Danses Macabres - Une ombre sur le cœur
Laurent Buscail
Encore aujourd’hui, une tache sombre dans ma mémoire torture mon être à sa simple évocation et alors que le crépuscule approche, ces souvenirs n’en sont que plus vivaces. À cette époque je naviguais dans un entre deux mondes, occupé à remplir mon devoir fièrement tel le jeune novice hardi par sa volonté de bien faire. Je n’étais qu’un employé parmi tant d’autres dans un des nombreux services qu’offrait l’administration chargé du recouvrement des âmes. À ceci près que nous étions en première ligne, les autres services nous avaient surnommés au fil des siècles les mangeurs d’âmes. Mon travail consistait à récupérer l’âme des défunts.
Ce jour-là, j’approchais du premier anniversaire de mon entrée en fonctions et je m’acquittais de ma tâche avec bonne humeur. Mon secteur comportait une ligne de tramway et je confesse qu’il s’agissait de mes missions préférées. Il arrivait que la dépouille fasse plusieurs tours de ville avant d’être démasquée. Je marchais le long de la rame à la recherche de ma cible, les anonymes autour de moi évoluaient dans un tout autre espace que moi, seul le rayonnement de leur âme trahissait leur existence dans les limbes. Au milieu de ce spectacle lumineux, une âme vacillait, son éclat perdait de plus en plus son intensité. Ma cible n’était autre qu’un vieillard démodé, le dos courbé par des années de labeur, les mains déformées par l’arthrose, son périple était presque terminé. Je m’assis contre lui et m’abandonnai à ses dernières pensées ; un cadeau pour Sylvie, cinquante-deux ans déjà, Martha avait toujours de bonnes idées, elle me manque, on est arrivé ?
Le tramway s’arrêta et les portes donnèrent le départ du ballet entre les sortants et les entrants, je me glissai hors de la rame, abandonnant le corps du vieil homme au monde des vivants. Je jetai un dernier regard vers cette silhouette endormie, paisible et innocente. Je sortis de la poche intérieure de mon large manteau, mon carnet à l’appétit insatiable et l’ouvris à la page du jour. Munis de mon stylo, je rayais la mention suivante : Roger M., Tramway B arrêt Victoire, 10 h 27. Alors, la chaleur passagère de l’âme du vieux Roger disparut de ma poitrine et continua son voyage dans l’autre monde sans moi. Un rapide coup d’œil sur le nom suivant m’encouragea à précipiter mes pas vers lui, John F., 9 rue des Augustins, 10 h 32. Le ciel était particulièrement rouge en cette froide matinée et si la place n’était pas aussi fréquentée de ces silhouettes formées par une douce lumière bleutée, l’atmosphère serait bien trop pesante pour commencer cette journée de travail. L’écho lumineux que laissait les passants multipliait mes ombres sur le sol et rendait mon apparence encore plus inquiétante qu’elle ne paraissait, je m’en rends compte à présent, mais comme pratiquement seul nos semblables pouvaient nous voir la question du paraître n’entrait que très peu en compte. Devant l’immeuble je remarquai la trainé lugubre laissé par un collègue se faufilant à l’intérieur du funeste lieu. Des lumières plus ou moins fébriles jonchaient les couloirs du cloaque, par delà les limbes et leurs brumes je distinguais des seringues pendantes de leurs bras malades. Une ombre inquiétante restait penchée sur l’un d’eux attendant patiemment que le poison agisse. Le temps me manquant quand à la recherche de mon âme à collecter je questionnai mon carnet sur sa position exacte. Sur la couverture, une monstrueuse bouche souriait impatiente d’ingurgiter son futur défunt et la langue pendante elle m’aboya la direction à prendre.
— En haut ! Droite ! Droite ! Vite !
