De bras en bras

Joelle Cambonie

Un nouveau roman féminin, entre relations subies et conquêtes.

Le premier baiser

C'était un mercredi après-midi. Elles étaient deux. Deux copines et voisines dans cette petite ville de banlieue morne. Deux, ensemble, fortes. Etais-je la troisième ? Un moment je m'étais figurée que j'étais leur amie. L'envie de cette amitié fut bien là quelques mois, peut-être une année. Mais les différences étaient trop marquées. Elle se maquillaient, moi non. Elles n'avaient peur de rien et je craignais tout. Leurs parents étaient attentionnés alors que les miens me laissaient vagabonder. K'avais une énergie débordante, elles étaient calmes, et se confiaient leurs secrets de pré-adolescentes chez l'une ou l'autre. Parfois leurs portes s'ouvraient et je m'engouffrais là ; moment de répit entre les cris et la haine qui siégeaient là où je vivais.  Quelques années plus tard je compris qu'il devait s'agir d'un jeu de leur part, une façon d'introduire un objet d'occupation.

Ce mercredi après-midi très précisément elles me demandèrent si je l'avais déjà fait. Fait quoi ? Je ne comprenais pas bien leur question. A 12 ans, évidemment elles parlaient des garçons. Elles voulaient savoir si j'avais déjà embrassé un garçon sur la bouche avec la langue. Ce fut un choc. Je ne sus quoi répondre et je dis oui. Elles parièrent le contraire et je leur assurais que je n'avais pas menti. Nous sortîmes ensemble du domicile où nous étions depuis un quart d'heure. Elles me proposèrent que nous allions faire un tour dans le parc municipal. Ici, pas âme qui vive. Je ne me sentais pas à l'aise. Je n'avais pas l'habitude de venir ici, l'endroit, vaste, m'intimidait. Le printemps pointait à peine. Il faisait encore froid même si le soleil était au rendez-vous.

Soudain, un garçon de la classe - nous étions en classe de cinquième -  sortît d'un buisson. Elles me crièrent un t'es pas cap de l'embrasser et je crus bon de ne pas renoncer. Non, je ne savais pas. Jamais je n'avais pu imaginer cela. Il était plutôt joli garçon mais nous étions deux enfants. Il plaqua sa bouche sur la mienne et forçat l'entrée avec sa langue. Je me sentis immédiatement sale. Elles furent ravies de constater qu'évidemment il s'agissait d'une première fois pour moi et se moquèrent. 

Cela dura quelques secondes mais je me rappelle encore le dégoût ressenti. Plus jamais je ne leur fis confiance. Plus jamais je ne fus non plus invitée chez l'une d'elles. C'était là les prémisses de ce que devint tout un pan de vie. 

Je regagnais alors l'appartement. Je préparais mécaniquement mes affaires pour aller à la salle de gym. Je ne voulais pas arriver en retard. Je ne pris pas de goûter. Je n'avais pas faim. J'ai pensé un instant que plus jamais je n'oserai ouvrir la bouche devant quelqu'un. Heureusement, cette idée ne dura qu'un instant. Je pris mon sac, je descendis les étages en courant et sortis vite en claquant la porte. Dans la rue je me mis à courir, libre. Qui m'avait vue ? Qui savait ? Il suffisait de ne rien dire et tout irait bien. C'est ce que je fis, jusqu'à aujourd'hui. Le soir, une fois rentrée je me dis fièrement que finalement voilà, je l'avais fait. J'étais bien vivante et rien n'était grave. Une simple petite ombre s'était posée sur mon enfance...



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