Demain ce soir avant Episode 11

Magali Gasnault


Les premières lueurs du jour apparaissent. Sur la pointe des pattes, je quitte le grenier aménagé. Onyx après avoir plusieurs fois tournicoté dans son pageot, a enfin réussi à trouver le sommeil. Toutes mes révélations l'avaient pas mal secouée. Elle avait copieusement pesté contre moi, contre Zéphyr, contre la terre entière qui s'acharnait à l'empêcher d'écrire. Désespérée, elle s'était évertuée, pendant plusieurs heures, à surfer sur Internet. En quête d'informations sur Gourdon, Venise et tutti quanti. Rien de bien concluant, au demeurant. Moi, je n'avais cessé de mater Zéphyr qui depuis son amas de cageots, sous le bureau d'Onyx, me narguait. Allongeant son maigrelet cou hors de sa carapace, il mâchait consciencieusement quelques feuilles de laitue. Dès que je faisais mine de m'approcher de Zéphyr, Onyx me crucifiait du regard. Mais, tu ne perds rien pour attendre, mon coco. J'arrive, je me radine, discrétion assurée. Et s'il faut te tordre le cou et t'arracher la carapace, pas de souci. J'en ai soupé du XXI° et de la félinité.

Je renifle l'odeur âcre des écailles de Zéphyr. Il recule. J'avance la patte. Il se terre contre le bois du cageot. J'y suis presque. Au moment où l'une de mes griffes effleure la carapace, un grésillement atroce me transperce les tympans. Je suis éjecté à l'autre extrémité de la pièce. Et en prime, j'ai le pelage qui fume comme si la foudre m'était tombée dessus.

Onyx débaroule aussi sec.

- Picolo ! Qu'est-ce que tu magouilles ? hurle-t-elle. Tu as pris le jus ?

Je lui balance un regard torve.

- C'est Zéphyr le coupable. Elle est vraiment zarbie, cette bestiole. Une centrale électrique à lui tout seul.

- Tu connais le principe de l'électricité !

- J'ai beaucoup appris en quelques jours. Sur ce, je vais me refroidir. Sous une douche glacée ! La senteur poil cramé, j'ai connu mieux.

J'y crois pas ! Un chat qui va prendre une douche ! Un chat qui cause avec un accent rital à couper au couteau ! Un chat qui n'est pas un chat ! Et pour couronner le tout, une tortue branchée sur du 220 volt ! Je sors m'aérer dans le jardin. J'aperçois le toit de l'Eglise Saint-Pierre. Si ça se trouve, le piaf qui vient de s'y poser est un espion anglais. Pourquoi anglais ? Et pourquoi pas ? Les anglais pullulent dans le Lot ! Sans compter la Guerre de Cent An, Margaret Thatcher et j'en passe. Avant que je ne devienne complètement zinzin, je dois me débarrasser de Picolo ! Mais avant tout, direction la douche ! Dès que Picolo aura terminé ses ablutions, bien sûr !

 

Depuis maintenant six ans que je possède cette maison à Gourdon, je ne suis jamais rentrée dans la droguerie - quincaillerie serrée entre la librairie et un charmant troquet. Je lorgne la vitrine. Opinels de toutes les longueurs, rideaux, tapettes à mouches, insecticides. Rien qui ne soit digne d'intérêt pour que je puisse engager la conversation. Jusqu'à ce qu'un objet accroche mon regard. Parfait ! J'entre dans la petite boutique. Une odeur de produits d'entretien flotte dans l'air.

- Bonjour ! Vous désirez ? me demande un homme longiligne, les yeux pétillants.

- Ma cafetière électrique vient de me lâcher. Et je vois en rayon quelques cafetières italiennes. Des Bialetti, je crois ? demandé-je en posant mon sac à dos contre une étagère.

- Le top du top ! Pour déguster un café succulent, vous ne pouvez pas mieux choisir ! Vous aurez l'impression d'être à la terrasse d'un café à Florence ou à Sienne. Tenez ! Je vous invite à boire un kawa au bistrot d'à côté. Myriam possède quelques Bialetti justement. Je n'ai pas beaucoup de clients depuis ce matin et une pause, cela ne se refuse pas. Andiamo !

Et flûte ! Moi qui espérais fouiner dans la droguerie le temps qu'il me dégotte le bon modèle de cafetière !

- N'oubliez pas votre sac à dos, me lance-t-il alors que je suis déjà sur le trottoir.

Reflûte ! Avec un sourire contrit, j'empoigne le sac. Picolo va finir par mourir asphyxié.

- Vous parlez italien ? dis-je en m'installant au comptoir.

- Trop peu. Myriam, deux cafés bien ritals, s'il te plaît ! Vous habitez Gourdon ?

- Pour les vacances seulement. J'ai une maison sur la butte. Je m'appelle Onyx Despues.

- Ange Léon, quincailler de père en fils, ou presque. Plus exactement depuis que mon grand-père a quitté l'Italie à  cause de l'arrivée au pouvoir de Mussolini. Le fascisme, c'était pas vraiment tendance dans la famille Leonetti. Nom qui s'est transformé en Léon.

- Vous êtes originaire d'où exactement ? J'adore l'Italie.

- De Murano. Une île en face de Venise. Vieille famille travaillant dans la fabrication du verre. J'ai réussi à  constituer l'arbre généalogique, dit-il content. 

Je me  demande quand est-ce que je vais pouvoir quitter la compagnie de ce brave Ange. J'approche mes lèvres de la tasse brulante.

- Et je ne suis pas peu fier. J'ai réussi à remonter jusqu'au XII° siècle. Je vais vous montrer !

Il s'élance vers sa boutique et j'ai à peine le temps d'engloutir une nouvelle gorgée de café qu'il dépose sur le comptoir un joli cahier relié en cuir rouge. Rapidement, il tourne les pages. Un nom alors me saute aux yeux et je manque de m'étouffer.

- Qu'est-ce qu'il y écrit ? j'interroge. Faut que je prenne mes lunettes .
-  Dondoli Gino ! La branche cousine. Et la seule pour qui il me manque la descendance.

- Ah bon ? je couine. Pourquoi donc ?

- La peste de 1576.

Je suis au bord de l'apoplexie. Il me faut un autre café.

 

A suivre…..

 

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