Je m’empressai de gravir l’escalier devant moi deux marches voir même trois à la fois, je tournai à droite sur le palier puis je pris la première porte à droite. Un homme tenait en joue un autre dans une pièce particulièrement délabrée, entre les deux trônait une pendule art moderne sur une vieille cheminée qui vomissait des débris en tous genres. Je me précipitai derrière le menacé près à cueillir son âme. Le silence régnait autour de moi, je pus entendre le mécanisme de l’horloge traverser le monde des vivants pour résonner dans un vacarme assourdissant dans les limbes. L’aiguille vint se placer sur le trente-deux de la dixième heure et c’est alors que dans un formidable geyser de flammes la balle sortit du canon, passa devant l’horloge, pénétra juste au-dessus de l’œil gauche de mon client, fractura son crâne, transperça son lobe gauche, sortit de sa tête en faisant exploser l’arrière de son crâne et projeta un mélange de sang, de cuir chevelu, de cervelle et d’os dans ma direction. La balle ainsi que les morceaux du pauvre homme ne firent que disparaître à travers ma projection spectrale. Je reculai d’un pas et vis le corps s’écroulait de toute sa masse à mes pieds. Ne perdant pas de temps je me penchai sur lui et ouvrit grand ma bouche juste au-dessus de la sienne. Mes mandibules s’agitaient dans tous les sens, j’aspirai toute la lumière qui irradiait le corps du défunt par la bouche et elle vint se loger dans ma poitrine. Les émotions encore chaudes de cette pauvre âme me bouleversaient et je vis le meurtrier se jeter sur la dépouille comme un charognard, tâtant les poches à la recherche d’un maigre butin. Sa tête se retrouva à quelques centimètres de la mienne, la colère et le dégout empressa ma détermination et j’ouvris mon collecteur d’âme bien en grand près à recueillir celle de ce moins que rien. À peine ma bouche s’ouvrit qu’un cri effrayant m’arrêta net et une force incroyable me souleva dans les airs pour me coller contre le mur. Une ombre fumante me tenait entre ses mains dégoulinantes de cruauté et me brandit à la figure le carnet tout puissant, seul maître du destin des vivants. Tel un père corrigeant son enfant, il me lança une gifle qui griffa mon visage de brulures indélébiles. Ma fureur n’en était que plus grande et j’aperçus au travers des brumes qui me malmenaient le meurtrier s’enfuir en courant. Mon précepteur dans un élan de compassion me pressa affectueusement contre son corps nébuleux et m’invita à la poursuite du fuyard toute fois en me retenant par le col. Nous retrouvâmes le meurtrier la nuque brisée dans les escaliers, un collègue recueillant déjà son essence vitale. L’absurdité de la situation me déprima profondément et je me reposai contre le mur du couloir décrépit. Une douleur transperça ma poitrine et je vis la lueur de John F. s’intensifier en moi. Pris de panique je sortis mon carnet et rayai son nom immédiatement. La lumière disparue presque instantanément de ma poitrine. Mes yeux parcoururent rapidement les ordres de mission qui noircissaient les lignes de mon carnet, elles débordaient presque sur le jour suivant. Le poids de toutes ces morts à venir m’entraîna sur le plancher, la tête entre les genoux. Le glouton m’échappa des mains et atterrit face contre terre près de mon mentor. Ce dernier le ramassa et lui épousseta la couverture après quoi il l’ouvrit aux pages qui me démoralisaient tant. D’un geste vif il les empoigna et avec ses longues griffes les arracha. J’observais la scène avec de grands yeux surpris. Il me jeta mon carnet dans les bras et sortit le sien pour y coller mes pages. Lorsqu’il le referma, la couverture semblait ne pas être d’accord avec ces arrangements, mais le vieux mangeur d’âmes ne s’en préoccupait guère et posa son index sur sa bouche en soufflant un chut entre ses lèvres. Il repartit aussitôt sans un bruit, juste un bras levé lorsqu’il dévala les escaliers pour me souhaiter la bonne journée. La brume bienveillante s’évapora par delà l’encadrement de la porte d’entrée de l’immeuble éblouissante de passants. Un seul nom restait inscrit pour la journée ; Emma C. 4 rue de la Devise 17 h 47.
Une fois sortie de l’immeuble je m’enquis de l’heure auprès de ma montre à gousset, il n’était que dix heures trente-neuf. J’avais du temps pour me balader, retrouver mes idées, vagabonder au milieu des âmes inconnues. Ainsi, je flottai de pensée en pensée à travers la ville si vivante que son écho déchirait les limbes, mais ce qui me parvenait n’était que souffrance, peur, névrose et amertume. J’avais l’impression d’étouffer, les nuages rouges dans le ciel étaient de plus en plus bas, le vent cassait les rares branches d’un vieil arbre dégarni. Je me mis à courir gagné par la panique, à un carrefour un monstrueux accident occupait comme des vautours mes congénères à leur repas. Je continuai lorsque le tramway passa devant moi et je vis mon défunt de la matinée, le visage serein le vieil homme continuai son voyage en paix. J’arrivai sur un quai tout près du fleuve et sentis le calme revenir, le clapotis me ramenait lentement et je m’abandonnai au silence qui m’entourait. Soudain, résonnant à mes oreilles, un léger sanglot vint contrarier ma quiétude retrouvée. Comme les pleurs persistaient, je me retournai pour en identifier l’origine lorsque je vis un feu d’artifice de lumière et de couleur émanant d’une magnifique jeune femme, tellement que je dus lutter pour m’en approcher tant cette âme m’éblouissait. Arrivé à sa hauteur, elle releva la tête et je pue croiser ses yeux bleus baignant dans une infinie tristesse. Ses pensées torturèrent aussitôt les miennes ;
Le monde s’efface, disparaît autour de moi, tous, partis, morts. Personne pour parler, personne pour tenir ma main…
Je m’apprêtai à poser délicatement ma main contre sa joue, mais alors que la chaleur qui émanait de son corps embrasait mon univers, j’hésitai et laissai ma main en suspens.
