Dépression joliment féminine.

exacerbere

"J'ai vraiment envie de me foutre en l'air."

C'est accompagné d'une lourde bouffée de cigarette que la nouvelle lui était sortie aux travers des lèvres. Il lui avait tout de même fallu une conversation banale de plusieurs heures avant qu'elle me sorte ce qui la tracassait. Et pourtant, la phrase avait été dit de manière anecdotique, telle une simple constatation. Comme vous auriez pu dire "tiens, il pleut" ou "chéri, le pot de mayo' est vide" (quoique... avec le bon ton cette phrase n'avait plus rien d'anecdotique et pouvait gentiment signifier quelque chose comme "putain, t'aurais pu en racheter quand même espèce de flemmard"). C'était comme ça avec Christine. Ah. Christine. Une belle brune de même pas la vingtaine et qui pourtant, pourrait vous parler pendant des heures du fait qu'elle n'aurait jamais de futur, ou pas bien brillant si toutefois elle en avait un. Elle pouvait vous dire en souriant pourquoi elle voulait se "foutre en l'air" ou encore en pleurant pourquoi elle n'aurait jamais le courage de le faire.


"Tu en as parlé à quelqu'un à part moi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?"


J'avais adouci au possible ma voix. Elle était étalée au fond de sa chaise en mode larvaire, le regard vide. Elle resta silencieuse, le temps de réfléchir. C'est dur de mettre des mots sur le bordel qui nous ronge de l'intérieur quand il est trop grand et lourd, après tout.  


"Tu sais bien qu'à part toi, je n'ai personne à qui dire ce genre de trucs. Et c'est jamais parti, ma dépression. Pourtant, je te promets que j'essaie."


Des larmes se glissèrent dans son regard pendant qu'elle regardait l'horizon. Elle ne supportait pas ses instants de faiblesse mais encore moins d'y être confrontée face à quelqu'un d'autre. Un jour elle m'avait dit que mes yeux la tuaient. "Tes magnifiques yeux noirs remplis de patience, de sincérité et d'inquiétude. Ils me tuent un peu avec leur magnifique profondeur. Quand j'ai envie de pleurer et que je les croise, ça me fait encore plus mal que d'y voir de la haine ou du mépris. Ils me font réaliser à quelqu'un point je suis faible et je me sens coupable de t'exposer comme ça mes craquelures". Je n'avais pas su quoi lui répondre alors je l'avais prit dans mes bras (de manière très maladroite je le reconnais), sans rien dire (je ne suis parfois qu'un idiot pantois qui essaie de faire de son mieux) pendant qu'elle explosait en sanglots. Cette conversation m'avait marquée.


"Le matin. Le soir. L'après-midi. J'essaie de faire ce que font automatiquement les autres : prendre de l'air pour respirer et ne pas y penser. Mais, tom'. J'en peux plus. Et au fond j'y pense. C'est dans chaque geste quotidien. Quand je me déshabille pour me laver, j'imagine l'eau devenir sombre. Quand je prends les transports en commun, je me tiens tout prêt de la limite blanche, fantasmant sur le bruit que ferait mon corps en étant projeté à toute vitesse contre les rails. Quand je me couche, je prie pour qu'il n'y ait pas de réveil. Quand je me réveille, j'espère ne pas avoir à me coucher les larmes dégringolant des joues. Je ne veux pas prendre du repos pour vivre une nouvelle journée. Le repos auquel j'aspire est éternel."


Nouveau silence déconcerté ponctué de nouvelles bouffées de cigarettes.


"Et je m'en veux pour te parler de tout ça. J'ai envie d'exploser toute seule dans mon coin. Et c'est lourd. Et sans toi j'exploserais. Mais t'es là. Je comprends pas. C'est douloureux que tu sois là parce que tu m'aides à vivre. Alors que tout ce que je fais... C'est être un putain de poids mort, qui sait pas comment sourire".


Son ton était cassé et avait en même temps une pointe d'incrédulité et d'incompréhension.


 "Pourquoi est-ce que tu ne t'es pas dit que j'étais juste une tarée dépressive ? Pourquoi est-ce que j'ai un ami comme toi alors que je ne mérite pas et que je te fais perdre du temps avec mes conneries ? Je te le jure. Je te le jure vraiment. Je suis désolée de pas pouvoir te rendre tout ce que tu m'apportes."


Des larmes coulent de ses yeux. Elle ne les remarque pas. Ses yeux se fixent désespérément sur la baie vitrée du café. Elle n'attend pas de réponse mais elle ne sait pas quoi dire, elle a l'impression d'en avoir déjà trop dit. Comment ne pas avoir envie de la rassurer ?


"Parce que tu es quelqu'un de bien et que ce n'est pas de ta faute, tout ce qu'il t'arrive. Tu n'as pas à t'excuser. Après tout si je suis là, c'est aussi de manière purement égoïste. Je tiens à toi et je ne veux pas te perdre, alors c'est mon devoir d'empêcher de craquer, non ? Puis... Avec toi, je ne perds jamais mon temps. Tu remues des trucs en moi avec ton sourire, tes larmes, avec tes pensées et tes émotions à m'en faire palpiter le coeur. Et je ne t'estime que d'autant plus. Je ne prétends pas pouvoir te réparer. Mais quand je t'apaise... ça me donne envie de te prendre dans mes bras. De ne plus jamais te lâcher. De te dire que je serai toujours là pour te protéger. Alors non, tu ne me fais pas perdre mon temps." 


