Derrière l'objectif
laironessa
Synopsis :
Audrey vient de se faire larguer par son fiancé, deux jours à peine avant leur mariage. Au lieu de se morfondre dans son coin, elle décide de partir en vacance et de prendre sa nouvelle vie en main. Après tout, elle a posée ses cinq semaines de congés pour partir en lune de miel et elle compte bien les utiliser. Son but ? Se retrouver, se recentrer sur elle et développer son rêve de devenir photographe. La seule chose qu'elle veut c'est oublier son célibat soudain, s'éloigner des coups de fils et ne pas se laisser sombrer dans la tristesse.
Si n'importe qui aurait choisi une île paradisiaque, Audrey préfère cibler un petit village montagnard des Pyrénées où ni réseau ni wifi ne passent. Arrivée dans une maison d'hôte aussi chaleureuse et accueillante que leurs propriétaires, Audrey va vite oublier ses tracas de la vie quotidienne. Leur fils, surtout, va se charger de lui changer les idées en lui faisant découvrir les environs. Se retrouver perdue au sommet d'une montagne, entourée de moutons, à plusieurs kilomètres de la civilisation avec le berger le plus silencieux, le plus solitaire, le plus têtu, et pourtant le plus charmant qu'elle ait rencontré dans toute sa vie va lui donner ce qu'elle est venue chercher, et plus encore. Sa barbe de quelques jours, sa carrure de bûcheron, sa peau bronzée par le soleil et ses yeux de la couleur du ciel vont bientôt transporter Audrey dans un monde où rien ne se conçoit comme en ville. A son contact, elle va découvrir le sens du vrai bonheur, de la convivialité, de la passion, de l'amour et de la simplicité. Il commencera par devenir son projet photographique avant de s'inviter dans ses rêves les plus intimes. Un simple contact physique est c'est tout une décharge de plaisir qui l'envahit. Lorsqu'il pose ses yeux sur elle, elle devient le centre du monde. Petit à petit, elle va se mouler à lui, respirant l'air qu'il expire, accordera les battements de son cœur à sa fréquence, deviendra liquide pour se confondre avec le bleu de ses iris. Et si son ex-fiancé avait raison, si l'homme de sa vie se trouvait ailleurs? Et si rien n'arrivait par hasard? Et si c'était finalement l'amour qui se développait derrière son objectif ?
Personnages principaux et secondaires :
Audrey : Audrey est une jeune femme de vingt-trois ans, jolie sans être trop belle, grande sans l'être trop ni pas assez, mince sans être anorexique, elle a des cheveux auburn qui ondules naturellement, des yeux verts foncés et une peau de rousse qui brûle plus qu'elle ne bronze. Elle travaille en tant que pâtissière chez un traiteur de grands événements. C'est une femme souriante, pleine de vie, fraîche et pétillante, un vrai rayon de bonheur. Très sensible aux choses et rêveuse invétérée, elle parcourt le monde avec son appareil photographique pour retranscrire de la poésie en images. Elle a de l'humour et enchaîne facilement les scènes cocasses. Fraîchement larguée, elle refuse de se laisser abattre et prend sa vie en main, prête à réaliser ce que six ans de vies communes l'ont empêchés de faire. Elle va se sentir pousser des ailes, se sentir capable de faire beaucoup de choses. Ayant le cœur brisé, elle ne pensait pas qu'elle tomberait si facilement dans les bras du premier venue. Même si un lien fort et étrange la lie à cet inconnu.
Alexandre : Alexandre est un homme de trente et un an, grand, musclé et svelte naturellement à cause du travail physique, (il a quand même une allure de bûcheron plus que de mannequin), il est châtain clair, a des yeux bleus clairs, une peau légèrement bronzé par le soleil et une barbe de quelque jour selon son humeur. Montagnard pure souche, il ne pourrait jamais quitter sa vallée. Il a grandi dans les pas de son père et se sent à l'aise lorsqu'il est seul avec ses bêtes au milieu de paysages magnifiques. Il ne se verrait ni ailleurs, ni faire autre chose de sa vie. C'est un homme solitaire, distant, peu bavard et têtu au premier abord. Pour ceux qui le connaissent bien, il se révèle être un homme attentionné, aimant, simple, doux, avec beaucoup d'humour. Il aime la nature et les bons repas, les livres, l'orage dans la montagne et sa vie monotone. L'arrivée d'une jolie jeune fille de la ville va mettre sa vie et sa vision du monde à rude épreuve. La solitude ne lui paraîtra plus aussi belle qu'avant.
Alain : Père d'Alexandre, il va pousser son fils dans les bras d'Audrey, se disant qu'une perle rare ne doit pas être mise de côté. Jovial et ayant de l'humour, il sera toujours présent pour remonter le moral des troupes.
Manon : Mère d'Alexandre, elle va être une seconde mère pour Audrey. Elle va pousser la jeune femme dans les bras de son fils, persuadée qu'ils sont fait l'un pour l'autre. Franche, chaleureuse et souriante, elle cuisine de bon petit-plats et trouve toujours les mots justes.
Maman : Mère d'Audrey, inquiète pour sa fille. Elles sont très proches et se téléphone tous les jours. Elle sera un réel soutiens psychologique pour sa fille et éprouvera une certaine réticence face à l'attention que porte Audrey à ce berger.
David : Ex-fiancé d'Audrey qui, prit de panique, a préféré la quitter deux jours avant leur mariage. Tout à coup libre, il va enchaîner les conquêtes jusqu'à s'apercevoir qu'il a perdu à jamais celle qui était faite pour lui. Il va réapparaître pour la conquérir à nouveau.
Pierre : Frère d'Alexandre qui ne cesse de taquiner son frère. Il a beaucoup d'humour. Lui aussi va jouer un rôle dans la formation du couple, attendant patiemment que son frère sorte de ses pâturages.
Premiers chapitres :
Chapitre 1
« Désormais » Charles AZNAVOUR
Aujourd'hui, c'est le jour de mon mariage. Youpi !
Il fait beau, très beau même. La chance ! Après trois semaines de pluie en continue, mes prières ont étés exaucés. La température atteint facilement les vingt degrés, soit dix de plus qu'habituellement. Tout est près, tout. Le mariage parfait ! La robe blanche de mes rêves, rétro, style année 50 inspirée de la robe de Grace Kelly. Les chaussures qui ont un effet de dingue et qui ne font pas mal aux pieds. Le traiteur que tout le monde s'arrache, le groupe de musique en passe de passer pro, la pièce montée la plus génialissime du monde avec des fourrages à la rose. La perfection absolue ! Une année entière d'organisation, de nuit blanche, de plan de table foireux… Une année entière et ce jour tant attendu arrive enfin.
Super !
