Dans son vieux pardessus rapé
Sève Maël
Ce n’était pas vraiment de la pluie, plutôt une sorte de brouillard épais qui obscurcissait l’atmosphère et rendait les corps flous. Il faisait froid. Les nuages cachaient le soleil et le vent balayait les feuilles mortes répandues sur le sol. On était le huit octobre, et il venait de mourir.
Il n’avait pas souffert. Les médecins avaient dit à Camille que sa crise cardiaque avait été si subite qu’il s’était évanoui sur le coup. C’était tout ce qu’elle avait retenu : son père était mort, et il ne le savait même pas. Il ne le saurait jamais. Il avait quitté cette Terre pour aller quelque part où elle ne croyait pas, sans elle, sans eux.
La main de son petit frère était serrée dans la sienne. Elle ne la lâchait pas, elle ne la lâcherait plus. A présent, ils étaient seuls. Le juge avait dit à Camille qu’elle obtiendrait la garde de Lucas sans problème, étant donné qu’elle était majeure et qu’il avait déjà dix-sept ans. Elle avait acquiescé, et rien de plus.
Il n’y avait pas grand monde dans le cimetière. Beaucoup de gens étaient venus à l’église, mais la plupart d'entre eux étaient déjà repartis. Seuls ses amis proches et les membres de sa famille étaient là. Elle leva la tête. Ils formaient un cercle autour de la tombe, un cercle noir mais imparfait. Il y avait trop de monde sur la droite et pas assez sur la gauche. Il aurait fallut qu’ils se décalent et s’alignent mieux. Son père était maniaque, il aurait apprécié. Elle avait envie de leur dire, envie de leur crier de bouger, de reculer ou d’avancer. Elle ne dit rien. Lucas ne disait rien non plus. Elle lui jeta un coup d’œil. Ses yeux fixaient le cercueil avec lutte et acharnement. Elle l’imita. Mais comme elle ne vit rien d’autre qu’une boite en bois avec un corps au milieu, elle regarda plutôt les fleurs. Elle lui avait fait apporter des tulipes. C’était ses fleurs préférées. Elle n’avait jamais su pourquoi. Elle ne lui avait jamais posé la question. Soudain, elle réalisa qu’elle ne le saurait jamais. Il y avait certaines choses comme cela qu’elle ne pourrait jamais plus savoir. Pourquoi il accordait tant d’importance à la présentation de la table lors du petit déjeuner, pourquoi il préférait les pantalons à pince, pourquoi il allait toujours manger son yaourt à la table de son bureau, les pieds posés sur le rebord de la fenêtre, pourquoi il ne lui avait jamais dit qu’il l’aimait, et pourquoi elle ne lui avait jamais dit non plus. La vérité, c’est qu’ils ne s’étaient jamais vraiment parlés. Qu’auraient-ils bien pu se dire ? Ils n’avaient jamais fait partie du même monde.