Début des Années difficiles Ch. 22
loulourna
23 Début des Années difficiles-Chapitre 22
Ethel avait encore en tête les paroles de Julius lorsque Hitler fut nommé chancelier.
--- Les choses, vont enfin changer en Allemagne, avait-il dit en se frottant les mains.
--- Ah bon avait-elle répliqué du tac au tac, explique-moi ce qui va changer.
Le ton sarcastique d’Ethel lui fit comprendre qu’il était sur une mauvaise pente. Qu’encore une fois, il engageait une polémique et il n’aurait pas le dessus.
Hésitant, il dit, --- l’Allemagne va être plus forte… respectée.
--- Tu as raison, les choses vont changer… en pire. L’Allemagne plus forte ? pour partir en guerre ? Respectée ? parce qu’un maniaque dangereux a pris les commandes du pays. Tu es aussi bête que mes parents. Ethel avait compris très tôt que Julius était un opportuniste et qu’il avancerait toujours dans la direction du vent. Sa vision simpliste, puérile de la situation économique et politique en Allemagne la déconcertait.
---Tes parents ? Nous sommes souvent d’accord sur nos idées politiques.
---Vos idées politiques...laisse-moi rire. Mes parents vivent dans leur bulle avec de fausses certitudes et toi Julius, tu ne sais pas de quoi tu parles. À ton âge tu n‘as aucune excuse de ne pas te rendre compte de ce qui se passe actuellement en Allemagne. Il m’arrive de me demander qui es-tu vraiment. Tu t’ouvres beaucoup de choses mais dès qu’il s’agit de politique, tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez. Tu admires Hitler, alors que c’est le plus beau spécimen de psychotique que la terre n’ai jamais produit. Dans un univers normal il serait considéré comme homme dangereux, enfermé à double tour et je suis volontaire pour avaler la clef.
Julius prit un air buté, ---Je n’admire pas Hitler, mais je pense que c’est un passage obligatoire pour réformer le pays.
---Tu ne comprends pas qu’une fois en place il ne lâchera plus le pouvoir et qu’il façonnera une Allemagne que peu de gens imaginent.
---Mais tes parents...
---Mes parents ont quitté cette planète. Ils ont été éduqués dans le respect de la justice, de la démocratie et des lois. Ils sont comme beaucoup de monde : sourds et aveugles. Tiens ! imagine que demain on donne le pouvoir à tous les obsédés, détraqués, déséquilibrés de Berlin.
---C’est impensable.
---C’est pourtant ce qui se passe.
Un autre sujet que Julius évitait soigneusement depuis qu’il avait été échaudé à propos d’un article paru dans Der Stümer ; commenter les articles antisémitisme dans les journaux pro nazi.
Il avait eu le malheur de répondre à la colère d’Ethel, --- Ils parlent des juifs qui ne veulent pas s’intégrer. Ca ne te concerne pas ; toi et ta famille n’êtes pas comme les autres. À son regard courroucé, à sa voix sèche, il comprit trop tard son erreur.
--- Est-ce que tu sais que ce salaud de Streicher a orchestré le boycottage de nos magasins, et tu crois qu’il fait la différence entre les juifs intégrés ou non ? Tu ne comprends pas qu’il se sert de son journal pour inciter et préparer les persécutions contre nous.
Julius se défendit piteusement,--- Tu sais bien, que je n’ai rien contre les juifs.
--- Non, mais tu es stupide, tu parles comme un antisémite primaire, tous ont un ami juif qui n’est pas comme les autres.
La finalité lointaine, d’une instruction qui laissait plus qu’à désirer, dépassait l’entendement de Julius. Ce qui lui permettait d’avoir du temps libre pour améliorer ses exploits auprès des jeunes filles du collège.
À 17 ans, sa qualité innée était d’être beau garçon.
Qualité acquise et complémentaire, suffisante pour courtiser les étudiantes : parler pour ne rien dire.
