depuis que...

Henri Gruvman

DEPUIS QUE...

 Depuis que j'ai pris connaissance  d'un concours de nouvelles sur un certain thème, ça ne va plus du tout. Je suis pour ainsi dire envahi par ce thème ou plutôt  obs... obnubilé par un mot. Au début ce n'était qu'un début. Ce mot venait régulièrement me visiter  et je le chassais  assez facilement. Ce n'est plus le cas. Maintenant il m'obs... ne m'obéit plus. Il s'installe sans vergogne en moi.  Je dois lutter. Il  faut que je lutte afin qu'il n'établisse pas  son  pouvoir absolu. C'est ce qu'il veut. Qu'une force inconnue veut. Un corps à corps  désespéré  avec l'abêtissement, la réduction, la décomposition, voilà ce que je vis, depuis que...   Ma tête est devenue un champ de bataille où s'affrontent deux armées. L'armée riche, variée, illimitée du vocabulaire contre une armée de soldats  qui se ressemblent tous et portent le même nom. L'armée du même nom  qui tue tout ce qui ne lui ressemble pas. Mes mots - combattants périssent un à un.  Parfois  à force d'obstination, d'attention, je réussis à en faire revivre un.  Je le remets debout tant bien que mal, je l'envoie au combat, et il disparaît. Qu'est-il devenu ? Où est-il passé? Il faut que je comprenne  ce phénomène, ce phonème, ce baptême, qui m'aime me suive... où en étais-je ? Ah! oui je suis obsé... Non je ne  le suis pas. Obséquieux, oui ! Je suis un obséquieux, un observateur obséquieux, voilà !Un obtus  obsolète peut-être. Obscène peut-être aussi. Oui. Mais déterminé à ne pas... ne pas... ça ne veut rien dire ? Peu importe. Je tente  une manoeuvre de diversion. Vous allez comprendre la manoeuvre. Il faut que je lâche la bride  à mon imaginaire, à  mes associations pour échapper  à la dictature d’un mot !  Comprenez, je n'écris pas  pour faire joli, mais  pour échapper à…à… voilà le mot s'est évanoui.   Ce mot disparu devient obsé... je le cherche désespérément et… devinez ce qui surgit, ce qui  m'envahit ? Vous avez compris, n'est-ce pas ?  Il faut que je vous fasse un dessin, un câlin, un chagrin, un taquin... Vous le devinez, non, le mot qui  m’assaille ? Tout ce qui va se produire ici n'est pas le fait, la fête, le pet, le pénis, le jet d'une mauvaise impression, mais la réalité de ce qui se passe dans ma tête, en pleine  ébullition, contraception, altération, aliénation...  les mots, les cageots, les ragots, les tout va à vau l’eau, tout ça quoi… je n'y arrive plus. Le carnaval, le sexe, je n'y arrive plus. Les mots  ne sont plus à leur tasse, à leur  casse... je veux dire à leur base.... à leu place. Voilà. Un seul mot me vient et c'est... non. Je ne veux pas. Je ne le dirais pas. Je ne l'écrirais pas non plus. Ma main a dû mal à résister  et ne veut plus m'obéir. J'ai beau le reboiser, le décoiffer... non ce n'est pas ça ! J’ai beau le guillotiner. Non plus. Le dégoupiller, le fouiller, le marteler?  Oh ! Oui ça martèle.  Comme ça martèle dans ma tête avec toujours le même, le même, le même mot qui me veut tout entier à lui. Ça suffit. ! C'est un carnaval. Je l'ai déjà dit, mais  c'est bon de le repérer. Ma manœuvre est la répétition et l’association. Je mets toute mon attention à repousser... voilà le mot.  Repousser. Repousser quoi ? Repousser l'irruption dans ma pauvre tête, ma pauvre quête, ma baguette, ma raquette, mon alouette, ma silhouette  en cacahuète, ma brouette... l’irruption d’une  brouette du même mot sur moi renversé.Et la peur, la  terrible peur d'être enseveli... Voilà le hic, le chic, le tic, la nique, le diktat d'un seul mot. Il va se remettre à taper, à réclamer sa part du gâteau. Mon  moi tout entier, il le veut.  Je vais bientôt l'entendre, portée par mille voix, par mille doigts d'honneur, d'horreur oui.   Mes mots, me s pauvres mots me fuient. Je  n'en peux plus. J'ai beau résister encore un peu, ça  ne va pas durer. Je m'abandonne.  Qu'il m'envahisse, qu'il m'ensevelisse, qu'il me domine et me réduise  en chair à pâtée, ce sale mot. Bientôt je ne serais plus capable d'écrire autre chose que lui. Ça crie dans ma tête inlassablement. Il veut sortir de ma main  maintenant, tout de  suite  et s'écrire. Je ne puis plus le retenir. Il est là et bien là. Je suis son esclave. Il n'y a plus qu'à l'écrire. Obsession, obsession, obsession, obsession, obsession, obsession, obsession… 
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