Demain ce sera super !

Marie Laure Bousquet

C’était une journée comme les centaines d’autres qu’il avait déjà vécu. Il se pencha cherchant un nom sur sa liste.

De la fenêtre le soleil vint frapper la tablette et l’image disparut à moitié sous l’empreinte ronde de milliers  d’index. Malgré tout sur l’écran, le nom d’un des enfants apparut en surbrillance.  Soupirant, semblant se souvenir d’un détail il s’adressa à la classe.
-           J’ai trouvé, … une fois de plus !.., oublié au fond de la classe, une cape … rien que ça ! Le symbole même de votre prestigieuse future fonction !
Le professeur qui venait de dire cela se retourna vers un des élèves. Son regard insistant attendait une réponse. Ce dernier finit par dire

-           oui m’sieur, c’est moi,

Le professeur fronça les sourcils et lui tendit l’étoffe bleue ou une magnifique lettre jaune d’or, un s géant, se découpait en son centre.

-     Clark, je vous préviens, c’est la dernière fois !... je pense que vous ne prenez pas vos études suffisamment au sérieux. Vous ne m’avez toujours pas donné votre compte rendu de stage, qu’en est-il ? 

-     Je n’ai pas commencé.

-     Tiens donc, comment cela ?

-     Je n’ai pas trouvé de veuve.

Le professeur inspira profondément cherchant visiblement à se calmer, il demanda.

-     et l’orphelin ?

-     Ha ça, oui, j’en ai un, ce n’est pas la question…

Il marmonna :

-          De toute façon, ces devoirs c’est du bidon, y a longtemps qu’on ne cherche plus à sauver de veuve et d’orphelin, ça me servira à rien dans ma vie. Tout ça c’était du temps de la préhistoire…pourquoi est-ce que je n’ai pas à arrêter un train en pleine vitesse, ou bien un robot destructeur dévoreur de neurones ?

Un cri  s'éleva. Le professeur se retourna vers le garçon élastique qui avait passé son bras entre les bureaux et qui avait semble-t-il tripoté la fille plante verte. Celle-ci l’avait piqué cruellement avec une de ses épines venimeuses et la main du garçon tremblait paralysée.

-     ça suffit ! Vous êtes infernales !

Cria-t-il vers le jeune homme qui secouait sa main en grimaçant

-     - infernaux ! Vous voulez dire…

Celui qui avait dit cela à son oreille dans un courant d’air, avait disparu. Le professeur scruta le fond de la classe pour dire en regardant dans les yeux le petit Flash qui semblait très sage.

-     je vous ai reconnu Monsieur Gordon, la manière dont vous utilisez votre capacité à vous déplacer à la vitesse de la lumière ne vous fait pas honneur ! Vos remarques vous coûteront une retenue. Si vos ancêtres vous voyaient !

Le mot désuet « retenue » souleva un petit rire général, mais le maître ne releva pas. Un peu vexé il ajouta en revenant à l’insolent héros qui donnait des leçons de grammaire inappropriées au vieux professeur.

-           De plus, vous me rédigerez un discours pour exhorter une foule à reprendre ses esprits, on dira que …jusque-là ils étaient embrumés par les émanations incandescentes et pestilentielles d’une créature irradiée…hum… qui tentait de prendre le contrôle de la terre ! Voilà !

Le jeune garçon pris un ait offusqué et souffla que cela n’était pas juste. Le maître rétorqua

-     peut-être… si vous allez au bout de vos études …ce qui n’est pas aujourd’hui évident… serez-vous un jour responsable de ce monde et aurez-vous le devoir de faire régner la justice ! En attendant vous me ferez cent tours du globe terrestre, sur un seul pied, cela vous apprendra à souffler. Vous vous trouvez si rapide que cela ne devrait pas vous couter beaucoup de votre temps !

-     Quand à vous monsieur Kent,

Il ne l’avait pas oublié.

-   Il va falloir être un peu plus dégourdi, vous avez jusqu’à demain pour me rendre votre devoir.

-     Demain !

La sonnerie qui indiquait la fin des cours déchira le silence. Celui qui possédait des sens super décuplés fit la grimace. Le professeur soupira en le regardant, il se demandait à quoi pourrait lui servir de tels dons.

 Il repensa à cette époque quand il était encore en exercice, chassant les dragons et sauvant les princesses en danger, on l’appelait alors « Monsieur Merlin le magicien » avec respect. Devant la réussite qu’il avait obtenue dans l’éducation d’un jeune roi, il avait été contacté pour donner des cours dans cette école de formation de super héros.

 Mais les temps avaient changés, aujourd’hui l’argent comptait plus que le talent. Le look n’avait plus rien à voir avec le passé, la tunique flou légèrement baba cool, avait été remplacée par le vêtement qui collait de manière presque indécente au corps, Merlin trouvait que l’avantage était que malgré tout, les jeunes étaient ainsi obligés de suivre les cours de sport assidûment pour ne pas apparaître trop décharnés ou bien trop gras dans ces tenues. Le fluo avait remplacé le pastel fleuri, et déjà on songeait à des tenues  plus naturelles dans des matières recyclables. Des couturiers renommés avaient même été contactés, le monde évoluait à grande vitesse.

 Merlin sortit le dernier. Il pensa que le petit n’avait peut-être pas tort, il faudrait sans doute revoir l’énoncé des devoirs pour les réactualiser, sauver la veuve et l’orphelin cela paraissait un peu dépassé, pourquoi ne pas dire

« Votre mission : Sauver une jeune mère divorcée et son enfant traumatisé  dont les membres de la famille éperdus de culpabilités de toutes sortes, chacun pendu à sa bouée respective d'alcool de cigarette ou de nourriture sont tous plus ou moins dépressifs… !»

Merlin se dit que cela méritait réflexion et se demanda s’il ne valait mieux pas fabriquer des super « psys »  et il disparut pour rentrer chez lui dans son arbre géant à Brocéliande.

C’était une journée comme les centaines d’autres qu’il avait déjà vécu.

…fin

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