Dans ma sphère, je bulle

la-dom

Dans mon énorme bulle infiniment souple et élastique, je rebondis, je cabriole. Les rais de lumière infiltrent la paroi et réfléchissent. Partout autour, de multiples facettes flottantes miroitent et diffusent le reflet de mon moi ; mon moi est je, mon moi est le jeu de lego et je joue.

Mes cinq sens se jouent de moi, au propre comme au figuré.

Je déguste le bruissement de l'herbe qui respire, le murmure des ailes de l'oiseau-mouche ; je goûte l'amertume des fouets qui claquent, du cliquetis des fers lourds accrochés aux chevilles, traînant sur le ciment des cachots et le plancher du pont des navires ; j'absorbe le cri de la brume quand le bateau s'éloigne ; je savoure le son léger des notes qui se dispersent au dessus du clavier …

J'écoute la délicatesse des tissus soyeux, la douceur de la chair translucide et chétive taillée dans l'albâtre, tout auréolée d'or, la sensualité des corps, noirs, éclatants et puissants, l'âme errante…

Je promène mes yeux sur le parfum du chèvrefeuille, les senteurs enivrantes de la peau éperdue d'amour ; je contemple les effluves de la sueur du corps et de l'âme qui s'affrontent, quand l'âme soudain prend corps, quand elle devient charnelle, et quand le corps atterré et vaincu rend l'âme…

J'inhale la terre ocre des allées, les bois d'ébène debout, alignés, les bateaux amarrés et le lent défilé des hommes poussiéreux et musclés, des femmes nues et tristes, des enfants innocents, parcourant le dédale des geôles ;  je respire la cale et les corps en quinconces ; j'aspire aux doux visages, aux îles serties de diamants pourpres, éblouissantes au soleil levant, à la Cordillère, aux Andes, au toit du monde et à ses plateaux encerclés de sommets neigeux nimbés de rose ; j'exhale les ruines tiwanesques où le peuple se hâte de reconstruire les murs colorés, bleu, jaune, pierres dressées, habilement dirigées vers les astres…

Je touche la saveur de la fleur d'oranger, je palpe du bout de mes papilles le goût salé du coquillage, le succulent sucré du miel d'acacia…

Et je franchis la sphère, elle est fêlée… et je vogue sur mon nuage, houleux, et je vague confusément.

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