À la rentrée scolaire de 1932, pour une fois, Julius ne regrettait pas sa place de cancre, au fond de la classe. Ainsi, à l’insu d’Ethel, il pouvait l’observer à loisir. Il était fasciné par la grâce et la séduction de son visage, sa façon élégante de se mouvoir et de s’exprimer. Parfois enjouée, parfois sérieuse, son aisance dégageait un éclat souverain, une intelligence rayonnante.
Julius, du fond de la classe, ne pouvait rien faire d’autre que de s’éprendre d’Ethel qu’il savait hors de sa portée. C’était là tout son drame ; pour la première fois il était amoureux, malheureux et sans illusion. Conscient que faire le joli cœur ne servirait à rien, il projeta une tentative désespérée.
Un soir à la sortie des cours, Ethel, accompagné de deux camarades prit la direction du carrefour de Güntzelstrasse et Trautenaustr. ils s’arrêtèrent, parlèrent quelques minutes, puis se séparèrent et Ethel seule s’engagea dans Massauische str.
Julius accéléra le pas et la rejoignit.
---Je peux faire un bout de chemin avec toi ?
Surprise, Ethel se retourna, ---Que fais-tu par ici ?
Il avait décidé d’être franc, pas entièrement mais presque.--- Je t’ai suivi.
Ethel connaissait la réputation de cet élève médiocre, séducteur au sourire charmeur.
Elle ne dit mot.
---Je t’en prie, je ne cherche pas à te faire la cour, je suis sérieux.
Ethel pressa le pas. ---Je connais la seule chose sérieuse qui t’intéresse…sans moi.
---Non, je t’en prie, tu te méprends sur mes intentions. Je t’ai suivi, c’est vrai mais ce n’est pas pour te faire la cour.
Son ton était implorant. Ethel excédée s’arrêta.
---Que veux-tu ?
---Tu es la meilleure élève de la classe, je suis le pire, je demande humblement ton aide.
---Que veut dire, humblement mon aide ? Tu me parles comme un courtisan. Qui a-t-il d’humble à demander de l’aide.
Julius désarçonné bredouilla..., je, je,...
Sèchement Ethel lui coupa la parole.--- Tu me dis ce que tu veux à la fin.
---Tu es la seule à pouvoir m’aider efficacement.
Ethel s’énerva,--- je ne suis pas la seule. Et d’abord la seule pourquoi faire. Tu ne voudrais quand même pas que je te donne des leçons…j’ai autre chose à faire.
---Non, juste quelques conseils.. me guider.
Julius semblait sincère.
Julius était sincère.
Les quelques pas arpentés, les quelques mots échangés, avaient modifié les raisons de son approche.
Certe, il était plus amoureux que jamais, mais sa priorité était de garder un lien, aussi tenu soit-il.
Ethel s’arrêta, sonda les yeux clairs du jeune homme pour y chercher la vérité.
Julius n’avait pas son habituel sourire ravageur de bellâtre. Il semblait plutôt avoir le visage d’un garçon timide et incertain.
--- je vais y réfléchir. Bonsoir !
Elle tourna les talons et prit la direction de Winterfeldt str.
Julius ne dormit pas beaucoup cette nuit-là, persuadé qu’il avait tout raté.
Le lendemain, à la fin des cours, contre toute attente, Ethel s’approcha de Julius et lui dit à brûle-pourpoint. ---Il y a des conditions. Ne me mêle pas à tes histoires. Si je ne vois aucun progrès, si tu ne fais aucun effort ou si c’est une ruse pour me draguer je laisse tomber à la minute même.
---Juré, dit Julius, qui voyait un espoir dans les propos de la jeune fille.
---Je ne te demande pas de juré, ta façon d’être excessif me fait douter de ton honnêteté. On verra !