Je ne sais pas pourquoi mais la seule image actuelle qui me vient en tête est celle d'Elizabeth Swann dans Pirates des Caraïbes, agenouillée par terre dans sa belle robe de mariée, seule sous la pluie, consciente que son mariage n'aura pas lieu. Ma différence avec elle ? Je ne suis pas en tenue blanche, il ne pleut pas, mon fiancé n'est pas un pirate sexy et il n'a pas été arrêté pour être ensuite exécuté. Sinon ? Mon mariage n'aura pas lieu. La seule raison évidente à ce carnage de temps autant que financier est simple : mon fiancé m'a quitté il y a deux jours. Voilà. Les raisons sont quelques peu obscurs et je ne pense pas les avoir vraiment saisies. En tout cas, il m'a dit qu'il me quittait, a fait ses valises devant moi et est partit en laissant la porte ouverte. Je suis restée assise sur le lit durant toute la matinée, jusqu'à ce que ma voisine vienne me demander si tout allait bien. Elle avait pris peur en voyant la porte d'entrée ouverte. Bien ? J'étais complètement sonnée. J'ai appelé ma mère sans savoir exactement quoi lui dire. Quand je lui ai dit que David était partie, elle m'a demandé où et là, là j'ai compris. Ce que j'ai compris surtout c'est qu'en plus de la douleur de se faire abandonner comme une vieille chaussette, j'avais tout un mariage à annuler. Il n'aurait pas pu s'en occuper lui, non ? Non. En même temps il ne s'était occupé de rien et pourtant c'est lui le traître qui m'a demandé ma main.
Donc moi en ce jour bénis, qu'ai-je fait ? Me morfondre dans mon coin ? Pas pour moi. J'ai fait mes valises, situé un village au pif sur la carte de France, le plus éloigné possible sans réseau ni wifi (si possible, si ça existe encore ce genre de coin). J'ai trouvé une maison d'hôte tout à fait charmante, j'ai réservée pour le soir même et là, actuellement, à cette seconde, je suis en route pour m'y rendre. J'ai ressorti tous mes CD d'adolescence, manière de ne pas pleurer à la moindre secousse. Je chante donc, non, je crie vue le volume de la musique depuis à peu près trois heures. Si ce soir je n'ai plus de voix, je m'en contrebalance. Aujourd'hui, le seul mot qui devait être utile était « Oui » et celui-là, je ne suis pas prêt de l'utiliser. Les vitres sont grandes ouvertes, ébouriffant mes cheveux lâchés. Mon GPS m'a laissé tomber, lui aussi, sale traître ! Du coup je continue un peu au pif. La route est sinueuse mais les paysages sont magnifiques. La nature, voilà exactement ce que je suis venue chercher. Franchement, j'aurais pu tout planter pour aller élever des chèvres au fin fond du Larzac. Mais je ne m'y connais pas vraiment en chèvre alors…
Des arbres, des arbres, des champs, des arbres, des vaches, des roches… Ils ne connaissent pas de panneaux d'indication dans ce pays ? Ah si ! Là ! Pardon, je suis mauvaise langue. La ville est à a peine une dizaine de kilomètres. Je sens une certaine excitation m'envahir. C'est la première fois de ma vie que je pars en vacance seule. A bien y réfléchir, je n'ai jamais rien fait toute seule. C'est un peu étrange de se dire ça à vingt-trois ans. Non ? C'est bon, j'ai atteint la ville d'en bas. Maintenant, il faut que je sache comment aller en haut. Wahou, je ne m'attendais pas à tomber sur ça. C'est magnifique, l'allée principale est composée d'anciens hôtels Napoléon III et d'arbres. Ce devait être une ville vraiment riche à l'époque. Je m'arrête, vais demander dans la première boutique que je croise. On me répond avec un large sourire. Super ! Dans vingt minutes je serais arrivée. Je grimpe, je grimpe et ma voiture toussote un peu. Allez titine, me lâche pas toi aussi ! J'observe les alentours avec une certaine fascination. Tout est si nature, si sauvage. A part la route goudronnée, rien ne donne l'indication qu'une main humaine soit passée par là. Et puis cette odeur, les herbes fraîches, le bois, les fleurs… Ça envahit l'habitacle de ma voiture comme un petit sapin odorant. Les montagnes semblent si hautes, j'en ai presque une crise de claustrophobie. Au bout d'un moment, la route devient plus étroite et je serre les fesses quand je frôle le bord. Si je regarde bien, rapidement et d'un œil, je peux voir que si je dépasse, bah, je tombe. Je répète dix fois le nôtre père jusqu'à ce que j'aperçoive enfin le panneau avec le nom du village. Il est a-do-ra-ble ! Il y a un vieux lavoir à l'entrée, les rues sont étroites, les maisons sont dignes d'une carte postale d'époque. Je me gare au seul parking existant et le moteur s'éteint enfin. Ça fait du bien ce silence. Je prends mes petites affaires et sors enfin de la voiture. Vite, il faut que je me dégourdisse les jambes. Ce qu'il y a autour de moi est magique. Déjà, il y a la petite place du village avec les vieux chênes et les bancs en bois blancs. Les maisons sont toutes différentes et elles ont toutes un sacré charme. Il y a des jardins emplis de rosiers grimpants, des portails en fer forgés témoignant d'une certaine richesse, des volets extérieurs bleus pastel ou sang de bœuf, des fenêtres à petits carreaux en bois, des portes d'entrée en bois. En bois ! Pas de plastique ici, pas de volets roulants, tout est authentique. Authentique, j'aime ce mot. Sorti du village, il y a les sommets de ces montagnes qui nous enlacent, j'ai l'impression d'être dans un cocon tout douillé. Je sens que je vais vraiment bien me plaire ici. J'attrape mes valises, ferme la voiture à clef bien que je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de voleurs ici et je remonte une petite rue en suivant le petit panneau « Maison d'hôte ». J'observe tout, rien n'échappe à mon œil. Je passe devant la petite école et remarque avec surprise qu'elle marche encore. Il ne doit pas y avoir beaucoup d'élèves mais je trouve que c'est vraiment pas mal d'avoir continué à perpétuer cette tradition. Je croise plusieurs villageois qui me sourient avant de me dire bonjour. Je réponds à leur salut, percevant dans leurs voix de vieilles traces d'occitan. Je ne sais pas si c'est une coutume ou si la politesse est vraiment de mise ici mais c'est agréable. Mes valises sont lourdes et je regrette d'avoir pris autant de chose. En réalité, j'ai pris tout ce que je pouvais car je ne pense pas être prête à retourner dans notre appartement un jour.