Elle essuie ses larmes. Reste sans rien dire. Après un certain temps son regard redevient neutre et elle plonge ses yeux dans les miens.


"Si seulement je pouvais aimer un type comme toi. Si seulement... tu pouvais être plus qu'un ami. Tout aurait été plus simple. C'est fou. J'ai trouvé une personne aussi extraordinaire que toi, l'homme parfait pour bien des femmes et pourtant bien que tu sois celui qui m'ait le plus aidé, celui qui mériterait tout mon amour, je ne pourrais jamais t'aimer. Je suis un putain de monstre tandis que toi t'es un ange trop bon pour reconnaître ma laideur et partir. Je sais que je ne fais que te blesser en te parlant et pourtant je n'arrive pas à me passer de toi parce que je suis faible et égocentrique. C'est ça la vérité."


Je détestais quand elle en venait à ces moments de haine. Quand elle exprimait son dégoût envers elle-même et qu'elle m'idolâtrait alors qu'elle et moi n'étions rien de tout ça.


"Christine... Il n'y a pas de honte à aimer un homme ou une femme. Certaines choses sont inchangeables, l'amour en fait parfois parti. Et s'apitoyer dessus ne changera rien, il y a certaines choses qu'on ne peut tout simplement pas décider. Je ne crois pas en Dieu. Mais je sais que toi, si. Alors... Tu devrais peut-être penser que ce qui est inchangeable fait probablement parti de sa volonté. Que ce qui est là au départ et ce qui est inexplicable, c'est lui qui en a décidé ainsi ?"


J'avais marqué un temps d'hésitation. Je n'aimais pas vraiment ce que j'étais en train de dire, préférant les preuves scientifiques et considérant tous les croyants comme étant un peu joyeusement taré pour croire qu'il y avait autre chose que du hasard cohérent et de la logique en ce bas monde. Mais bon, il fallait dire ce qu'il fallait pour lui remonter le moral. Sans compter que derrière l'idée de Dieu, les gens cherchent souvent du réconfort et une force qu'ils ont du mal à trouver autre part, non ?


"Et le fait que tu n'aimes pas un homme ou une femme... ça aussi, ce n'est pas regrettable. Car quelqu'un d'autre l'aimera. Quelqu'un d'autre m'aimera. Je ne regrette pour autant pas de t'aimer."


Petit sourire triste. Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait ces mots.


"Et c'est parce que je t'aime que je veux te voir heureuse. Je sais que je ne pourrais pas faire partie de ta vie comme je le voudrais, mais je veux te voir avec un gigantesque sourire, pendue aux bras d'une magnifique femme (enfin pas trop quand même hein, sinon je vais être jaloux du fait que t'aies dégoté une nana aussi belle) ! Ça me rendrait heureux de te voir enfin avoir ce que tu mérites. Alors en attendant que tu trouve cette petite chanceuse là, je serai là pour t'empêcher de faire des bêtises. Puis... Qu'est-ce que je ferais sans toi ? A qui je pourrais demander à trois heures du mat' (sans scrupule et en étant bien imbibé d'alcool) quel est le temps de cuisson d'un oeuf à la coque ?"


Petit rire amusé de sa part, c'était une anecdote amusante qui revenait souvent entre nous... Bien que secrètement, je regrette de ne pas avoir trouvé plus cohérent le fait de taper ladite question sur google au lieu de la réveiller aussi tard. J'étais vraiment sacrément torché.


"Ce qui me blesse c'est uniquement le fait de voir que tu vas mal... Et pour rien au monde, je ne voudrais t'abandonner à tes soucis. Je sais que ça a été dur et que c'est encore dur."


Je pris sa main dans les miennes et je la regarda droit dans les yeux.


"Mais on est pas des meilleurs potes pour rien. Ce qui est arrivé avec tes parents n'est pas de ta faute. Tu as le droit d'être heureuse. Et je te garantis qu'un jour, on trouvera tous les deux une femme au sourire étincelant. Puis on se rappellera à quel point tes vieux étaient cons. Puis j'essayerai d'arrêter de boire comme un trou le week-end et t'essayeras d'arrêter de fumer, on aura du mal et ça nous fera bien rire de penser au temps où on était jeune et con. Même si ça peut prendre du temps de vieillir, ce moment arrivera. Alors en attendant, tu n'as pas le droit mais le devoir de continuer à me parler quand ça va pas très bien, ok ?"


Elle baissa ses yeux un peu rouges. Et me regarda avec un sourire vrai, un de ceux qui vous fait bondir le coeur.

 

"Oui. Merci tellement d'être là, j'ai vraiment de la chance pour t'avoir rencontré."


Bon dieu. Je ne crois pas en vous, mais ce que je regrette parfois de pas être une femme depuis que j'ai rencontré cette fille. Aaaah vraiment. Je pourrais en faire une dépression de cause joliment féminine !

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