De l'importance de ne rien comprendre
Thierry Kagan
Je suis donc, en quelques sortes, un enfant du bonheur.
Non pas que ceux qui m'ont fait s'aimaient d'amour tendre ou fou.
Non.
Ils auraient pu, mais non.
Juste qu'un soir étoilé, ma biologique en vacances au Mexique a joué au docteur avec un inconnu sur une plage qu'elle… adorait !
Et que l'un dans l'autre, la consultation s'est admirablement passée.
Cette information apprise il y a peu a créé une n-ième fois l'envie de recoller mes morceaux de SDF – de luxe, OK, mais SDF quand même - et ne me restait plus qu'a partir visiter ladite plage.
Ça n'a absolument rien donné.
Aucune émotion devant la beauté du lieu, aucune pièce du puzzle ne s'est rattachée à une autre.
De retour à Roissy, suspect comme toujours car je ne sais décidément pas regarder les douaniers sans transpirer, ni dire bonjour sans bafouiller, bah… fouillé, que je dois me faire.
Plusieurs vigiles sur moi s'affairent et vu de loin, à singer le sémaphore, on pourrait croire que je tente un décollage.
C'est là que je repense à ce papillon sur le sable blanc, il y a quelques jours et à son ancètre, 30 ans plus tôt, en train de lorgner ma porteuse en joie, avec moi dedans qui remporte la course à l'ovule.
Le papillon de l'avant veille doit voleter encore un peu.
Pour se reproduire à son tour, lui aussi, programmé comme il est.
Bzzz… enfin… schla, schla… enfin, plutôt beubeubleu, beubeubleu…
Enfin, il fait c'qu'il peut, l‘animal.
Et moi, je suis à nouveau à Paris.
D'aplomb… mais dans l'aile.
Et le lépidoptère qui secoue sa voilure chez feux les Mayas, évidemment qu'il n'en a rien à battre de ma bobine.
Au palpage, la sécurité de l'aéroport ne trouve rien d'improbable, évidemment.
Il aurait peut-être fallu qu'ils me tirlipottent les hémisphères pour marquer des points.
Y a tellement d'importations illicites, dans ce crâne-là !
Une fois libéré, toujours dans le hall de l'aéroport, je m'assois pour un café.
C'est là… que je croise… l'œillade de cette femme.
Absolument… sans relief.
Lasse.
Ou plutôt, complétement hypotonique.
Pas de pupille dillatée, pas d'iris en fleur.
Rien.
Que dalle.
Le vide vitreux, pour ne pas dire… le néant.
Une femme comme… une page blanche.
Ou transparente, ou plutôt… calque.
À remplir.
La page… pas la femme. Enfin… pourquoi pas aussi.
Chacun devant sa tasse, ni l'un, ni l'autre nous n'y touchons : mettre le doigt dans une anse n'est pas la priorité de ce moment unique.
Je la regarde.
Elle me regarde.
Je fais mine de décoller de ma chaise en secouant les bras, comme un oiseau.
Ou un papillion, tiens !
Elle répond, mais elle, en faisant l'abeille qui butine.
Sa bouche en cul de poule ne ressemble à rien.
Aors, on se sourit.
Sans émettre de son, on se lève, on se rapproche l'un de l'autre sans même s'effleurer et on va pour prendre un taxi.
Le même.
Toujours sans se toucher.
Elle donne une adresse.
La sienne.
Et là, l'impression que tout… peut enfin commencer, alors qu'une minute à peine venait de se passer.
Rien de contradictoire là-dedans, faut pas essayer de comprendre.
C'est important de ne rien comprendre, parfois.
Juste… accueillir : à tel point que je sens que partout où je serai avec cette femme, je saurai… que je suis dans ma maison.
Même dans ce taxi.
Même à l'air libre.
Même… sur un sable blanc.