Je suis arrivée. Il y a un grand et beau portail ouvrant sur une cours. Le bâtiment est une vieille ferme datant de 1882 comme je peux lire sur le dessus de la porte d'entrée. J'entre dans la cours pour mieux voir ma future habitation. C'est propre, très propre. Tout est soigné. Il y a la porte d'entrée à double battants en bois brut qui est ouverte. De part et d'autre, deux fenêtres à petits carreaux aux volets pastels. Au premier étage, la symétrie est parfaite. Le nombre d'or a été respecté à la lettre. Ensuite, il y a le toit en ardoise noire avec plusieurs vasistas. Un rosier grimpant rose clair a fait sa vie sur le côté droit de la maison. Tout à gauche, fermant la cour, se trouve une grange avec un tracteur et au-dessus, des meules de foins attendent d'être servies au bétail. De l'autre côté, à droite, se trouve la bergerie. Ça sent bon la paille fraîche. Il y a trois poules qui picorent le sol et un chat qui dort au soleil sur le bord d'une fenêtre. C'est très accueillant.
« -Bonjour. » Je sursaute, me tourne vers la source du salut. Un homme sort de l'ombre de la maison, un sourire chaleureux aux lèvres. « Vous devez être Audrey.
« -En effet. » Je lui souris en retour. Il est grand, assez sec, a des cheveux poivre et sel à moitiés recouvert d'un béret noir. Il a les yeux les plus bleus que je n'ai jamais vus. Ils concurrencent presque la couleur pure du ciel au-dessus de nos têtes. Il porte encore les traces d'une beauté de jeunesse. « Enchantée.
« -Alain, de même. Vous avez fait bon voyage mademoiselle ?
« -Oui merci.
« -Je vais vous aider. » Il s'approche de moi et me prend mes valises des mains. Je le remercie. « Suivez-moi. » Il entre dans la maison et je le suis. Il fait frais à l'intérieur. J'observe rapidement les lieux, l'entrée est très belle. Le sol est fait de tomettes aux couleurs chaudes, les murs sont à moitiés recouvert de bois blanc, le reste est peint en un vert léger. Un vieil escalier en bois couleur miel monte à l'étage. Il y a des tableaux représentant la vallée au mur, des guéridons en fer forgés blancs avec des vases et des fleurs fraiches, tout représente accueil et chaleur. Il y a quatre portes ouvertes et je suis Alain dans une des pièces que l'entrée dessert. Nous entrons dans un salon des plus chaleureux. Il y a une grande cheminée, des canapés beiges recouvert de coussins rouges, des meubles anciens, des bibelots en tout genre sans faire trop chargé. Une découpe dans le mut permet d'accéder à la partie salle à manger. Il y a une grande table de couvent, des bancs de part et d'autres, deux chaises anciennes, le tout en bois naturel miel. Il y a des grandes baies-vitrées à petit carreaux qui donnent sur le jardin. Est-ce que les gens se rendent compte de la chance qu'ils ont de vivre ici ? Tout semble un mélange d'authenticité, d'histoire et de chic simple. Rien à voir avec mon appartement. Ce qui me plait le plus est surement les vieilles poutres qui strient les plafonds. Pas de bois industriel, je peux suivre des yeux la courbe naturelle du tronc. Ça ne se fait plus ça de nos jours. La maîtresse de maison sort de ce que je pense être la cuisine. Elle est plus petite que moi, a les cheveux naturels marron coupés au carré et des yeux noisette. Elle porte un tablier qui garde des traces de farines. Je lui souris, compatissante.
« -Bonjour. » Me dit-elle d'une voix chaude.
« -Bonjour, Audrey. » Je lui tends machinalement la main et elle continue d'avancer pour me faire la bise.
« -Enchantée Audrey, moi c'est Manon. On peut se tutoyer ? Ici personne ne se vouvoie.
« -On peut. » Je lui souris, ils ont l'air tellement accueillant que ça ne me dérange pas du tout. J'ai plus l'impression d'arriver chez des parents éloignés plutôt que chez des inconnus.
« -Tu as fait bonne route ?
« -Oui, merci.
« -Tu as trouvée facilement ?
« -Plus ou moins. » Je ne vais pas lui révéler tout de suite que je suis nulle en orientation.
« -Moins que plus non ? » Je lui souris, me met même à rire.
« -Exactement.
« -Viens je vais te montrer ta chambre. » Elle avance dans le salon et je la suis. « Tu nous a un peu pris de cours mais tout est prêt, ne t'inquiète pas.
« -Oui, je suis désolée, une envie de dernière minute. » Je la suis dans les escaliers.
« -Il n'y a aucun problème, tu es la bienvenue. C'est si rare que l'on ait du monde en ce moment, la saison n'a pas encore débutée en bas. » Le couloir est tout aussi adorable que l'entrée. « Tu es ici en vacance ?
« -Oui. » Ce n'est pas l'exacte vérité mais c'est ce qui se rapproche le mieux de la situation actuelle.
« -Tu peux rester autant que tu veux.
« -Ça tombe bien, je n'ai pas encore planifiée de date de retour. » Elle s'arrête devant une porte, me sourit avant de l'ouvrir.
« -Voilà, j'espère que ça te conviendra. » Je m'attendais à tout sauf à ça. Je suis fan. Un bon dans le temps. Du parquet naturel en bois, un lit deux places en fer forgé blanc, du lambris blanc jusqu'à mi- mur, le reste peint en bleu-gris. Des meubles anciens en bois peint en blancs, un tapis reprenant les couleurs de la pièce, une fenêtre à petit carreaux donnant sur la montagne… c'est le paradis ! Je prendrais des notes, manière de refaire le même style dans mon futur appartement.
« -J'adore !
« -Tant mieux. » Mes affaires ont étés posées au pied de mon lit. « Tu as ta propre salle de bain. » Elle m'indique une porte d'un mouvement de main.
« -C'est parfait, merci. » J'observe tout à nouveau, émerveillée.
« -Ton coup de fil m'a beaucoup fait rire tu sais.
« -Ah oui ? » Je suis assez surprise.
« -Oui. Tu es bien la seule à être heureuse de savoir que ni le réseau ni la wifi passe ici.
« -Le téléphone fixe est même de trop mais je ne vais pas m'en plaindre. Parfois, c'est bon de décrocher de la nouvelle technologie. » Manon sourit toujours avec la même intensité. Elle me fait un peu penser à ma mère. « D'ailleurs, je vais passer un coup de fil rapide à ma mère pour lui dire que je suis bien arrivée.
« -Il n'y a pas de soucis, il est en libre-service. Quand tu descends les escaliers, tu as la bibliothèque à ta gauche, il est là.
« -D'accord, merci.
« -Je vais redescendre, j'ai une tarte au four. » Elle fait demi-tour puis se retourne vers moi. « Tu aimes le cassis Audrey ?
« -Oui.
