Demain, j'arrête.
Oskar Kermann Cyrus
Vous ne savez pas ce qu'est la page blanche. Ce syndrome dont tout le monde parle comme d'une chose tellement romantique. La page blanche, ce n'est pas ne pas être inspiré. Ce n'est pas ne rien avoir à dire. C'est tout le contraire. C'est le volcan chaos dans la tête qui frappe très vite très fort sur les parois du crâne, cette envie vomitive de crier hurler, de tuer quelqu'un, parfois, de faire mal, de faire taire cette douleur la douleur atroce le poids du vide des mots qui s'accumulent sans vouloir s'ordonner s'espacer, sans vouloir partir d'un bon pied en rang par phrases, j'en sais rien, qui ne veulent pas sortir correctement la page blanche c'est être nu dans le vide, terriblement conscient d'être seul, et ressentir quand même la honte.
C'est un souffle bizarre. Qui vient après la tempête. "Demain, j'arrête". Tout. Je jette la plume dans un fossé comme on dépose les armes. "Demain j'arrête". Et puis c'est facile, c'est jeté comme ça, ce "Demain, j'arrête." un peu définitif, un peu seulement puisqu'on le sait ce putain de "Demain, j'arrête" n'est qu'une promesse au vide tout autour le mal va finir par nous reprendre, par nous reprendre, par me reprendre en otage. Il faut que j'arrête. Mais le besoin reste.
"Demain, j'arrête." est une phrase éternelle. L'horizon que l'on n'atteint jamais. L'ordre éphémère illusoire d'une petite phrase conne comme "bonjour" c'est-à-dire qu'on prononce sans penser sans rire même, on le dit parce que ça se dit, c'est ce qui se dit "bonjour" comme un "Demain, j'arrête" ou l'inverse, finalement, ça n'a pas de sens.
"Demain, j'arrête." mais je sais que je suis une machine incontrôlable. Terminer, terminer, la plume plantée dans la gorge, à saigner par de l'encre au-delà des mots qui s'écouleront en flaque, à pleurer comme un idiot sur le quai si stupide de ce nouveau port. "Demain, j'arrête." promesse d'un crash, accident d'ivrogne, la gueule écrasée sur cette pute de feuille blanche, les yeux bousillés à fixer la lumière non pas le soleil mais ces néons blancs ceux qui éblouissent et donnent envie de dormir de fermer les yeux de se laisser aller à s'emporter par le vent d'un dernier souffle, un souffle étrange qui s'en va par un "Demain, j'arrête." de dernier recourt.
Demain, j'arrête. Je promets. J'arrête, demain, je pars. Je m'en vais. Demain, j'arrête. Demain. J'arrête.