Si Ethel accepta, c’était parce qu’elle n’avait pas le cœur à refuser son aide si Julius était sincère ; ce dont elle doutait encore. Si c’était le cas, cet accord maître élève avec ce garçon superficiel, pas du tout motivé pour apprendre quoi que ce soit, n’irait pas loin. Après plusieurs semaines, contre toute attente, Ethel dû s’avouer que Julius avait une réelle volonté d’apprendre et que ses progrès étaient notables. Conscient que sans amélioration il perdait l’équilibre précaire de sa relation avec Ethel, imperceptiblement Julius prit goût à son travail. Il alla même beaucoup plus loin, il cessa de faire du charme et chercher à plaire à tout ce qui portait un jupon.
Au fil du temps, Ethel apprécia son nouveau rôle de mentor et fut surprise de sa propre réaction devant les progrès de Julius : La fierté d’accomplir une action profitable.Ethel n’était pas dupe, elle savait que la motivation première de Julius n’était pas uniquement culturelle. Elle appréciait d’autant plus qu’il ne tentait jamais une parole ou un geste déplacé.
C’était, soit sur un banc du parc, soit dans un café où se réunissaient les étudiants, qu’avaient lieu les réunions de travail. Quel que soit le sujet, par leur clarté, la limpidité les explications d’Ethel éveillai Julius à la culture. Il était émerveillé de découvrir continuellement de nouvelles facettes du savoir d’Ethel.
La jeune fille l’entraîna un après–midi à une exposition sur l’art moderne. Il n’osa pas lui dire que les dessins, les peintures ne ressemblaient à rien et étaient souvent primitifs ou d’une simplicité enfantine.
Ethel aperçu son regard sceptique. Amusée, elle le prit par la main, l’attira vers une toile datée de 1911, intitulée Le poète. --- Regarde bien ce tableau. Que vois-tu ?
Julius, perplexe, ne voyait rien. Cela lui faisait penser à certains jeux où il fallait trouver un personnage caché dans un dessin compliqué.
Ethel poussa un soupir, --- regarde bien, cette technique s’appelle le cubisme et est basée sur l’éclatement du thème principal imbriqué en facettes lumineuses dans l’espace environnant. Ca ne te parle pas ? Julius silencieux secoua négativement la tête. Il savait qu’avec Ethel il valait mieux être sincère que de prétexter avoir vu ce qu’il n’y voyait pas. Ethel toujours aussi patiente, --- Regarde bien, l’absence de point fixe permet à l’œil de se promener sur la toile sans être imposer par une direction, ni un centre. Chacun, en fonction de ses affinités personnelles, peut voir ce que personne d’autre ne voit.
Julius eu comme une révélation. En un instant, à travers certains portraits ou natures mortes du peintre espagnol, dont il entendait le nom pour la première fois, Ethel, très simplement avait réussi à lui faire ressentir la beauté du cubisme.
Le poète de Picasso ; Julius avait une autre raison de ne pas oublier ce tableau. Ethel l’avait attiré devant l’œuvre en le tirant par la main. Ce premier contact l’avait animé d’une chaude sensation de bien-être.
---Merci Picasso, pensa-t-il.
Ethel transcendait l’art. --- C’est la seule activité de l’homme qui le place au-dessus de l’animal, lui dit-elle.
---Tout le monde ne peut pas être artiste, avait-il rétorqué.
---Non, mais tout le monde peut lire un poème, regarder une peinture ou écouter de la musique. Se l’approprier en quelque sorte. Tu verras, le jour où tu seras en parfaite communion avec une œuvre, il te semblera l’avoir créé. Es-tu déjà allé à un concert ?
---Non, enfant j’ai vu quelques opérettes avec mes parents.
--- Vendredi prochain, au Berliner Ensemble, on joue un oratorio de Haendel. Tu m’accompagnes.
--- Je n’ai pas d’argent pour les places.
--- Ne t’en fais pas, nous ne payons pas. Mes critiques sur l’art dans le journal de l’école me donnent des avantages ; des places gratuites par exemple. Pour le mettre à l’aise, elle ajouta,---Il n’est pas nécessaire d’être mélomane. Nourris ton cœur des vibrations sonores, ferme les yeux, ça aide.
