Défi: Faire un texte sur le thème "Petit monde".
Nanaah
La petite fille au collant effilé et aux grands yeux couleur noisette avait son petit monde bien à elle. Personne n'avait le droit d'y entrer : il n'y avait qu'elle, et juste elle, qui pouvait y aller quand elle le désirait.
Je l'ai souvent observée, cette petite fille. Parfois, les gens qui passaient s'arrêtaient et me disaient "Elle est dans son monde, ne la dérange pas, ce pauvre enfant." Ils attendaient une réponse de ma part, puis, d'un pas extrêmement lent, ils reprenaient leur marche.
Je gardais mon air interrogateur à chaque fois que l'on me disait ces quelques paroles. Comment le savaient-ils?
Moi qui, chaque jour, la regardais durant plusieurs heures sans même qu'elle ne s'en aperçoive, je n'arrivais cependant toujours pas à saisir l'instant où elle se cloîtrait dans sa petite bulle.
Après plusieurs jours, voir même plusieurs semaines passés à l'observer, je peux enfin dire que je sais. Je sais à partir de quand elle s'emprisonne dans son monde imaginaire, qu'elle laisse les gens dans le monde réel. Et, le plus important à mes yeux, est que je comprends maintenant pourquoi elle s'enferme dans sa bulle.
C'est le premier avril deux mille quinze qu'un déclic se fit enfin dans mon cerveau si peu intelligent. On m'a dit que ce jour-là, c'était son anniversaire, et que cette demoiselle au vernis écaillé aurait plutôt préféré que ce soit une bonne blague.
C'est triste, à vrai dire, tu ne trouves pas ?
Enfin bon, chaqu'un à son avis là-dessus, mais quand même, ne trouves-tu pas ça démoralisant, de voir qu'une jeune fille pleine de charme aurait voulu ne jamais naître ?
C'était donc ce jour là, que j'ai compris. Comme d'habitude, j'ai vu cette fille si triste à l'arrêt du bus de mon village, juste en face de ma maison. De ma fenêtre, je l'observais en toute tranquillité. Jamais elle ne s'est aperçue qu'une personne plutôt curieuse la regardait, essayant de comprendre ses plus sombres pensées durant plus d'une demie heure. Elle s'était assise sur le banc humide, et c'est à partir de ce moment à qu'elle est partie dans son monde bien à elle. Elle a glissé ses écouteurs bleu ciel dans ses oreilles, a rabaissé sa capuche sur sa tête, a sorti son téléphone portable de sa poche pour augmenter le volume de la musique et a ramené ses genoux contre sa poitrine, la tête baissée.
A partir de ce moment, plus aucune personne ne pouvait lui parler, en espérant une quelconque réponse.
Elle pouvait rester dans cette même position durant plusieurs heures, sans bouger d'un poil. Parfois même, je me demandais si elle respirait : elle était aussi immobile qu'une image.
Je la regardais, calculant le temps exacte qu'elle mettait avant de quitter son monde, de montrer un signe, même infime, qu'elle était enfin revenue parmi nous.
De temps en temps, elle pleurait, une, deux gouttes, puis une flopée de larmes.
Alors, je m'étais imaginé ce scénario là : Elle s'asseyait dans un endroit plutôt calme, à l'abris des regards curieux - sauf du mien- et elle rentrait dans son petit monde. Elle restait là-bas durant des heures, peut-être flânait-elle à travers les champs de coquelicots, ou de roses rouges, je ne sais pas, et je ne saurais sûrement jamais.
Et puis, quand elle décidait de revenir dans le monde réel, elle se sentait tellement triste et déçue d'avoir déjà quitté sa petite bulle, qu'elle finissait par en pleurer.
Je ne la comprenais pas vraiment, la petite fille au collant effilé. Je savais juste d'elle qu'elle avait son propre univers, et c'est tout.
Mais un jour, la petite fille aux grands yeux tristes ne vint plus s'asseoir sur ce banc humide. Je suis alors descendu de mon éternelle chaise d'observation. J'ai été faire ma petite enquête personnelle, parce que cette fille, je commençais à l'apprécier. Je voulais la revoir, ne serait-ce qu'une seule seconde, assise sur cet habituel banc, entamant son rituel devenu banal aux yeux des passants, mais devenu si symbolique à mes propres prunelles !
Alors, je suis sorti pour aller rencontrer et interroger les personnes autour de l'arrêt de bus. Certains m'ont répondu par un haussement des épaules, me murmurant qu'ils n'avaient aucune explication rationnelle à sa disparition. D'autres m'ont dit, d'un ton triste, qu'elle avait rejoint les petits anges au ciel.
Pour moi, la petite fille au collant effilé et aux grands yeux tristes est juste restée coincée dans son univers, lors de l'un de ses nombreux voyages, et puis c'est tout.
(750 mots tout pile.)