Personne pour poser sa main contre ma joue… me consoler.
Une larme coulait le long de sa joue, je ne pus retenir mon élan plus longtemps et déposai ma main. Mon pouce essuya tendrement la larme. Elle ferma les yeux et serra ma main contre elle. Je ne pouvais plus bouger, cela ne dura qu’un instant et pourtant je ressens encore aujourd’hui cette chaleur au creux de ma main. Soudain, elle réalisa qu’elle tenait réellement une main contre sa joue et ouvrit brusquement les yeux. Elle me relâcha violemment et se releva du banc. Elle inspectait tout autour d’elle à ma recherche.
— Y a quelqu’un ? Qui est là ? Qui m’a touché la joue ?
Les passants autour d’elle la regardaient bizarrement puis je m’aperçus que ma main avait changé. Elle était claire et de couleur chair, tout changeait autour de moi. Une lumière aveuglante dans le ciel irradiait mon corps et peu à peu j’apparus devant mon inconnue avec mon corps d’autrefois. Épouvantée de cette fantastique manifestation, elle partit en courant emportant avec elle la lumière et la chaleur. Les ténèbres me tourmentaient à nouveau et chassèrent cette chaleur et ces couleurs de ma peau. Seul l’amer souvenir restait et je me blottis contre lui, à genoux sur les pavés de retour parmi les ombres. Au loin, sa lueur se perdit rapidement au milieu des autres. En me relevant, mon carnet tomba de mon manteau et s’ouvrit à la page de mon ordre du jour. Je le ramassai et sortit ma montre inquiet du temps que j’avais passé aux extrémités de ces deux mondes. Dix-sept heures douze déjà, il me fallait rejoindre mon colis au plus vite, Emma.
J’arrivai devant l’immeuble de la future défunte, la mort empestait déjà les lieux. Je parcourus l’édifice aussi rapide qu’une ombre chassée par le soleil et arrivai dans l’appartement particulièrement sombre d’Emma. Elle n’était pas dans la pièce principale, non plus dans la minuscule cuisine. Il ne restait plus que la salle de bain et j’y pénétrai brusquement. Je découvris la jeune femme étalée au milieu d’une marre de sang, les poignets tranchés. En m’approchant, je reconnus l’âme qui m’avait bouleversé quelques heures auparavant et m’accroupis tout près d’elle pour assister à ses derniers instants. Sa respiration n’était plus qu’un léger sifflement qui se faisait de plus en plus rare. Puis le silence, Emma passait dans mon monde éphémère, son âme commençait déjà à se détacher de son corps. J’approchai mes lèvres des siennes et finissait d’emporter son esprit hors de son enveloppe charnelle. Alors que ma bouche se posait sur la sienne si délicatement brumeuse, Emma ouvrit les yeux et me repoussa violemment et revint à moitié dans son corps.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? Qui êtes-vous ?
Je la regardais, lui renvoyant sa frayeur et ouvrit la bouche pour tenter de m’expliquer, mais malgré mes efforts répétés seul un mélange de cri humain et de cris d’animaux sortait de ma gorge.
— Qu’avez-vous fait ?
Son buste brumeux se dressait au milieu de sa dépouille. Elle regarda de part et d’autre ses poignets meurtris et paniquée elle revint vers moi.
— Co… comment suis-je toujours en vie ?
Un mot réussit à sortir de ma bouche.
— S… sauvée…
Ce mot la fit entrer dans état de fureur et elle se précipita sur moi. Son poing martelait mon torse, je la laissai faire ne comprenant pas moi-même ce que j’avais fait.
