Dans le train

laventure

Dans le train de 7h05 qui roule vers Paris il y a des corps qui tombent, des corps fatigués qui s'affaissent mollement sur les sièges gris de seconde classe. Les têtes penchent au gré des mouvements du wagon. De gauche à droite, les corps n'ont plus de dignités, ils ne sont qu'un vaste mou. Parfois ils se ressaisissent comme s'ils voulaient encore se donner bonne figure, se donner l'attitude d'être maîtres de quelque chose. En fait, gagnés par le sommeil d'une nuit trop courte, ils ne valent plus rien.


Je les regarde devant moi se pliant et se cabrant, tels les arbres sous les rafales de vent, à chaque coup de freins de la locomotive ou soubresauts des rails de chemins de fer. Ces corps maigres, gros, engoncés, mal à l'aise, trop maquillés, sentant l'après rasage du matin, commençant à suer, frêles, fragiles, à la chevelure abondante ... Ces corps habillés sont nus. Ils tombent inexorablement comme attiré par le plancher.


Je m'imagine la première classe, où les mêmes corps tombent sans plus de classe, sans plus de fierté, sans plus de manière. L'argent ne met personne à l'abri de la gravitation, cette gravitation qui est la même pour tout le monde comme la mort qui nous guette. L'argent nous permet de cacher ce que l'on croit cacher, mais l'argent ou la richesse ne cachera jamais notre corps, car nous sommes vivants.


Ce matin les corps des gens sont épuisés et n'ont rien à me dire. Alors je les laisse vaquer à leurs déplacements anarchique qui me font sourire. Je n'ai rien d'autre à faire qu'à les regarder se balancer, et je finis par vomir de trop les regarder, comme je vomis sur tout le reste.

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