De la modernité à la postmodernité
saurimonde
Michel Maffesoli, de la modernité à la postmodernité.
20/04/2020
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C'est en France qu'a été énoncé les temps modernes. Il y a une frousse à repérer, accompagner, à corriger ce qui est entrain de naître. La postmodernité c'est ce qui arrive après cette époque moderne.
Le mot crisis a en grec le sens : le jugement de ce qui est entrain de naître par rapport à ce qui cesse.
Le crible, le tamis. Rejeter ce qui a besoin de l'être.
On voit surgir des épidémies à chaque fois que s'achèvent des époques. La peste justinienne qui va marquer l'émergence d'une nouvelle civilisation. Une civilisation chrétienne, et décadence de l'empire romain. Au 14ème siècle, la peste noire, la grande peste, qui marque la fin du moyen-âge et l'émergence de ce qui va être et la renaissance et puis les temps modernes.
L'hypothèse c'est de dire qu'à travers cette crise sanitaire, c'est la saturation du mythe progressiste et du rationalisme qui lui a servi de support.
Deuxième banalité qui est nécessaire de dire : de manière métaphorique notre cerveau reptilien, notre habitude, ce qui fait notre culture occidentale c'est ce qu'on peut dire un linéarisme historique. Il y a des époques. Le mot époque en grec = parenthèse. Une parenthèse s'ouvre, une parenthèse se ferme. Nous assistons à la fermeture de la parenthèse moderne, et timidement la parenthèse de la postmodernité s'ouvre. Quand il y a ces mutations d'une époque à l'autre, palingénésie, il faut trouver les mots en pertinence avec ce qui ne nous vivons. Mal nommer les choses contribue au malheur du monde. Albert Camus, la peste. Dans la république de platon il a cette expression très riche : il montre comment la dégénérescence d'une société quand on fraude avec les mots. La faillite des élites. L'élite actuelle, qui ont le pouvoir de dire et de faire, restent dans les grands schémas du 18 et 19ème siècle, descartisme, on clame des incantations, des choses dont on n'est plus trop convaincu.
Pour saisir ces mutations, dans la tradition cartésienne qui est la nôtre, quel est l'esprit du temps ? à partir duquel on peut s'ajuster aux autres et au monde. Cela on a du mal à le faire. Michel Foucault en particulier "les mots et les choses". Il faut saisir l'épistémé (la connaissance) d'une époque. En grec : la theoria, la théorie pure, l'épistémé = une connaissance. Un autre auteur : Thomas Scun est un historien des découvertes scientifiques et des applications technologiques. Pour que naisse telle découverte en tel lieu et tel temps, il faut saisir le paradigme. C'est une matrice, les réquisits sont là, les conditions.
En 1936 Sarte 'l'imagination', même erreur.
La révolte des masses, un livre d'actualité, Ortega. Pour définir cet imaginaire il disait : c'est un impératif atmosphérique. On est déterminés par un climat.
Mot très simple à la méditation : nous pensons en terme de rupture brutale, voici un terme d'un sociologue américain : une saturation. Quelque chose ne marche plus, par une lente dégradation, ça ne marche plus et il faut un dernier grain de sable pour que le verre d'eau soit saturé.
Position de Maffesoli : la fin d'un monde, n'est pas la fin du monde. Quelque chose d'autre peut naître à partir de ce qui tombe.
La philosophie des lumières, le cartésianisme, jusqu'à la moitié du 20ème siècle ne fait que bouffer le capital. A partir de ce temps il y a une lente dégradation de cette échelle de valeur et l'émergence d'autre chose. C'est cela que l'on appelle la postmodernité, qui s'élabore. Diagnostique sur ce qui se finit, prognostique sur ce qu'on a besoin.
1 - Quel est l'imaginaire qui nous a constitués ? On s'intègre sans faire attention. Le chiffre, ésotérique et exotérique, en latin : reductio ad unum. (Auguste Comte.)
On voit à partir du 17ème siècle l'émergence de l'individualisme épistémologique. Haeresis en grec : se couper de. A cette époque il était une hérésie d'être individuel. Cogito ergo sum. Je pense donc je suis. Celui qui pensait par lui-même était un hérétique. La naissance de l'individualisme se fait dans cette idée. Individualisme philosophique. Deuxièmement : individualisme religieux : la réforme protestante.
Deux livres de Rousseau : Émile, petit enfant barbare qui va vers l'humanité, c'est un animal qu'il faut tirer vers la civilité. Quand ce processus est réussi, c'est un individu autonome. Puis le deuxième livre c'est à ce moment-là : le contrat social. Idée d'autonomie. L'esprit du temps moderne, idée générale : autonomie, en grec : autonomos, je suis ma propre loi. A partir de ce pivot va s'organiser le contrat social, contrat tout à fait rationnel.