Ce vendredi soir, Julius avait éprouvé des émotions insoupçonnées. Il ne savait pas si c’était seulement la musique ou la proximité d’Ethel sur le siège voisin, ou la combinaison des deux. Combien de fois avait-il eu envie de la serrer contre lui, d’embrasser ses lèvres, suivre de ses doigts les ondulations de ses cheveux dorés. De lui dire qu’il l’aimait. Julius s’éveillait à un monde nouveau. L’hiver 1932 fut un enchantement.
Le samedi, lorsque le temps le permettait, Ethel et Julius marchaient côte à côte dans le Tiergarten.
Un jour, Ethel lui demanda à brûle-pourpoint,---Que comptes-tu faire plus tard ?
Julius resta muet. Il ne savait vraiment pas. C’était comme s’il venait de découvrir que ses études devaient forcément déboucher sur du concret. Il avait vaguement bafouillé qu’il avait le temps d’y penser.
--- Moi, je sais ce que je veux faire plus tard. Soit enseigner, soit faire du journalisme...ou avocat et peut-être même de la politique.
--- Les femmes sont rares en politique, lui avait-il objecté.
--- Et bien, je serai l’une d’elles, avait-elle dit péremptoirement. Tu devrais quand même réfléchir à ce que tu veux faire.
Julius s’était retourné vers Ethel. Il n’avait pas bronché. Ils avaient continué leur marche silencieusement.
Julius respectait infiniment Ethel. Il savait qu’il avait toutes les qualités pour intéresser les pimbêches de la classe, mais aurait tout donné pour un regard tendre de la jeune fille.
Ce qu’il ne savait pas c’est qu’imperceptiblement les sentiments d’Ethel avaient évolué et pour la première fois de sa vie elle éprouvait quelque chose d’indéfinissable qui pouvait s’apparenter à un sentiment amoureux.
--- Quel beau soleil…tu veux t’asseoir dit Ethel.
Sur le banc, figé, Julius n’osait bouger. Après un temps qui lui paru une éternité Ethel lui montrait le chemin de son cœur.
Elle prit sa main dans la sienne.
Julius senti une onde de chaleur anesthésiant tout son être.
Comme dans un rêve, l’instant d’après, les lèvres chaudes d’Ethel étaient contre les siennes.
Il semblait à Julius de n’avoir vécu que pour cet instant. Après ce premier baiser, ils se regardèrent dans les yeux, se sourirent.
Timide, ça aussi c’était nouveau, dans un murmure, d’une voix tremblante il dit,--- Oh Ethel ! si tu savais depuis combien de temps j’attends ce moment.
Ethel recula, prit les deux mains de Julius, souriante elle dit, --- Depuis la première fois où tu m’as parlé dans la rue.
--- Bien avant ça…bien avant.
Les deux jeunes gens allaient avoir 17 ans dans un univers qui n’était pas fait pour un amour naissant en contradiction avec les
théories racistes qui allaient entrer en vigueur.
Lucia Grünwald se réveilla en entendant un bruit insolite à travers la mince cloison séparant sa chambre de celle de son fils.
Un samedi matin, tous signes de vie dans la chambre de Julius, avant 11 heures ne pouvaient être qu’insolite.
Son réveil indiquait 8h30.
À sa jambe douloureuse, Julia savait qu’il pleuvait. Péniblement elle se leva, endossa son peignoir.
Dans la cuisine, Julius, les coudes appuyés contre la table, buvait lentement un café dans un bol qu’il tenait à deux mains.
Julia le regarda étonnée,--- Il est tôt.
--- Je sors.
--- Part ce temps ? il tombe des cordes.
---Ca peut s’améliorer.
Lucia se servi un café,--- Ca m’étonnerait.
Julius leva la tête. Les jours de vent d’ouest, le bruit caractéristique de la pluie contre la vitre donnait raison à sa mère.
Au fil du temps, les échanges verbaux entre Julia et son fils avaient pris une intonation laconique. D’un accord tacite, Julius et sa mère évitaient la confrontation sur le sujet délicat; les études, le travail, ce qu’il faisait de ses journées. Lucia ne savait plus par quel bout le prendre. Depuis quelque temps il lui paraissait discerner une évolution dans son comportement. Il lisait, alors qu’avant il n’ouvrait jamais un livre. En revenant du lycée, pendant des heures, il s’enfermait dans sa chambre, semblait travaillé.
