De la Neige En Plein Coeur
Lesaigne Paracelsia
Il a neigé, je viens tout juste de me réveiller et je m'approche de la fenêtre tout endolori. Les alarmes de voitures résonnent cinq mètres plus bas et la rue, les toits sont engoncés de poudre blanche, je vois de la poésie par ma fenêtre et cela manque de m'exaspérer. Je me sens soudain irrité par tant de douceur. Parce que je souffre, une douleur s'est emparée de moi avant que je ne m'endorme sur le canapé et que je puisse rêver de mon voisin de l'immeuble d'en face.
Depuis son installation de l'autre côté, il n'a cessé de m'attirer. Tout d'abord mécontent de le voir se donner en spectacle du haut de son balcon, je me suis mis à le contempler avec une envie féroce, il devait être bien plus jeune que moi et ses longs cheveux bouclés pendus à sa fenêtre lui donnaient cet air angélique analogue aux œuvres d'art italiennes. J'étais tout simplement devenu fou de ce jeune homme. Parfois il me souriait en me surprenant, le regard pris dans son pantalon alors que son corps se faisait aimer du soleil. — Arman ! m'avait-il lancé la seconde fois où il me surprit. Moi, complètement nerveux, je lui avais épelé mon nom et il l'avait trouvé très beau.
Arman avait emménagé en face, il y a bientôt quatre mois de cela et je n'osais toujours pas lui adresser la parole, l'argument de la sagesse sans doute m'avait persuadé de ne rien tenter, j'étais bien vieux, ce sont ses yeux qui me rendaient si vieux, sa peau et son corps.
J'étais malade d'amour et mon chagrin pesait lourd, mon appartement devenait étouffant lorsque je ne pouvais plus le voir sur son balcon. Pourtant c'était si simple, une rue nous séparait, et ce n'était pas mon habitude de laisser passer une occasion pareille. Malgré tout, je ne faisais rien et je me torturais l'esprit, l'humidité semblait ronger le papier peint malade d'amour pour ses reflets d'éphèbe. Je me trouvais aussi laid qu'un adolescent, et j'essayais de tout cœur de m'améliorer, de me noircir les cheveux, de me raser, de prendre un peu de poids, mais je finissais toujours par retomber, pathétique, sur le fauteuil pour me branler alors que mon adonis se promenait sur son balcon, les yeux plongés dans un livre. Et lorsqu'il se caressait distraitement la poitrine, je jouissais lamentablement seul sur le cuir froid.
Il fait déjà nuit et j'essaye de me réveiller, j'arrête de contempler ce manteau blanc atroce qui défigure bientôt tout le paysage. En bas, la rue est devenue noire de sentir passer la foule et les transports. J'essaye de voir le balcon d'Arman, sa fenêtre est imperceptible, on a l'impression d'observer un gouffre et j'ai envie de pénétrer cette obscurité, sentir qu'il est là malgré tout. Je retire lentement mon maillot de corps et je me colle à la froideur de la vitre, j'ai envie de savoir qu'il me regarde, que nos yeux se dévorent, j'embrasse sans plus de raison la vitre et j'ai soudain un sursaut, je suis très gêné.
Une lumière de l'autre côté le trahit, je discerne la flamme brève de son briquet qui illumine sombrement son corps puis rien qu'un point rouge, halé d'une fumée blanche, bientôt invisible. Je me ressaisis pour me calmer. Il sait que je le désire, il m'observe lui aussi, mais depuis quand ?
D'un mouvement audacieux, j'ose lui demander de venir. Le point rouge disparaît de l'abîme. Je recule tremblant, le corps brûlant et devant la porte d'entrée, j'attends…