La première conséquence de cet individualisme épistémologique : valorisation du travail. Jusque la fin du 18ème siècle, le travail était pour les classes serviles, le tiers-état. Kant a une définition très simple : impératifs catégoriques, tu dois. Un : tu dois travailler. C'est à partir de là qu'on se réalise. Le travail comme étant une réalisation de soi, ce qui était une nécessité va devenir une valeur. Karl Marx dans le Kapital : la valeur-travail.
Deuxième conséquence : le rationalisme va dominer. La raison est une spécificité de notre espèce animale, établir une raison de cause à effet. Cet élément-là, ce paramètre va évacuer tous les autres, pour ne garder que la raison. Ce qui va devenir le grand rationalisme de la modernité. Livre important : Max Weber l'Éthique protestante. Rationalisation généralisée. Désenchantement du monde.
Troisième conséquence : l'utilitarisme, ne vaut que ce qui sert à quelque chose. Ustensilarité. Ce qui peut être manœuvré. La société de consommation. L'objet devient essentiel, on est possédés par ce qu'on croit posséder. Philosophie haegelienne : voir le futur. Karl Marx : la recherche d'une civilisation parfaite. "La politique c'est la forme profane de la religion." Le lendemain qui chante. Marxisation des esprits. "Demain."On a pu dire à juste titre que pour Freud ce qui était important c'était le report de jouissance, "pas maintenant, un peu plus tard."Aboutissement à l'utilitarisme.
Robert Venturi : De l'ambiguïté à l'architecture, en 1966. Ce qui est à angle droit, minimaliste, purement et simplement rationaliste. Les HLM. L'oeuvre de Le Corbusier, on ne garde que la fonctionnalité. Figure postmoderniste. Non pas une construction minimaliste, mais un patchwork. Il faut avoir l'anamnèse, la mémoire de la tradition. Il nous faut une force à partir de nos racines.
Il faut réfléchir à une architechtonie.
"Reductio ad unum", là il va y avoir un polythéisme des valeurs. Non pas l'unité, mais l'unicité. L'unité c'est un cercle fermé, l'unicité, c'est un cercle en pointillés, il y a de la cohérence et en même temps de la liberté. Individu : indivisible. Persona = masque. Rimbaud avait cette expression : Je est un autre. Ne plus être fermé dans une seule identité.
Je décline le pendant de tout à l'heure, il faut mettre l'accent sur la créativité. Ne plus perdre sa vie à la gagner. Toutes les études sur les jeunes générations faisaient sortir cette idée. Au-delà de cette personne plurielle, au-delà du simple rationalisme, il y a un accent mis sur le corps. Le corps que je construis. Foucault montrait qu'au 19ème siècle le corps n'était légitime que s'il produisait. Saint Thomas d'Aquin a une très belle expression : le réalisme. Il n'y a rien dans l'intellect qui n'a d'abord était dans les sens. Liaison du corps et de l'esprit. Holisme, l'entièreté de l'être individuel et l'entièreté de l'être collectif.
Esthétisation de l'existence. Aisthesis en grec : émotions. (Du monde sensible.) Retour des affects, des émotions communes, l'émotionnel. Quelque chose qui fait qu'on va vibrer. Rites piaculaires. Montrer comment il y a nécessité de pleurer ensemble, à être joyeux ensemble.
Cette personne au pluriel valorisée par la création, dépassant le simple rationalisme ne se reconnaissant plus dans cette circonscription, c'est l'idée du carpe diem, du ici et maintenant. Refocalisation sur le présent, pas comme étant une négation du passé ou de l'avenir. Léon Bloy : le prophète c'est celui qui se souvient de l'avenir. C'est ce qui est en jeu, le retour de la tradition sous ses diverses modulations. C'est à partir de ses racines que la plante humaine se rend compte qu'elle a besoin de ses racines pour croître.
En conclusion : le paradoxe que nous vivons, c'est la synergie de l'archaïque et du développement technologique. En jeu actuellement : ce qui est appelé à se développer. Heidegger : Nous passons de l'ère du jeu, à l'ère du nous. On résume bien les mutations qui sont les nôtres, et qui renvoient à une entièreté. Nous ne sommes non plus dans la dichotomie, mais dans une conception holistique du monde.
"Nous devons accompagner ce rêve pour qu'il ne devienne pas un cauchemar."
QUESTIONS.
Si vous aviez un conseil à donner à l'Action Française sur la façon d'appréhender et de tirer politiquement parti de ce « retour au sacral » que vous observez (La Nostalgie du sacré, Cerf, mai 2020), quel serait-il ?
Dans le fond, le rationalisme moderne, on avait évacué comme peu de conséquences ces religiosités sous ses diverses formes. Récitation du chapelet, décuplement des pèlerinages, méditations. L'islamisme est un problème, on a pas su gérer le sacré, on a voulu l'évacuer, on a désormais des formes perverses. Importance de la catholicité. Chez les jeunes générations il y a une nouvelle appétence.
99% de vos collègues étant de gauche, existe t-il une sociologie de droite ?