Julia savait que des temps difficiles se préparaient. Elle poussait son fils à aller le plus loin possible dans ses études. Elle lui rabâchait toujours les oreilles avec,--- Julius, l’Allemagne va mal, il y a beaucoup de chômage, avec un bon diplôme tu peux t’en sortir. Julius ne répondait pas. Dans ces moments-là, il pensait à son père, bardé de diplômes qui ne lui avaient servi à rien.
D’aussi loin qu’il se souvînt son père, après son retour de la guerre, faisait des cauchemars, ou plutôt, un cauchemar, toujours le même. Julius entendait tout à travers la mince cloison qui le séparait de la chambre de ses parents. Franz criait des mots inaudibles au milieu de la nuit et se réveillait en sueur. Alors il se blottissait dans les bras de sa femme, et pleurait.
Elle lui caressait les cheveux,---C’est toujours le même rêve ? Il opinait de la tête.
Franz lui avait raconté maintes et maintes fois le cauchemar, toujours le même, qu’il faisait depuis des années.
---Lucia, Je suis dans la tranchée, devant moi un soldat Français. Il crie silencieusement, et pourtant ça me brise les tympans : la guerre est finie. Plusieurs fois de suite. Il me montre des photos de sa famille. Et là, tout se transforme, je tire trois coups de feu sur une femme tenant dans ses bras un enfant. Les corps sans vie tombent dans une mare de sang qui enfle pour devenir un fleuve qui me submerge et m’étouffe. J’appelle à l’aide, en vain ; je suis seul au centre d’une campagne dévastée.
Lucia, le gardait dans ses bras, le consolait et il finissait par se rendormir. Sa mère lui avait demandé d’avoir beaucoup d'indulgence et de compréhension. Que son père avait participé à une guerre trop longue, qu’il avait vu mourir trop d’hommes. L’origine de son cauchemar remontait à l’hiver 1917 ; un français abattu par méprise. Un homme de trop dont Franz ne pouvait effacer le visage de sa mémoire. Après trois ans de guerre, une seule balle, un seul coup de feu eurent raison de son équilibre mental. Indéfiniment, il revoyait son propre bras, sa main, armé d’un pistolet récupéré quelques jours plus tôt sur le corps d’un officier ennemi, alors que la victime dans un geste d'apaisement lui tendait la photo de sa femme. Sur son corps sans vie, il avait récupéré son portefeuille contenant des lettres et des photos qui lui avaient dévoilé une partie de sa courte vie. Franz n’avait jamais pu se résoudre à le jeter. En 1920, Lucia lui avait suggéré d’écrire à la veuve et de tout lui renvoyer, pensant que ça l’aiderait à oublier ce drame qui l’obsédait.
