danse nocturne

Perrine Piat

Quand je suis descendue avaler mon petit café de l'après-diner, il n'y avait personne dans le restaurant. Au pied de mon immeuble cet antre de petits plats biologiques m'offre les plaisirs de petites dégustations naturelles qui manquent tant à mes journées rythmées de McDo, boulot et dodo.
Mon café, je le prends dans le troquet du coin car ce soir, une odeur de brochettes grillées envahit mes narines comme mon appartement. Connaissant mes voisins, à la cuisine malodorante, je suis sûre que cette fragrance émane de leur palier. Une odeur de carbone a pris en otage tout l'immeuble, soumis à cette dictature nauséabonde que seule la fuite évapore.
Ainsi, je rejoins un ami dans un bar typiquement parisien, propre et sale, tout de bois construit. Nous dégustons notre petit noir serré devant un pseudo concert poétique assommant nos oreilles d'haïkus chantés qui nous proposent, entre autres, un invraisemblable « le bilboquet, tout seul, sans kérosène ».
Nous restons peu de temps dans cet endroit que j'adore et où le patron, toujours gai, offre à chacun de ses clients un sourire tout droit sorti de Kabylie, accompagné de paroles chantantes, déclamées avec un accent exotique et charmeur. Ainsi, il habite à côté de « Robert Blique » (République), sur les « bourgs doux canal sans Martin » (sur les bords du Canal saint Martin). Mon ami me raccompagne.
Avant d'entrer dans l'immeuble, je vérifie encore qu'il n'y a personne dans mon petit restaurant éco responsable. J'aperçois une épaisse fumée qui envahit toute la pièce. Sans réfléchir, j'appelle la gardienne de l'immeuble, qui elle-même appelle la propriétaire des lieux, qui elle-même appelle les pompiers, qui eux-mêmes préviennent la police.
En l'espace de quelques minutes, notre rue si calme devient la scène d'un ballet incessant d'hommes du feu, de policiers et autres badauds curieux. Chaque fenêtre s'ouvre pour assister à cette danse improvisée mais chorégraphiée, mise en scène par des sirènes entremêlées. L'incendie devient un vrai spectacle où les acteurs dont nous faisons partis, se fondent dans la musique des pimpons et des lumières rouges et bleues. Tard dans la nuit, nous nous couchons vêtus d'odeurs tenaces de légumes carbonisés, coupables de cette danse nocturne. Oubliés dans le four allumé de mon petit repère biologique, ils se sont rappelés violemment à nos narines frémissantes. Je m'endors, coupable d'avoir accusé mes voisins à tort. Une chose est sûre, demain, je ne mangerai pas bio.

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