— Qu’avez-vous fait ? Pourquoi ?
Je finis par saisir se mains et tentai de m’expliquer.
— Je… je ne pouvais… vous laisser… par… partir.
Emma se dégagea et scruta mon visage avec attention.
— Pourquoi ?
— Vous êtes tellement b… belle, mais au… ssi tellement triste, je ne pouvais pas…
— Pouvais pas quoi ?
Elle s’était calmer et me regarder avec attention. Ma voix devenait de plus en plus humaine et se séparait de ses artifices bestiaux. Soudain, je vis les ombres qui commençaient à danser autour de nous sur les carrelages du sol et des murs de la salle de bain.
— Nous n’avons pas le temps de discuter, il faut partir.
Je me relavai rapidement et lui tendit la main.
— Maintenant.
Emma s’empara de ma main et se redressa à mes côtés. Je la voyais quitter son corps à jamais, elle pénétrait entièrement dans mon monde. Dorénavant, elle en ferait partie à jamais. Elle esquissa un léger sourire alors que cette sensation de légèreté l’envahissait pour la première fois.
— Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Je ne sens plus rien.
Elle regarda derrière elle et découvrit avec horreur sa propre dépouille gisant sur le sol dans une marre de sang. Son visage se décomposa, elle était en état de choc.
— Je… je suis morte ? C’est ça ?
Emma commençait à trembler de tous ces membres, je la pris par les épaules et la retournai violemment face à moi.
— Oui, tu es morte, mais là il faut vraiment partir d’ici tout de suite.
Les ombres se détachaient progressivement des murs, mes collègues prenaient formes. Emma s’en aperçut et parut encore plus perturbée qu’elle ne l’était.
— Oh, merde ! Qu’est-ce que c’est que ces trucs ?
Les mangeurs d’âmes bientôt nous encerclaient, la porte de la salle de bain était restée grande ouverte.
— Ce sont des mangeurs, venez avec moi sinon ils vous dévoreront.
Je la pris par le bras et l’entrainai fermement dans ma fuite. Les yeux effrayés, elle regardait les ombres qui prenaient des formes toutes plus terrifiantes que les autres.
— Des mangeurs d’âmes… bien. C’est bien ça.
Dans le salon, mes collègues se pressaient en nombres sur les murs. La fenêtre en face de nous me paraissait être la seule issue.
— Par la fenêtre, vite !
— Mais…
— Vous êtes morte, ça ne vous tuera pas.
Je la vis retenir son souffle comme pour un plongeon dans une piscine et alors que les ombres sortaient leurs griffes des murs en nous effleurant au passage nous traversâmes le salon bras dessus bras dessous à grande enjambés en direction de la fenêtre. Emma me serrait fort le bras et ferma les yeux lors de l’impact supposé contre la vitre. Je savais que rien ne pouvait lui arriver et pourtant je l’entourai de mes bras en lui collant sa tête contre mon buste comme pour amortir la réception. Notre chute fut brève, seul quatre étages nous séparaient du pavé. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, nous étions au milieu de la rue, indemnes, les mangeurs d’âmes criaient leurs frustrations ralentis par leur métamorphose. Nous partîmes à toute allure par delà les rues sombres, mais nous étions ensemble.
Nous finîmes par trouver refuge sur le toit d’un immeuble qui dominait la ville, au dessus de nous des nuages rouges tournaient en tous sens. Emma s’écroula à genoux, excédée de tout.
— Qu’est-ce que j’ai fait ? Putain, ce que je peux être conne ! Et moi qui pensais que ça réglerait tout. Deux coups de lame et c’est bon, en en parle plus. Tu parles ! Quelle merde, bravo Emma !
Je n’osai plus la regarder en face, je scrutai l’horizon à l’affût d’un signe de mes semblables.
— Vous n’êtes pas la seule à blâmer dans cette histoire.
Emma se releva et me regardait avec attention.
— C’est moi qui devais aspirer votre âme, Emma. Mais je vous ai vue sur les quais et vous m’avez profondément bouleversé.
— C’était vous tout à l’heure ?
Je me retournai vers elle, j’avais l’impression d’être aussi perdu qu’elle.
— Vous m’avez montré un autre monde, un monde si lumineux, si coloré. Un monde que j’avais oublié. Quand je vous ai vu mourir, je n’ai pas pu prendre votre âme et j’ai paniqué. Je pensais vous sauver la vie et non vous condamner dans mon monde. Emma, je suis désolé.