Moi j'ai jamais été de gauche, pour ça que j'ai eu beaucoup de problèmes en sociologie. Malheureusement il y a eu une confusion en sociologie, naturellement il faut être de gauche pour être sociologue. Elle n'est plus très intéressante. L'intellectuel et l'universitaire, ils ne font plus de la connaissance, mais se servent de petites théories marxisantes sans même avoir la vraie connaissance de Marx. La militance est stupide.
À propos d'Auguste Comte, pouvez-vous expliquer ce qui dans son positivisme a pu plaire à Maurras ? Comment percevez vous de votre côté cette interprétation de Comte par le Martégal ?
Deux grandes expressions qu'on dit être de Maurras et qui sont de Comte. Le pays légal et le pays réel. Il s'appuie sur des éléments de Comte pour dire qu'il y a cette différence. Maurras a puisé des choses dans l'oeuvre de Comte. Ce positivisme c'est ce qui va être cet empirisme organisateur. C'est s'attacher à l'expérience. La concrétisation (croître avec, se développer à partir de).
Que pensez vous de la citation de Bernanos " On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on n'admet pas d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure." ? Et plus généralement de la "La France contre les robots" ?
Un des éléments qu'on aurait pu développer : ce qui a été la grande marque de la modernité, c'est cet universalisme. Une conception très moraliste du monde. Les droits de l'Homme. Extrapoler au monde entier des valeurs qui furent des valeurs très locales. Jusqu'à la fin du 19ème siècle, le triomphe de ces valeurs universalistes. En 1868 l'empereur Meiji fait venir les juristes prussiens et lyonnais. En 1888 le Brésil utilise ces mots d'ordres : ordre et progrès.
Pour vous la philosophie, actuellement est-elle une matière morte, à délaisser ? Si non, que conseilleriez-vous comme objet d'étude en philosophie politique ?
Réaction de vieux professeur : ce qui était l'aspect dynamique de l'université (universitas), a été perdu, on a 'bocalisé' les diverses disciplines. Il faut continuer la philosophie, mais avoir une dimension plurielle et transversale. Il faut s'enrichir avec d'autres connexes.
comment une société peut concilier la tradition (honorer le passé) et l'avenir (ne pas être figé sur ce passé)?
J'ai cité tout à l'heure la formule de Bloy. Prophète est celui qui se souvient de l'avenir. La flèche du temps issue de la philosophie haegelienne, la flèche progressiste, ce qui est important c'est demain. On avait que ce schéma progressiste, à l'opposé de cela il y avait un mouvement circulaire. Monoxymore c'était l'enracinement dynamique, revenir aux racines. Moi je pense, une de mes théories : il va y avoir au delà du progressisme officiel bien représenté par le pouvoir actuel, c'est ce progressisme qui serait opposé, qui sera la grande valeur. Regardez la multiplicité et la multiplication des fêtes locales. Développement des pèlerinages sous ses formes diverses. Image de la spirale, reprise en compte des valeurs traditionnelles. C'est intéressant à voir à bien des égards, il y a là l'indice qui n'est pas un indice marginal. Le retour du sacré. Pulsions et impulsions de la tradition. La vraie pensée authentique va être une pensée radicale, qui renvoie à ses racines.
Cette bascule de l'autonomie et le retour au sacral ne vient-il pas faire obstacle aux principes qui fondent la pensée libérale ? celle-ci peut-elle perdurer au-delà de la modernité ?
Un des éléments, c'est qu'il va y avoir le retour de cultures très enracinées, radicales. Oui il est possible que cela soit une négation du libéralisme, comme tout de mon pdv ce sera le dépassement de l'universalisme, qui va remettre l'accent à bien des égards sur le lieu, le localisme, le lieu fait lien. Ca n'est pas une négation du libéralisme économique, mais une relativisation. Il y a encore et on ne peut pas le nier, une macdonalisation. Mais il y a aussi le retour du cassoulet. Relativisation des formes simples de la consommation. Economissisme. La qualité du bourgeoisisme, c'est la prévalence de l'infra-structure économique, le reste est secondaire. Partage, échange, bénévolat.
Les hussards noirs de la république ont gommé les langues locales. Il y a retour de ces dimensions, culturelles ou autres.
Ce passage du "je" au "nous", de l'individu à la communauté, est-il la conséquence d'un sentiment de menace, de danger par rapport à d'autres cultures (en particulier une), civilisations plus ou moins agressives ?
Non, je crois pas qu'il y ait des réactions. Ce qui est de base c'est un respect de l'individualité. Suivant le moment et l'esprit du temps l'individualité va prendre la forme de l'individu. C'est ce qui a été la caractéristique --- cette individualité de base va prendre la forme de la personne, où ce qui va prévaloir c'est la communauté, pas la société, la personne est la cause à effet de la communauté. Il y a le retour de la communion. La technologie le permet. Communion des saints.