« -Parfait. » Elle referme la porte et je me retrouve toute seule. Je défais mes valises et range mes vêtements dans la penderie et la commode qui sentent la lavande séchés. Je souris de cette attention. Je marche jusqu'à la fenêtre, regarde le paysage. Il m'apaise, comme si les lieux communiquaient directement avec mon âme. Je sens que mon annulaire est vide et j'ai tout à coup envie de pleurer. Non, Audrey, secoue-toi ! Ne verse pas une larme pour ce connard.
Je passe une robe légère et descend les escaliers. J'entre dans la bibliothèque. Je sens que je vais passer nombreuses de mes soirées ici moi. Fauteuils moelleux rouges, tapis épais beige, coussins à foison et des étagères entières remplies de livres. Est-ce que j'ai déjà dit que c'était le paradis ici ? Je m'installe dans un des fauteuils et sourit en voyant le téléphone vintage. 100% authentique celui-là. Il irait bien chez moi. Je tourne le cadran pour composer le numéro, attend que ma mère décroche.
« -Allô ? » Sa voix me donne automatiquement envie de pleurer.
« -Maman ? C'est Audrey. » Je ravale rapidement mes larmes et refuse de les laisser couler.
« -Ça va ma chérie ? Tu es bien arrivée ?
« -Oui. C'est super ici, tout est si beau, si authentique… je pense que je vais m'y plaire.
« -Tant mieux. Nous étions tous inquiets ici, tu es partie si vite. Ta sœur te fait dire que tu aurais dû partir sur une île paradisiaque à l'autre bout du monde plutôt que d'aller te terrer dans les Pyrénées. » Je souris, c'est ce que toutes mes copines m'ont répondus quand je leur ai dit que je mettais les voiles.
« -J'ai juste besoin de me ressourcer dans un coin tranquille, pas de me souvenir que je suis sensée être en lune de miel.
« -Nous pourrons te joindre quand même ?
« -Oui mais je préfère que ce soit moi qui vous appelle. Je vais passer mes journées au téléphone sinon et je vais détester ça. Il m'a quitté, quoi dire de plus là-dessus ? Merci encore de m'avoir aidé pour toutes les annulations. Je ne me sentais le courage de rien.
« -Mais c'est bien normal ma chérie. Tu fais attention à toi, d'accord ?
« -Promis. De toute manière, je ne vois pas ce qu'il pourrait se passer de mal ici.
« -Tu me montreras les photos ?
« -Comme d'habitude. » Je souris. De toute petite j'ai été passionnée par la photographie. Je prenais tout et n'importe quoi, développant mon style pour ce qui est poétique, ce qui raconte une histoire. J'ai déjà fait quatre expositions et reçu un avis plus que favorable du publique. « Je ne vais pas trop tarder, j'ai cru comprendre qu'une tarte au cassis allait bientôt sortir du four. » J'entends ma mère rire et j'ai l'impression d'être revenue à la maison. Je ressens un pincement au cœur.
« -Évite de prendre des kilos. » Me recommande-t-elle.
« -Je n'ai plus besoin de rentrer dans ma robe blanche. » Je jette un froid malgré moi. « Je te rappelle demain ?
« -Ok ma puce, courage, on pense fort à toi.
« -Moi aussi.
« -Bisous.
« -Bisous. » Je raccroche, attend un peu. Il m'a quitté. Cette phrase me hante. Nous ne ferons plus jamais rien ensemble. Plus rien. Je ne sais même pas si je le reverrais un jour. Mon cœur se serre face à ce deuil. J'ai le réflexe de tâter mon annulaire avec mon pouce mais il demeure résolument vide. Vide. Comme mon monde, comme mon avenir. J'inspire et j'expire de grandes goulées d'air pour ne pas me laisser sombrer. Tout à coup une odeur alléchante me titille les narines. Ça sent bon le cassis. J'ai faim.
Chapitre 2
« La rencontre » Saint-Preux (La fête triste)
Je retrouve Alain et Manon dans la salle à manger en train d'installer la table pour le goûter. Ils se tournent vers moi, me sourient. Je n'aurais pas pu choisir mieux qu'un semblant de ma famille qui ne connaît rien de ma situation.
« -Ça va Audrey ? Tu as pu passer ton coup de fil ? » Me demande Manon.
« -Oui c'est bon, merci. Vous avez besoin d'aide ?
« -Non, non, t'occupes. » Elle continue d'installer les assiettes blanches au bord bleu. Même la vaisselle est d'époque. Même la vaisselle me plait.
« -Alors Audrey, que comptes-tu faire de tes vacances ? » Me demande Alain pour faire la conversation.
« -Et bien, j'aimerai bien visiter le coin, me balader, me reconnecter avec la nature. En réalité, j'ai un projet assez précis en tête mais je ne sais pas encore si j'aurais le courage de le faire ou non.
« -Un projet ?
« -Oui. Je suis photographe à mes heures perdu et j'aurais bien aimé faire une sorte de reportage sur la vie ici, la montagne, la nature… Je ne sais pas encore sur quoi me focaliser mais il faudrait que ça fasse une série pour une exposition. Je voudrais traduire l'authenticité, la simplicité de ce monde. Tout ce que l'on oublie en ville. » Celle que je retarde depuis un peu plus d'un an, depuis que David m'a demandé de l'épouser. Je racle ma gorge pour chasser cette idée noire.
« -Eh beh, tu entends ça Manon, on a une artiste sous notre toit.
« -C'est une très bonne idée. » Répond l'intéressée. « Il y a tellement de coins magnifiques ici, tu as l'embarras du choix. Après, pour ce qui est de la vie ici, tu peux photographier tout ce que tu veux. Je ne sais pas si Alain et moi sommes très photogéniques mais je veux bien jouer le jeu. » Elle semble amusée sans me prendre pour une folle. Ça me change.
« -Je pense que je vais me concentrer sur la maison déjà, elle est si belle, si paisible. Vous avez beaucoup de chance de posséder un bien si adorable.
« -Merci.
« -Le village aussi sera un bon sujet photographique. Vous pourriez peut-être m'indiquer des lieux sympas ensuite ? » Je demande, espérant qu'ils aient une carte sous la main.
« -Il y en a tellement ! » S'exclame Alain en levant une main vers le ciel.
« -Alexandre devrait pouvoir mieux te renseigner que nous. » Me répond tendrement Manon.
« -Alexandre ? » Qui est donc cet inconnu ?
« -Notre fils. Il connait la vallée comme sa poche.
« -Ça ne va pas le déranger ?
« -Le déranger ? » Ils se mettent tous les deux à rire comme si j'avais sorti la plus drôle des blagues. « Pas du tout ! Il renseigne très souvent ceux que l'on reçoit chez nous.