Ainsi fut fait. Il n’y eut jamais de réponse. Les cauchemars continuèrent et la santé mentale de Franz se dégradait. Chaque homme qu’il avait tué avait le visage d’Adrien Langier, D’une façon obsédante, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer le chagrin de sa veuve. À travers les lettres de Céline qu’il avait lu et relu, Franz avaient pénétré l’amour exclusif que se vouaient Céline et Adrien Langier. La tête dans ses mains il répétait sans cesse, Lucia, ma bien aimée Lucia, j’ai vécu un gâchis énorme et ça retombe sur toi et Julius. Lucia avait tout essayé pour aider Franz à reprendre le dessus, en vain. Son mari était un véritable vaincu de ces quatre années de carnages. Un soir, il ne rentra pas à la maison. Le lendemain, vendredi 12 juillet 1929, la police vint prévenir Lucia qu’on avait trouvé son mari au bord de la Spree sous le pont de Spandau, couché sur le sol, la tête en sang, un pistolet de l’armée français à la main. L’inspecteur demanda à Julia si son mari avait laissé un mot expliquant son geste ou si elle-même pouvait éclaircir les raisons de son acte. Sans s’étendre Julia parla de ses moments de dépression. Ce fut tout : quoi dire d’autre. Julius à 13 ans ne s’intéressait à rien : ni à ses études, ni à la crise économique ni à la montée du nazisme. Par imitation il faisait écho à ses camarades de classe, des garçons de son âge pour la plupart endoctrinés par Les jeunesses hitlériennes. Les juifs, les vrais responsables de la défaite, du chômage et de la misère, apparaissaient souvent dans les discussions agressives des gamins. Julius les imitait, sans trop savoir pourquoi. Par respect envers sa mère qui lui avait souvent répété,--- seuls les faibles et les imbéciles et les factieux ont besoins d’un bouc émissaire, il avait refusé son inscription dans cette organisation paramilitaire crée en 1922. Ses heures d’école il les passait au fond de la classe. À 15 ans, Julius était devenu un beau garçon qui aurait été apprécié par Hitler si celui-ci l’avait connu. Blond, plus grand que la moyenne des élèves, des yeux d’un bleu intense, un nez droit dans un visage viril qui dissimulait la faiblesse de son caractère. Le type parfait de l’arien tel que le concevait les dignitaires nazis.
Depuis 1932, sa référence personnelle au judaïsme était Ethel dont les parents reflétaient à ses yeux la famille allemande idéale. Samuel et Sarah Birenbaum étaient juifs comme on est Bavarois ou Rhénan et sûrement plus allemande et plus patriote que lui-même. Le père d’Ethel avait courageusement combattu durant la grande guerre. Dès sa première visite dans l’appartement familial, il avait remarqué, posé en évidence, le sous-verre contenant ses décorations, dont la fameuse Croix de Fer. La maman d’Ethel férue de littérature, ne jurait que par Goethe, Hermann Hesse, Stephane Zweig,Thomas Mann et bien d’autres encore. Certains de ces noms, il les entendait pour la première fois. En regardant évoluer Ethel et ses parents, Julius se défiait de la propagande nazie qui prétendait que les juifs étaient la cause de tous les problèmes en Allemagne. Le grand sujet de conversation était la montée de l’hitlérisme. Samuel Birnbaum était bien sûr irrité par les thèses antisémites du NSDAP mais restait persuadé que les diatribes d’Hitler contre les juifs n’étaient que des discours électoraux et qu’un peu d’ordre en Allemagne, ne pourrait pas faire de mal. Julius pas mécontent de montrer à Ethel qu’il s’intéressait à la situation politique, ajouta--- Monsieur Samuel, je pense comme vous : il faut faire régner l’ordre mais vous ne pouvez ignorer les exactions déclencher ici et là contre des juifs. Le gouvernement laisse faire, il n’y a jamais d’arrestations ni interdiction.
---Bah ! Avait répondu Monsieur Birnbaum, Quelques bavures de groupes surexcités, une fois le nouveau gouvernement en place la vie reprendra comme avant.
---Mais la presse antisémite ?
--- La presse antisémite à toujours existé, nous y sommes habitués.
Ethel les avait regardés sans rien dire. Enclencher une discussion ne servirait à rien. Ce n’est qu’après plusieurs semaines de fréquentation studieuses qu’Ethel présenta Julius à ses parents. Ceux-ci avaient bien remarqué que Julius semblait avoir d’autres intérêts qu’amicaux envers leur fille. Ils en avaient parlé ensemble, pour conclure qu’ils étaient jeunes et avaient une confiance totale en Ethel.
