De l'inconsistance du monde
leeman
L'individu est situé. Sa place n'a pour autant jamais paru si évidente, à tel point que la richesse du monde le fait se perdre, parfois, dans cette étendue regrettable. Il est inévitable que cette question révèle combien le rapport entre l'individu et ce qui le contient peut être tangible. La grande profondeur des affects ne fait que témoigner que l'homme oscille entre des moments de bonheur intense et des moments de tristesse inconsolable. Précisément pour cette raison, nous avons tous des passages plus ou moins joyeux, et des passages plus ou moins tristes. Lors de ces moments joyeux, l'homme s'affirme davantage et se sent bien, sans troubles, sans doutes, sans hésitations. Il sait où est sa place, et il sait ce qu'il est. Toutefois, la richesse de la joie n'empêche pas toujours les passages à vide, dans lesquels, pour nous, plus rien n'a de sens. La place que nous occupons n'est en ces instants plus du tout évidente, bien au contraire : elle est instable voire incertaine. Instable en ce qu'elle se meut et tangue ; incertaine en ce que nous doutons si fort de nous-mêmes et de tout que nous ne savons même pas si nous avons une place parmi tout ce tumulte existentiel. Ce doute est terrible, et je pense que nous l'avons tous éprouvé au moins une fois, si ce n'est plus. Dans de tels moments, tout ce qui paraissait solide dans notre conception du monde s'effondre : le monde nous advient comme une pure inconsistance. Elle est insupportable, au point que nous nous sentons exclu de la vie. Les structures que nous avions fondées se détruisent, autrement dit, se réduisent à néant. Non pas que le réel s'effondre à la manière d'un bâtiment ; mais plutôt qu'il se dissout sous ses propres structures. Ce que cela signifie, c'est que lesdites structures ne représentent plus rien en cet instant pour celui qui les voit se détruire. C'est précisément là que le monde n'a pour nous plus aucun sens, et qu'il nous advient comme une inconsistance. La place que nous occupions dès lors s'est dissoute, et nous ne savons plus quoi faire. La vie devient vaine, et le désir ardent de s'élancer dans ce monde s'évanouit progressivement, si ce n'est d'un coup brusque. On peut spéculer autant qu'on veut sur les émois qui déchirent les entrailles ou la conscience, c'est précisément le fait de vivre ce genre de tristesse qui nous pousse à perdre totalement goût en la qualité des jours à venir. Pourquoi penser au futur quand ce qui nous vient présentement se réduit à de la misère intérieure autant qu'à du désespoir ? Il est déjà si difficile de se maintenir "en vie" dans ce présent douloureux, l'avenir ne se fait plus, le présent non plus, finalement. Plus rien ne se fait, car il n'y a plus de fondements stables en nous. Nous nous sentons détruits, anéantis, pauvres. En définitive, cet élan de tristesse ne fait que refléter combien nous sommes démunis. Le plus difficile est d'en sortir ; de sortir de ce monde "anti-monde". La bulle que l'individu se crée, de manière contradictoire, durant sa détresse l'empêche de retrouver les fondements qu'il avait acquis et construits. Il se renferme sur lui-même, gouverné par une envie tenace de ne rien faire, de ne rien vivre. Cette inconsistance est néfaste, en ce qu'elle prive tout un chacun de sa réelle existence : celle qu'on a construit dès nos premiers pas, et qui se voit annulée dans ces pertes intimes à soi. Le monde n'est plus le monde, et c'est en cela qu'il apparaît comme un cauchemar impossible à vivre, à supporter. Heureusement nous ne sommes jamais seuls, et cette détresse ne dure pas toute une vie, donc, pas suffisamment pour nous nuire inexorablement. Alors, je n'aurai qu'une chose à dire à ceux qui sont troublés de cette manière de temps à autres, qui souffrent d'une solitude incontrôlable : dès que les choses s'effondrent, aérez-vous l'esprit. Pensez à ce qui vous rend heureux, pensez à de belles choses vécues auparavant ; lisez ou regardez des choses qui vous réconfortent. Ecoutez ce qui vous fait rire ou qui vous fait du bien : de belles mélodies. Je sais combien il est parfois difficile de sortir de cette tempête que les affects nous infligent. Mais il ne faut pas se laisser abattre aussi fatalement.