« -Il pourra même t'accompagner, une fille seule en montagne n'est pas très sûr. » Ajoute Alain.
« -C'est vrai et puis certains lieux sont difficiles à atteindre. » Ils se regardent, semblent réfléchir. « C'est plus sûr qu'il t'accompagne en effet.
« -Je ne voudrais pas m'imposer. » J'ajoute, timidement. « Il a peut-être autre chose de mieux à faire.
« -Ne t'inquiète pas, je suis certaine qu'il acceptera. » Me rassure Manon. « C'est un berger, la montagne ça le connait. Ca le changera un peu au lieu de passer ses journées seul dans les pâturages.
« -Le seul moyen de savoir si il est d'accord c'est de lui demander. » Sur ces mots, Alain me fait signe de le suivre. Je le fais sans savoir où il me mène. Nous sortons par une des portes fenêtres pour atterrir dans une petite cours. Il y a du gravillon beige, trois petites marches pour atteindre le jardin. La pelouse est bien verte, il y a des parterres de fleurs, un potager, des arbres, une grande étendue donnant presque l'impression que le terrain n'a pas de limites. « Il pourra même t'amener là-haut, près des bêtes. » Me dit Alain en me désignant une zone dans la montagne d'un mouvement vague. « Tu ne pourras pas trouver une plus belle vue. Et puis être berger est si passionnant, très peu en ont conscience. Malheureusement c'est un métier qui se perd. » Il hausse les épaules. « Bah, les jeunes préfères l'attrait de la ville, je les comprends. J'ai eu de la chance d'avoir deux fils attachés à leur terre pour reprendre ma relève sinon, tout ça… du gâchis. » On bifurque à droite. Au loin se trouve un homme qui coupe du bois. Ce doit être le fameux Alexandre, le saint qui va faire de mes ruines un château. On se rapproche lentement sans qu'il remarque notre présence. Il a l'air grand, mince mais musclé, il soulève et abat sa hache sans aucun effort. Il porte un jean et un t-shirt blanc. On s'avance encore plus de lui. « Alexandre. » L'homme en question se tourne vers nous. Là, coupure !
Vous savez dans les films, ce moment où leur regard se rencontre, où la fille a le souffle qui se coupe et le cœur qui explose ? Où le temps semble faire une pause, le cerveau semble se déconnecter ? Quand une chaleur nouvelle inonde son corps comme si elle voyait une si belle chose pour la première fois ? Bah concrètement, voilà. Voilà ce qu'il se passe quand il se tourne vers nous. Je suis surprise de voir quelqu'un de si attirant perdu au milieu de rien. Il est un remix à lui tout seul de Nicolas Duvauchelle et de Colin Firth avec les yeux de Ian Somerhalder. Ses cheveux tirent vers le brun / châtain, il porte une barbe de deux jours qui lui donnent un air sauvage et sexy.
« -Aïe. » Dis-je d'un coup. Mon cœur a fait un bond assez désagréable. Alain se tourne vers moi, me demande si ça va. Je le rassure rapidement. Pas de panique petit cœur, je ne suis pas là pour une nouvelle aventure. Il faut te guérir d'abord. On finit les quelques pas qui nous éloignent de cet homme. Il attend, la hache dans la main, une bûche attendant d'être séparée en deux. Je remarque ses yeux bleus observer ma personne et je frissonne. Je ne vais pas lui en vouloir, je viens de faire exactement la même chose de mon côté. Je lui fais un petit sourire timide.
« -Alexandre, je te présente Audrey. » On s'arrête et je lui dis bonjour. Il hoche la tête pour me répondre. « Elle est photographe et je me suis dit que tu pourrais lui montrer des coins sympas. » Continue Alain. Je ne peux pas détourner mes yeux de lui. Je sais que c'est mal de dévisager les gens comme ça mais ça me semble impossible. De son côté, lui ne se prive pas non plus. « Tu sais, l'amener là-haut et puis la redescendre avec toi. » Ah ? Ce que vient de dire son père semble avoir fait mouche, il se tourne vers lui. Je pourrais donner cher pour savoir à quoi il pense. Il semble réfléchir.
« -Je ne vous perturberais pas dans votre travail, je vous le promets. » Je ne sais pas pourquoi je lui dis ça mais ça sort rapidement de ma bouche. Ma voix ressemble à celle d'une gamine face à un homme intimidant. Ok, on repassera pour la première impression. Son regard se retourne vers moi et je me sens toute petite. Vraiment petite et pourtant je fais un mètre soixante-dix.
« -Ok. » C'est tout. Ok. Deux lettres, pas plus. Ni bonjour, ni enchanté, ni autres mots, phrases, verbes ou compléments. Non. Juste ok. D'accord. Là, je redescends un peu de mon nuage. Il est passé où l'aspect convivial et chaleureux des habitants du coin ? Il se tourne coupe sa buche. Je suis impressionnée, ça a l'air si facile.
« -Demain matin tu vas dans les pâturages, non ? » Lui demande Alain sans faire cas de la froideur de son fils. Un grognement rapide lui répond. Est-ce que j'aurais loupé quelque chose ? Est-ce que cet homme serait muet ? « Tu pourrais l'amener avec toi. » Clac, une nouvelle bûche qui se faisait couper en deux sans aucun effort. Il doit y avoir pas mal de muscles là-dessous, rien à voir avec de la gonflette de salle de sport. « Elle s'intéresse au métier de berger, elle pourrait voir ce que tu fais. » Une nouvelle fois, ses yeux se posent sur moi et je peux y lire une certaine surprise. Ou méfiance ? Je ne sais pas trop à vrai dire.
« -Si ça ne dérange pas mademoiselle de se lever aux aurores. » Je suis tellement surprise d'entendre un son sortir de sa bouche qu'il me faut un certain temps pour comprendre qu'il vient de me parler. Sa voix. Elle a un son des plus agréable, grave sans l'être trop, rauque et douce à la fois.
« -Aux aurores ? » Je demande juste parce que je suis un peu sonnée, manière de savoir à quelle heure mettre mon réveil.
« -Je décolle à six heures tapantes. » Il attend une réponse, pense peut-être que ça va me faire peur.
« -Parfait. » Tu as tort de te faire une si vite opinion de moi. Il hoche à nouveau la tête et place une nouvelle bûche. D'accord homme taciturne, la discussion est finie.
« -La tarte de ta mère est cuite, on va en manger un bout, tu nous rejoins ? » Lui propose Alain.
« -Je fini et j'arrive.