En 1933, après la nomination de Hitler l’ambiance au sein de la société allemande évolua très rapidement. À l’école, certains élèves prenaient de l’aplomb et ironisaient sur le passage des étudiants juifs. Certain de son bon droit, l’un d’eux s’était rebiffé. Mal lui en prit. Un soir il fut copieusement rossé par des inconnus et resta une semaine à l’hôpital, puis il disparu. La rue aussi avait changé. Des camions plein de S.A. vociférant, allant commettre quelques forfaits étaient ovationnés sur leur passage par beaucoup d’Allemands. Certains, moins nombreux, catastrophés, le visage fermé observaient cette montée de la haine sans réactions. Julius était tiraillé entre son amour pour Ethel et les conseils de son ami Franz Bauer --- Tu devrais arrêter de fréquenter Ethel Birnbaum. Les juifs n’ont pas d’avenir dans ce pays ; de grandes choses s’y prépare et avec les relations de mon père, tu peux en faire partie, mais sans la juive. Tu dois savoir ou es ton avenir. Le problème c’était que Julius ne voyait pas d’avenir en dehors d’Ethel.
En mai 1933, le régime hitlérien exclut des universités des professeurs hostiles à l’idéologie nazie.
---Alors, mon cher Julius, tu ne me crois toujours pas ? lui dit Ethel en lui brandissant le journal sous ses yeux, dans lequel un article parlait avec bienveillance des livres prohibés brûlés en place publique. Peu de temps avant Ethel lui avait proposé de lire Mein Kampf.
---Ton avenir, mon avenir est dans ce fatras de divagations. L’école publique va être nazifiée, et peu importe que tu saches lire et compter, du moment que tu sauras te mettre au garde a-vous et crier “ Heil Hitler “. L’enseignement tel que nous le connaissons actuellement va très vite dégénérer. L’Allemagne va devenir un pays de cancres ajouta Ethel.
À bout d’arguments, Julius s’énerva--- Je crois que tu exagères, et puis tu me fatigues avec tes prédictions pessimistes. Les excès antisémites qui viennent d’avoir lieu, sont dus à des groupuscules isolés. Ton père lui-même le dit. Tu ne vas quand même pas me dire que ces chasses aux juifs, ces vitrines brisées, ces synagogues brûlées sont organisés par le gouvernement ?
---Justement si ! c’est le gouvernement qui orchestre ces chasses aux juifs.
Pour assurer son pouvoir, mettre l’armée de son côté, le 30 juin 1934, Hitler fait assassiner les membres des S.A. en conférence à Bad Wiessee. Ernst Röhm, leur chef d’état-major, qui commençait à se prendre pour un personnage important du 3e Reich fut abattu. Ce fut un week-end de règlements de compte et de vengeances et pas seulement chez les S.A. Beaucoup d’hommes tombèrent. Deux mois plus tard le 19 août 1934, lors d’un référendum, 90% des Allemands approuvèrent la politique du chancelier. L’adhésion de la majorité du peuple à la politique d’Hitler dépassait l’entendement. Ses discours, ses mises en scène, ses gris-gris, ses rites envoûtant, quasiment dogmatiques subjuguaient le peuple. Les Allemands étaient entrés en religion. Le 4 septembre, à Nuremberg, au congrès du Parti Nazi, Hitler proclama ” La forme de vie allemande est définitivement fixée pour les milles ans à venir “ . Il n’y eut aucune démission parmi les conservateurs de la vielle école. Tous suivaient celui qui allait être l’un des deux bourreaux le plus sanglant de l’Europe du 20e siècle et permettre à une frange de la population de pouvoir commettre des forfaits, avec bonne conscience, sous couvert de la loi ; contre les juifs, les Tziganes, les handicapés mentaux. Le nazisme, aspirateur puissant attirait les aigris, les jaloux, les envieux, les médiocres, les racistes et les aventuriers de toutes sortes qui attendaient le moment de pouvoir libérer leurs pulsions et être les futurs exécutants et éliminer tranquillement des êtres humains déclarés indignes de vivre. Hitler, devenu le dictateur de tout un peuple sous influence allait inventer le crime bureaucratique, le meurtre à la chaîne, l’assassinat planifié.
A suivre....
Ca devient vraiment difficile pour certains allemands, et juste rappel de l'état de nombreux survivants de la grande boucherie qui même physiquement épargnés furent ravagés mentalement.
· Il y a plus de 13 ans ·yl5