver de nouvelles retombées

Sentiments et éclairs émanent de mes lubies,

Paraphés fièrement de mon empreinte sacrée

L’espace d’un destin en détermine la marque

Que l’on veut exhaustive, inédite, intouchable

Vous serez bringuebalé, amertume et angoisse

Il faut s’aménager des aires de rémission

Le temps de donner à l’œuvre sa réalisation

Ces instants seront brefs, hâtez-vous de les saisir

Me suis intéressé aux phrases sans les comprendre

Je les imaginais finement ciselées

Graciles, nerveuses et tendres, ravissantes, engageantes

Comme la belle inconnue au musc de son corsage

Mes écrits laborieux souvent restent en suspens

N’atteignant selon moi, toutes mes espérances

Le style rudimentaire, l’orthographe incertaine

Çà ne me satisfait pas, je jette tout au panier

On a tort de moquer ses acnés juvéniles

De ses naïvetés, tourments d’adolescent

Des bouquets de tendresse patrimoine précieux

Leur ferveur s’est figée au profond d’un tiroir

A la Dame de jadis, quelques rimes destinées

Un instant fugitif d’authentique vérité

Qu’on tire de son cœur, juste pour donner le change

A la petite Chimène, frisotée, innocente

J’ai hérissé ma plume pour mieux me protéger

C’est ma manière à moi de chanter, de pleurer

L’exaltation des rêves est contenue et muette

L’auteur est magicien de folies d’illusions

A mesure qu’on s’élève, la solitude augmente

Toucher l’éternité, à la pointe des sommets

Demande des sacrifices et de l’humilité

C’est le prix à payer pour sa part de gloire

Atteindre le Nirvana sublime de la culture

C’est une belle utopie, il faut encore apprendre

On est pris de vertige, d’une lumière l’autre

Une idée avancée, en appelle la suite

Toujours gardé en moi une espèce d’espoir

Qu’au bout du dernier livre, je vais souffler enfin

La mégalomanie comportement vital

Pousse à montrer son cul en ce qu’il a de lunaire

Instinct de plumitif, toujours griffonner

Savoureux palliatif à la corde de chanvre

Mon instrument chargé, et ma cartouche est neuve

J’ai retourné mon vers, mon verbe fait la gueule

J’aimerais dérouler des formules bien senties

D’une écriture parfaite pour lire entre les lignes

Rejoindre le Montana en chantant du country

Reprendre le répertoire de Guthry, Hank Williams

C’est un accouchement qui s’avère douloureux

Que de livrer au monde un petit morceau de soi

On se demande toujours, si dans ce petit être

S’y retrouve logée son expression personnelle

Notre patois se perd et j’en suis désolé

La tirade savoureuse souvent intraduisible

Parlante et plus commode et plus évocatrice

Qui sentait bon la paille, le feu de cheminée

J’espère qu’un jour prochain un gamin déluré

Glissera ses menottes dans mon coffre à jouets

Pour y quérir qui sait des trésors cachés

Des rêves réitérés, en guise de témoignage

Les hommes se complaisent qu’on flatte leurs créations

Reconnaissant seront, qu’on embellisse l’histoire

Qu’on les embarque au fond de leur propre mémoire

Car le plus beau des livres, il reste à écrire

« Quand le destin tend la main

T’as le choix de le saisir

Ou de cracher par terre

Faut trouver ton chemin »    paroles de Compagnons

JC Blanc             janvier 2012

Signaler ce texte