« -Ok. » Alain repart en sens inverse et je le suis sans trop savoir ce que je fais. Je me retourne une dernière fois le voir abattre sa bûche et lorsque ses yeux rencontre les miens, je me tourne pour regarder où je mets les pieds. « Excuse-le. » Me dit Alain alors que nous redescendons lentement vers la ferme. « Il est toujours comme ça au début mais tu verras après il est plus… il est moins… » Il ne semble pas trouver ses mots. « Tu sais, la solitude. » Il lui sourit comme si je pouvais comprendre exactement ce à quoi il fait allusion. Je lui souris, j'ai compris, c'est un homme solitaire qui passe ses journées seul. Il n'est surement pas habitué aux contacts humains, manque de bol pour lui, ses parents tiennent une maison d'hôte.
Manon nous attend dans le salon avec le sourire. La table est mise et une tarte magnifique trône au milieu. Ses couleurs sont alléchantes, c'est presque dommage de la manger.
« -Alors ? » Nous demande Manon.
«-Il a accepté. » lui répond Alain.
« -A la bonne heure.
« -Il ne va pas tarder.
« -Tu veux boire quelque chose en attendant Audrey ?
« -Je veux bien. » Je lui souris puis ose lui poser la question qui me brûle les lèvres. « Est-ce que je peux faire une photo de ta tarte ? » Elle est surprise au début puis son visage devient tendre.
« -Bien sûr, fais comme chez toi. » Je la remercie et je vais chercher mon appareil. Après quelques réglages, j'ai la photographie parfaite. En totale synchro avec l'arrivée d'Alexandre. Il me regarde puis pose son regard sur son appareil. Il ne pose aucune question, se contente de s'asseoir sur la chaise en face de la mienne. Il est tellement froid, il pourrait être mannequin. Je me demande s'il y a déjà pensé.
« - Alors Audrey, parle-nous de toi. » La question qui tue, celle que je redoute toujours. Je passe par une phase de timidité puis je suis mal à l'aise. Je cherche quoi dire sans trouver. Alain coupe la tarte et je sens qu'ils attendent une réponse de ma part. Désolé, le service est momentanément indisponible, merci de rappeler plus tard.
« -Tu es ici en vacance ? » Ouf, merci Alain de m'aiguiller vers une zone non dangereuse.
« -Oui.
« -Et tu n'as pas de date de retour à ce que m'a dit ma femme.
« -C'est ça. En fait, j'ai tout décidé ce matin en une heure à peine alors je pense que mon départ sera pareil.
« -Une envie soudaine ? » Me demande Manon.
« -Exactement. J'ai eu beaucoup de chance que vous ayez répondue si rapidement.
« -Tu n'as personne qui t'attend chez toi ? » Ma première pensée est pour David alors je réponds :
« -Non, personne. » Et personne ne m'y attendra plus jamais. « Enfin si, j'ai ma mère et mes amies mais… Rien de bien important.
« -Ils n'ont pas étés surpris de ton envie de voyage soudaine ?
« -Oui et non.
« -Tu n'as pas d'examens à passer cette année ? » Me demande Alain. Ça me fait rire.
« -Du tout, en fait je suis pâtissière. Ça fait déjà un peu plus d'un an que je travaille. Je n'ai pris aucun congé cette année du coup je les ai tous posés en même temps.
« -Mais tu as quel âge ? » Ils semblent surpris.
« -Vingt-trois. » Vue leur tête, je pense que je dois faire plus jeune que mon âge.
« -Et tu viens toute seule ?
« -Oui. En fait c'est la première fois que je fais quelque chose toute seule. C'est assez déroutant je l'avoue. » Je me mets à rire pour chasser mes angoisses.
« -C'est bien, il ne faut pas que tu aies peur. Comme je le dis toujours, tout commence toujours par une première fois. Alors comme ça tu es pâtissière ? Mince, que penses-tu de ma tarte ? » Me demande Manon. Je lui souris.
« -Elle est excellente. La pâte est parfaitement cuite, le cassis n'est ni trop acide, ni pas assez. Tout a une juste dose, l'équilibre est parfait.
« -Merci. » Nous nous sourions.
« -Tu n'es pas un peu maigre pour être pâtissière ? » Me demande Alain.
« -Non pourquoi ? » J'ai l'impression d'être bien proportionné, ni anorexique, ni boulimique je fais cinquante-deux kilos.
« -J'ai toujours l'image des cuisiniers enrobés.
« -Je suis très dynamique, ça doit compenser. » J'enraye ensuite sur eux, leur pose des questions sur leur maison, leur activité. Alexandre nous quitte et nous continuons de discuter durant de longues heures. J'apprends beaucoup de choses et je suis vraiment ravie d'avoir atterrie ici.
Chapitre 3
« La Montagne » Jean FERRAT
Mon réveil sonne et je me réveille en sursaut. Je cherche mon téléphone portable pour éteindre cette horrible sonnerie. Cinq heures quinze. Je suis sérieuse ? En vacance ? Aux aurores ? Mes yeux refusent de s'ouvrir. Allez Audrey, motive-toi ! Je me redresse un peu trop brusquement peut-être. J'ai la tête qui tourne. Allez, stabilise-toi. Je me lève, entre dans la salle de bain dans l'espoir de me prendre une bonne douche. Chaude ou froide peu m'importe tant qu'elle me réveille. Je me déshabille et au moment de poser mon pied dans la baignoire, une tâche noire sur ce blanc me perturbe. Je laisse à mes yeux le temps de faire la mise au point. Gloups. C'est bon, je suis parfaitement réveillée. Ok, je ne savais pas que l'on pouvait trouver des mygales au fin fond des Pyrénées. J'apprends des trucs, c'est bien ! C'est cool ! Manque de bol pour moi, je suis arachnophobe. Ok, alors déjà, je n'ai jamais vue un truc aussi énorme. Sans rire, son corps doit bien faire la taille d'une cerise et ses pattes sont si longues qu'elle pourrait facilement tenir dans la paume de ma main. Et encore, j'ai des doutes. Comment te dire chose affreuse que je suis terrifiée par toi ? Je tremble, cherche à respirer, la fixe, tétanisée, me demandant comment en venir à bout sans y perdre ma vie. La première chose que je fais, c'est m'enrouler dans ma robe de chambre en soie bleue. Ok Audrey, respire un grand coup. Elle est dans une baignoire, le meilleur moyen de la faire dégager sans te salir c'est de la noyer et de l'évacuer dans le siphon. Ok. Maintenant il faut que j'agisse et j'avoue que d'un coup j'ai déjà moins envie. Je pose ma main sur le robinet en tremblant, essayant de ne pas éveiller les soupçons de l'intruse. Un, deux… deux et demi… deux trois quart… trois !
Pan ! J'ouvre le robinet d'un coup sec. Et là, là, le pire film d'horreur. Même Psychose à côté c'est de la gnognotte. La bête immonde commence à bouger pour s'enfuir, et ce, à une vitesse affolante. Du coup, sous le coup de stress qu'est-ce que je fais ?
