Déclinaison
Séverine Capeille
Tu sais, je fais des progrès en latin. Je connais ma première déclinaison.
Déclinaison ?
En linguistique, c’est le changement de forme d’un mot selon sa fonction dans le contexte.
Dans la vie, c’est une terminaison aussi. Un changement de forme qui nous vieillit.
Aujourd’hui, je suis retournée voir le magasin de tatie
Repeint en rose
Heureusement qu’elle ne voit pas ça, je me suis dit
Un rose même pas joli
Du rose partout, même sur le rideau fermé en fer, qui était gris
Une couleur qui voudrait camoufler les murs vieillis
Les bois centenaires, les éclats du vernis
Et les souvenirs, aussi
Rosa Rosa Rosam
Une prière en latin pour ton âme
J’ai traversé l’allée de l’immeuble, marché sur un sol carrelé
Il y avait encore les boites aux lettres sur le côté
Mais tous les noms sur des plaques carrées
Comme des petits cercueils alignés
J’ai senti l’odeur quand j’allais m’éloigner
Cet effluve étrange et si particulier
Propre aux objets abandonnés
De la cave en bas de l’escalier
Rosae Rosae Rosa
A ces parfums qu’on n’oublie pas
J’ai ouvert cette porte qui donne sur la cour intérieure
Vide. Sans trace des plantes vertes, des bacs à fleurs
Et du petit rosier. Une cour carrée et sans couleurs
Qui m’a fait envier Verlaine et ces auteurs
Illustres et bienheureux promeneurs
Retrouvant leurs antiques splendeurs
Moi j’ai rien vu. A peine senti ma sueur
Dégouliner de ma peur
Rosae Rosae Rosas
Les vitraux en forme de crevasses
Tout s’est mis à tourner par surprise
Il y avait le magasin et la remise
Avec ses cartons de marchandises
Les chapeaux et les chemises
Le rose, l’absence, l’église
J’ai prié comme on se brise
J’ai crié comme on agonise
Et je me suis assise.
Rosarum Rosis Rosis
Te réciter un De profundis