De l'utilité de l'honneur
white-hunter
Pourtant j'en ai un, magnifique. Quasi aucune rayure, ou alors si anciennes qu'elles donnent juste un effet de patine à l'ensemble, et il me semble que ça va assez bien avec des rides déjà profondes. Je m'y suis habitué, à vivre avec, sans savoir comment c'est venu. J'ai porté d'abord des valeurs catholiques, mais jusqu'à douze ans seulement. Des valeurs de réussite, mais jusqu'à quarante ans seulement. Des valeurs d'amitié, mais jusqu'à cinquante ans seulement. Des valeurs de rigueur, qui m'ont valu une médaille à 60 ans.
Après cinquante-cinq ans, je me suis clairement recentré sur les émotions, les sensations qui restent à vivre, les livres à découvrir, les chasses à parcourir, les rencontres à faire. Mais j'ai gardé aussi l'honneur, sans m'en rendre compte, d'ailleurs. Au fond de moi.
Il me paraît normal que la valeur amitié perde de l'importance au fur et à mesure que l'on devient un être complet. La harde sub-adulte sert à se construire. Chez les chamois et chez les hommes. Il me reste donc la valeur d'honneur, mais jusqu'à quand ? Je n'ai jamais triché pour me rapprocher des puissants à l'époque réussite , jamais menti afin de rester digne des rares mandats de responsabilité que j'ai eus ou voulus. Et j'ai dit les choses souvent au monde des taiseux, en sachant cela pénalisant. Mon honneur brille et brillera à priori tant que mon âme et mon cœur ne s'étioleront pas, et je l'espère, jusqu'à ce que le temps m'emporte.
J'ai vécu ce 8 mars un de ces moments d'honneur … que l'on aimerait bien éviter. Face à 120 personnes d'une assemblée générale de chasseurs. Pourtant, l'éthique et l'honneur, cela me semble aller bien avec la chasse. Était-ce important, ce combat d'honneur ? Pas tant que ça. Des attributions de plan de chasse injustes, et des élections frauduleuses.
Qui ont permis mon éviction. Des collègues élus, presque des copains, le jour de cette élection, ont démarché une bonne part de la soixantaine de votants présents, donnant la consigne de descendre deux personnes, dont moi. Et bien sur, ça a marché du tonnerre. J'avais vu le système fonctionner une fois, il y a près de dix ans … J'ai quand même vérifié. Mon côté scientifique. On m'a confirmé …
Alors, plus de six mois après l'affaire, se lever devant 120 personnes, dont une part – les administrateurs moins 14 - vous a sacqué, et dont l'autre ne vous croira guère – le chamois, c'est pur – n'est pas facile. J'ai tenu le micro un très petit quart d'heure, efficacement d'abord, mais la résistance s'est vite organisée et pour ce qui concerne les élections truquées pour lesquelles je n'ai pas eu beaucoup d'impact. J'espère que ce petit geste de pureté aura un effet positif un jour. J'ai gardé en magasin, prêtes à être déballées, quelques armes chimiques. Je pensais même transmettre le paquet au service de la Chasse de la DDT. Finalement, réchappé de cette bataille, je ne vais probablement pas aller perdre mes jours dans une guerre épuisante. Car cela m'a épuisé. Si tu veux la paix, prépare la guerre. Je crois être armé, j'ai fait le boulot, le repos du guerrier me semble le meilleur plan.
Je retiens que ce qui paraît certain ne l'est jamais en matière d'hommes dans les conditions de crise. Des personnes, pensais-je, allaient se lever. Que non ! Bien sûr, allez-vous dire, ce n'est pas leur guerre. Et il faut en avoir un bon peu, comme on dit en Auvergne. Pas mal d'administrateurs m'ont forcément cru sur le volet triche - ils ont été démarchés - et n'ont pas bronché. Tout au contraire ! L'honnêteté, si elle est là, sans le courage moral, ça ne va pas loin.
Mais bon, au fond de ma poche, je l'ai, mon honneur, poli du matin, lisse et brillant, et c'est très bien. Comme le joli stylo-plume, à côté du clavier.