Définitif
leeman
16 février 1975,
il est tard, et voilà seulement que je commence à retranscrire ma pensée. Aujourd'hui fut un jour émouvant, quoiqu'un peu triste. Sais-tu, cher ami, que la passion entre deux êtres est ce qui m'est le plus beau à ce jour dans nôtre monde ? Il n'y a rien qui puisse surpasser l'amour, rien qui puisse l'égaler autant que l'amour lui-même. Et je lui donne un nom... mais est-ce de l'amour ? n'est-ce pas seulement de l'attirance poussée à l'extrême ? je n'en sais rien.
Entre chacune des phrases que je t'écris, mes yeux contemplent au loin, il fait déjà nuit. C'est triste, n'est-ce pas ? Si tu savais comme je rêve... de beauté... de poésie... d'écriture... et de transcendance... mais rien ne peut me l'offrir, le passé m'a déçu, le présent me déçoit, et je me lamente déjà du futur qui me décevra sans doutes. Oui, cher ami. C'est bien de la tristesse que tu lis là ; ce sont bien mes larmes que tu sens s'imprégner rapidement dans ton pelage tout froissé. Et je n'ai jamais pleuré de joie, jamais. Mais tu as déjà senti ces horribles gouttes te brûler plusieurs fois, je suis désolé de t'infliger cela. C'est de ma faute, il faut que je cesse de faire ruisseler ces cercles translucides.
Aujourd'hui est un jour amer. Un jour ou la vie, ou l'espoir ont quitté ma flamme, ont quitté mon âme. Je n'en reviens pas... Pourquoi elle ? Il n'y a rien de plus cher au monde que tout ce qu'elle a pu me dire, toutes ces belles paroles, tous ses sourires, incroyablement beaux, sensuels... Oui, je l'aimais. Et elle restera pour toujours la première femme de ma vie, celle qui m'a tout appris, à aimer, à pardonner, à devenir grand, à devenir un homme.
Aujourd'hui est un jour sinistre, ne trouves-tu pas ? J'aimerais retourner en arrière, profiter d'elle, de ses bras, de ses lèvres comme si jamais je ne pouvais les perdre... Ah... que j'étais plongé d'insouciance... Je redoutais ce moment, j'avais peur, mais sa voix m'apaisait, et je l'entends encore me murmurer ce qui me faisait frémir ; elle sentait mes frissons sous ses doigts glissant le long de ma peau, le long de mon visage.
Je t'assure, mon vieil ami, il n'y a rien de plus dépitant que de voir la femme que l'on aime allongée sur un lit d'hôpital, ou elle ne peut guère sortir, ou elle est comme condamnée à ne plus sortir. Et je suis resté, ce sont les raisons pour lesquelles je ne t'ai pas écrit durant tout ce mois, j'espère que tu ne m'en veux pas, j'espère que tu comprendras mon désarroi, qui ne sait que prendre de l'ampleur depuis que j'ai quitté ses bras.
C'était dur, de voir les médecins débarquer d'un seul coup, tous autour d'elle, avec leur défibrillateur, avec leurs cris, leurs encouragements... je me souviens...
"restez avec nous, mademoiselle, restez avec nous, vous ne pouvez pas partir, pas encore, il vous reste tant d'années, tant d'amour et tant de désirs à partager..."
Et puis je les ai vus s'éponger le front d'un coup, avec ces tissus, déjà noircis par la mort. Est-ce pour autant un signe ? Je ne sais pas. Je suis perdu. Il n'y a rien qui, sur le coup, a pu exprimer ma pensée.
Je ne me souviens même plus de mon état, ni de quoi j'avais l'air... J'étais sûrement transparent, les yeux vidés de tout sentiment, de toute volonté, et le visage dans les mains, suant, pleurant.
Et pour ainsi dire, il faut noter une dernière chose. Vois-tu mon cher ami, je n'ai jamais cessé d'aimer celle qui me rendait tant heureux ; il n'y a rien de plus horrible que l'impuissance et le doute. Je n'ai rien pu faire. Elle est partie, et ça ne fait que quelques heures, vois-tu, mais j'ai cette impression d'éternité. Cette impression que tout est fade, sans goût, inutile. Même écrire me donne la nausée, je m'efforce d'embellir mes mots pour que tu me comprennes... Mais j'aurais très bien pu dire "copine, partie, espoir, nul", ça aurait été tout autant compréhensible...
Oui, je m'égare, je me perds et je ne sais plus ce que je dis.
Je t'aime, Jody, et même si jamais tu ne liras ceci, même si les années et les siècles passeront sans que tu saches que j'écrivais pour toi, sache que je t'aime, interminablement fort. La beauté d'un lever de soleil, la beauté de tous les astres, ou la beauté de toutes les galaxies combinées n'est jamais si belle pour refléter notre passion, et l'amour que j'éprouve pour toi. Tu es tout ce que je désire, tu es tout ce que j'admire ; j'aimerais tant cueillir ta bouche à nouveau, tant te dévorer des yeux, et te voir rougir, te voir heureuse.
Aujourd'hui est un jour affligeant, ne trouves-tu pas, mon vieil ami ?
A.P.