Option A : Je la tue avec ma chaussure.
Option B : Je hurle et réveille toute la maison
Option C : J'arrive à la noyer.
Tic, tac, tic, tac, tic, tac.
Bon, vous l'aurez compris, je pousse un hurlement et réveille d'un coup sec toute la maison. Sauf que, paniquée comme je suis, ce n'est pas un mais plusieurs que je pousse comme si ça allait la tuer d'un coup sec. On ne sait jamais eh. Au loin, entre deux respirations, j'entends les habitants courir puis toquer à ma porte avant que l'un d'eux débarque dans la salle de bain. Et merde, il a fallu que ce soit le plus beau d'entre eux. Il me regarde avec de grands-yeux affolés, me questionnant du regard.
« -Là ! Vite, vite ! » Je lui montre la bête immonde et il s'approche d'elle. Il tourne ses yeux bleus vers moi. « Tues là, vite ! » Je crois que je viens de marquer des points, il est totalement abasourdi par moi. Yes ! Il se tourne vers ses parents, attendant dans la chambre et leur demande calmement une chaussure. Une chaussure ? Non mais il a vu la taille de cet engin ? Après trois coups secs qui me semblent durer une éternité, il m'annonce froidement qu'elle est morte. Je me sens tout à coup soulagée, le remercie.
Et tout à coup, je comprends que je viens de tous les réveiller à cause d'une araignée mutante.
« -Hum… » Je suis très mal à l'aise. « Désolé. J'ai une énorme phobie des araignées. » J'ai l'impression d'avoir cinq ans et d'avoir fait la bêtise la plus énorme du monde. Je m'excuse encore lorsqu'ils quittent ma chambre, me laissant le temps de me doucher. Cela va s'en dire que la douche ne me prend pas autant de temps que ce que j'avais voulue mais au moins je suis parfaitement réveillée. Je m'habille en vitesse, me maquille d'un trait d'eye-liner et de mascara avant de descendre. Manon et Alain m'attendent dans la cuisine. Je me sens assez mal à l'aise.
« -Excusez-moi encore pour le réveil brutal. » Leur dis-je sans oser entrer dans la cuisine.
« -Ce n'est pas grave, entre, tu vas prendre un petit déjeuner non ? » Me propose Manon comme si de rien n'était. Je m'exécute et m'assois à la vieille table recouverte de carrelage.
« -J'ai une réelle phobie des araignées et celle-là était particulièrement… » Rien que d'y penser j'ai envie de me mettre à pleurer.
« -Oui, il y en a quelques-unes de temps en temps, je suis désolée. » M'explique Manon. « Tu sais ce que c'est, les vieilles maisons ont toujours leur lot de petites bêtes mais nous veillons au grain.
« -J'espère que ses sœurs ne viendront pas se venger. » On se met tous les trois à rire. « Ça se passe comme ça dans les quartiers chauds d'où je viens.
« -La petite bête n'a jamais mangé la grosse. » Me dit malicieusement Alain.
« -C'est que tu n'as pas vue la taille de celle-là alors ! » Lui répondis-je du tac au tac. « Je ne sais pas si elle m'aurait mangé mais en tout cas, elle m'aurait facilement collé une crise cardiaque. » Mon humour les fait rire.
« -Tiens, mange que ta matinée va être longue. » Me dit Manon en installant devant moi, café, tartines de pain grillé, beurre, confitures et jus d'orange fraîchement pressés.
« -Merci. » Je regarde tour à tour les saveurs des confitures et je ne sais pas quoi choisir. Manon m'explique que c'est elle qui les a faites. Je comprends mieux car ces goûts-là seraient introuvables dans le commerce : confiture de Rose, Coquelicot, des mélanges de plusieurs fruits et Cramaillote. « Cramaillote ?
« -Oui, ce sont des fleurs de pissenlit. » Me répond Manon.
« -Des fleurs de pissenlit ? Mais ce n'est pas amer ?
« -Du tout, goutte. » Sans ajouter un mot de plus, je m'exécute. Divin. On dirait presque du miel. Ma deuxième tartine est au coquelicot qui me rappelle assez la rose.
« -Tu as la rose aussi. » Me dit Alain en me tendant le pot. « Manière de continuer sur les fleurs.
« -Je connais, merci. » Pour le coup, oui, je le sais. Ma pièce montée en était fourré, les apéritifs devaient être des Kir à la rose donc le goût, je le connais et je l'adore. Oulah, je vais être en retard. Je les remercie, m'excuse encore de les avoir fait se lever si tôt puis je remonte dans ma chambre chercher tout mon matériel de photographie.
Je sors dehors, il fait frais et la lumière est pure. Tout est calme et apaisant. Devant le portail se trouve un 4x4 rouge. Rien à voir avec ceux que j'ai l'habitude de voir en ville. Je vois Alexandre, appuyé contre sa portière. Je fais quelques pas et il lève son regard sur moi. Pense à t'excuser et à le remercier quand tu seras à côté de lui.
« -Stop. » Me dit-il. Je me stoppe net sans comprendre. « Demi-tour. » Euh… c'est une blague ? Je le regarde, fronce les sourcils. J'écarte les mains pour lui signaler qu'il me faut plus de mots pour comprendre le sens de ses paroles. « Va te changer. » Je baisse les yeux sur mon short et mon t-shirt. C'est quoi son problème au juste ? « Je ne t'amène pas comme ça alors va te changer. » C'est une menace ?
« -Et tu veux que je mette quoi ? » Qu'il m'explique un peu. Et puis bonjour, il connait ? Certes nous nous sommes vaguement croisés dans ma salle de bain, mais quand même.
« -Jean. » Et voilà, comme la veille la discussion s'arrête là. Il ouvre la portière, semble chercher quelque chose dans l'habitacle. Moi, je n'ai toujours pas bougée d'un pouce. Un jean ?
« -Pourquoi ? » Oui je suis têtue.
« -Va te changer et dépêche-toi sinon je pars sans toi. » Je hausse un sourcil. Menace confirmée. Je me tourne d'un bloc et monte à l'étage en rageant comme une adolescente. Je me déshabille puis cherche un jean dans les tiroirs de la commode. Pourquoi est-ce qu'il me donne des ordres ? Et pourquoi est-ce que je lui obéi ? J'enfile rapidement le pantalon puis redescend aussi vite. J'espère qu'il m'a attendu.
Oui. Ouf. Il est encore appuyé sur la portière de sa voiture et je sens son regard parcourir mon corps. Aucun problème, je fais pareil avec toi si ça ne te dérange pas. Il porte un denim brut, des chaussures de montagne et un t-shirt gris foncé qui fait ressortir sa peau plus pâle que la veille.