Elle tourna la tête vers les nuages qui tourmentaient le ciel.
— Je ne connais même pas votre prénom ?
— Ash.
Elle me regarda, les yeux pleins de mélancolie.
— Ash, j’ai froid, prends-moi dans tes bras.
Je m’approchai et l’enlaçai tendrement, mais aucune chaleur n’émanait de nos représentations physiques. Pratiquement aucune sensation n’accompagnait cette interaction qui devenait plus frustrante que réconfortante.
Au loin, des cris déchirants écourtèrent ces infructueuses tentatives d’affections et nous vîmes des ombres menaçantes sauter de toit en toit à travers la ville.
— Ce sont eux ?
— Ils vont te chercher sans relâche.
— Prends mon âme alors et garde-moi avec toi. Comme cela nous serons deux, constamment.
— Ça ne changera rien, s’ils me trouvent ils te trouveront.
— Tu leur échapperas.
Emma se colla contre moi et approcha ses lèvres des miennes. Elle me chuchota.
— Aspire-moi.
Je fermai les yeux alors que j’ouvris ma bouche près de la sienne. Tout son corps devint brumeux et lumineux. Elle se recroquevilla en un petit nuage d’un bleu éclatant et pénétra entièrement dans ma bouche. Il ne restait plus aucun témoignage de sa présence devant moi, seule une lueur qui enflammait ma poitrine.
Un hurlement strident vint fendre la nuit et tous les mangeurs d’âmes aux alentours se ruèrent dans ma direction. Le ciel devint noir de ces ombres terrifiantes et telles une tornade ils me percutèrent de plein fouet. Je vis mon carnet s’envoler dans les airs et retomber sur les graviers qui recouvraient le toit de l’immeuble. Les ombres se mirent à tourbillonner autour de moi, j’étais pris au piège. Un mangeur d’âme sortit de la tornade et prit forme à proximité de mon carnet, c’était mon mentor qui venait réclamer l’âme d’Emma. Il ramassa mon carnet et sortit un stylo de sa poche. Je me relevai brusquement et voulut l’en empêcher, mais les ombres entravèrent ma progression en sortant leurs griffes du typhon qui nous entourait. Après qu’ils m’aient solidement agrippé la tornade monstrueuse formée par les ombres m’emmena dans le ciel et je voyais impuissant mon ancien précepteur chercher la page portant le nom d’Emma. Je serrai sa lueur dans ma poitrine pendant que nous filions à vive allure dans le ciel à travers les nuages. Soudain, je me mis à hurler de toutes mes forces et vis une lumière aveuglante sortir de ma gorge. Un rayon bleu qui transperça les nuages rouges fit apparaitre le soleil devant moi. Toute la lumière d’Emma se vaporisa dans le rayon du soleil qui brûla les mangeurs d’âme derrière et me laissa seul baignant dans cette lumière l’espace d’une seconde comme en apesanteur. Une main se dessina qui tentait de me retenir, puis j’aperçus une esquisse d’Emma rayonnante qui essayait de m’emmener avec elle dans les airs. Sa main traversa la sienne et je sentis comme une brûlure. Le rayon de soleil me raccompagna paisiblement sur le toit tout en chassant les ombres menaçantes qui hantaient encore la mienne. Mon mentor relâcha mon carnet à présent vierge du nom d’Emma et s’effaça à son tour en lançant un adieu amical de la main. Dans le ciel, les nuages disparaissaient pour ne laisser qu’un bleu resplendissant. Toute la ville se colorait devant moi, le soleil me brûlait la peau et pour la première fois depuis bien longtemps je sentis le vent chatouiller mes doigts, la chaleur sur mon visage. Les yeux clos je savourais cette renaissance et lorsque je les rouvris des pigeons passèrent devant moi comme pour me souhaitais la bienvenue. Tout doucement, le soleil se coucha par delà l’horizon vallonné et alors que je redoutai le retour des ombres l’éclairage public se mit en marche et je découvris la ville tout illuminée sous moi. Au-dessus de moi, je redécouvris la lune d’où je vis une petite lumière bleue scintiller avant de s’éteindre. Un large sourire se dessina sur mon visage et salua chaleureusement l’astre bienveillant.
— Merci.
Je descendis du toit avec délicatesse prenant soin de ce nouveau corps si fragile et m’avançais l’âme retrouvée dans cette nouvelle vie. Derrière moi, le vent tournait les pages de mon carnet complètement vide à présent.