Dérive sentimentale
manou-croze
« On a frôlé la vie ! »
Assis sur les rochers côtiers, il voyait apparaître son visage dans les flots. Le vent lui murmurait à l'oreille qu'elle reviendrait irrémédiablement, que rien n'était fini. Ses yeux demeuraient fixés sur un horizon passif, restant muet et source d'espérance. Les formes évasées se dessinant sur la mer lui évoquaient ces douces nuits durant lesquelles, cachés sous les draps, il avait découvert la beauté exquise de cette vagabonde, avec laquelle jamais personne ne saurait rivaliser. Alors il attendait, patiemment. Un jour peut être surgirait-elle de l'ombre, et les deux amants seraient à nouveau réunis. Un jour peut être, les premiers rayons de l'aurore caresseraient sa joue, alors il ouvrirait les paupières et verrait sa silhouette lui faisant face. Les paroles leur seraient inutiles, et ils se contenteraient de s'observer plusieurs minutes, alors de se blottir l'un contre l'autre.
Un soir d'hivers, alors que la neige voilerait le jardin endormi par le froid, elle plaquerait son front sur la fenêtre glacée, se demandant ce qu'il était advenu de l'homme qui fut son premier amour. Une plainte enfantine viendrait perturber le fil de ses pensées, réclamant l'heure du dîner. Elle irait alors préparer les mêmes plats qu'elle cuisine depuis la naissance de son premier fils, sans passion ni attachement à la créativité dont elle savait pourtant faire preuve autrefois. Elle servirait les trois enfants en affichant un sourire menteur, et se tairait en entendant leurs remarques désobligeantes sur la nourriture servie. Elle lirait en eux les mêmes défauts que son exigeant mari, que n'était lié à elle que par l'encre et le papier. Le soir, elle ne pourrait fermer l'œil avant que cet homme ne rentre, tardivement, comme à son habitude. Elle attendrait alors qu'il s'endorme pour se lever et retourner enfin contempler le ciel de sa fenêtre, le priant de lui accorder la vue de son amour passé une dernière fois. Elle réaliserait alors que sa vie n'est pas la sienne, qu'elle n'est qu'une pièce dans un mécanisme fatigué, sujet aux cruels effets du temps. Elle prendrait une profonde inspiration, puis fuirait son quotidien. Elle ne laisserait aucune trace, si ce n'est celle d'une absence regrettable dans le foyer, et elle partirait à sa recherche. Alors peut-être le trouverait-elle en contemplation devant l'océan. Peut-être qu'elle pleurerait, ou rirait, ou les deux.
Il fut une histoire dans laquelle deux jeunes gens frôlèrent le bonheur, mais l'absurde de leur existence leur en priva. Il fut une vie, fictive ou réelle, dans laquelle deux âmes s'aimèrent mais que le destin ne secourut pas.
J'aime beaucoup, et il y a dans ce texte une grande sensibilité qui me touche !
· Il y a environ 9 ans ·ade
Merci beaucoup, ravie que cela vous ait plu! :)
· Il y a environ 9 ans ·manou-croze