« -En route. » Me lance-t-il et je ne peux me retenir de sourire. J'ai passé le test avec succès même si je me suis loupée le premier essai. J'ouvre la lourde portière du Lada et me hisse avec une certaine difficulté dedans. C'est haut cet engin. Ça sent le petit sapin odorant, odeur montagne. Je souris et me tourne vers Alexandre. Odeur montagne ? Tu es sérieux ? Je m'attache avant qu'il me fasse une réflexion et je lui lance un « Bonjour au fait. » manière de lui montrer qu'il a manqué de courtoisie. Il allume le moteur et je capte un regard amusé.
« -Salut. » La voiture part, nous traversons le village puis nous nous engageons sur la route de montagne. Je me sens un peu intimidée, seule avec un semi-inconnu peu bavard. J'observe le paysage magnifique qui s'offre à moi. A cette heure-ci, la lumière est pure, parfait pour des photographies.
« -Elle avait quoi de mal ma tenue ? » Désolée de briser ainsi ce silence charmant mais ça me préoccupe.
« -Inappropriée. » C'est tout ? Un seul mot ? Parle-t-il toujours si peu ?
« -En quoi ? » Je le vois froncer les sourcils et il me jette un rapide regard. Je crois que je l'agace.
« -La montagne n'est pas le centre-ville. » Je ne vois pas le rapport mais je ne vais pas le déranger plus. Et puis, il vient de me faire une phrase entière alors je ne vais pas râler.
« -C'est loin ?
« -Dix minutes, un quart d'heures. » Je me contente d'admirer le paysage, tout est si beau. Je me demande pourquoi je ne suis pas venue si tôt. Les couleurs, la pureté, la diversité, tout mériterait de rester gravé dans mon appareil photo. La voiture s'engage sur un petit sentier et je comprends mieux l'utilité d'avoir un 4x4. Ça balance dans tous les sens et je suis obligée de me tenir à la poignée de la portière. Nous passons devant un petit village de granges avant de continuer sur quelques mètres. Finalement le temps est passé plus vite que ce que je pensais parce que nous nous immobilisons enfin. Sans rien me dire, Alexandre sort de la voiture et j'en fais de même. Il fait très froid dehors. Très, très froid. Pourquoi est-ce que je n'ai pas pensée à prendre un pull ? Ou une doudoune ? Alexandre est occupé à attraper des trucs dans la voiture et en attendant, je regarde autour de moi. Nous sommes entourés de sapins, il y a un portail en bois et un chemin derrière. C'est peut-être con à dire mais j'aime beaucoup cette image. Le portail me parle, il me demande de le photographier.
« -Réflexe. » Je sursaute, me retourne. J'attrape de justesse ce qu'Alexandre vient juste de m'envoyer. C'est un pull irlandais en laine prune. Il continue à trifouiller dans son coffre et je ne comprends pas ce qu'il veut que j'en fasse. « Tu as froid non ? » Oh… Je lui souris, trouve l'idée adorable. Peut-être qu'il n'est pas si rustre que ça finalement.
« -Merci, c'est gentil. » Sans me faire prier, j'enfile le pull. La laine est un peu rêche mais chaude. Il doit lui appartenir parce qu'il est trop grand pour moi et que le col cheminé est râpé au niveau de sa barbe. Je capte son regard bleu et je rougie comme une écolière. « Aïe. » Encore cette douleur dans ma poitrine, c'est désagréable. Je fais quelques réglages et prend le portail en photo.
« -On y va ? » Me demande-t-il dans mon dos. Je me tourne vers lui et acquiesce d'un mouvement de tête. Il ouvre la marche et je le suis docilement. Il porte un sac à dos de montagne, un grand bâton de bois qui lui sert à marcher et il a posé un béret noir sur ses cheveux. Il ouvre le portail, me laisse passer avant de le refermer. Quel gentleman ! « Alors ça, vois-tu c'est un portail qui sert à fermer un espace. » Je le regarde. Il plaisante ou il se moque de moi ? Bah, ce ne sera pas le premier. Les photographes sont toujours perçus comme des fous à lier par les non-initiés. Je me souviens encore de ma mère me disputant en me disant d'arrêter de photographier des conneries. Et puis un jour, elle a vu mes photographies et elle ne m'a plus jamais rien dit à ce sujet.
Nous marchons plusieurs mètres jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sapins. Nous arrivons alors sur un plat, magnifique. J'en ai littéralement le souffle coupé. Nous sommes au sommet de la montagne et nous dominons toutes la vallée. Mon regard peut se poser loin, très loin. J'admire tout ce qui m'entoure avec fascination, les villages inconnus, les champs, les forêts, les ruisseaux… Je sens le regard d'Alexandre sur moi et je me tourne vers lui.
« -C'est magnifique. » Ma voix est pleine d'excitation.
« -Bienvenue dans mon bureau. » Il reprend sa marche et je suis obligée de le suivre. Quelle chance il a de pouvoir avoir une si belle vue à portée de main. Je m'arrête à plusieurs reprises, prend quelques clichés puis court après Alexandre pour le rattraper. « Le soleil ne va pas tarder à se lever, économise ta batterie. » Me lance-t-il sans s'arrêter ou même se retourner. Je vais pouvoir faire un panorama de dingue ! Je sursaute lorsqu'Alexandre pousse un sifflement sec. A quelques mètres de nous se trouve un troupeau de moutons, pleins de moutons. Wahou, je n'en ai jamais vue autant. Trois boules de poils blancs se mettent à courir vers Alexandre en aboyant. Ce sont des chiens des Pyrénées.
« -Oh, qu'ils sont beaux les chiens chiens. » Dis-je en m'approchant d'eux dans l'idée de les caresser. C'est la première fois que j'en approche des vrais, j'ai toujours voulu savoir si leurs poils sont doux ou non. Je m'arrête net lorsqu'ils se mettent à grogner et à montrer les dents. Vue la carrure de l'animal, j'ai pas vraiment envie de me faire mordre. Ils doivent m'arriver à la taille à peu près donc si je réfléchis rapidement, je n'ai aucune chance contre eux à la course.
« -Calme, calme. » La voix d'Alexandre est douce, il caresse leur encolure pour les apaiser. « Ce sont des chiens de troupeaux, ils n'aiment pas la compagnie. » J'hausse un sourcil.
« -Je sais de qui ils tiennent. » Il relève la tête et me regarde, esquisse un rapide sourire.
« -Ne t'éloigne pas trop. » Il m'abandonne là et marche rejoindre son troupeau. J'attends quelques minutes puis mitraille en continue le lever du soleil. Cela crée de si belles couleurs, autant dans le ciel que sur les montagnes. Ensuite, je prends la montagne, ses bêtes, les fleurs sauvages, les petits insectes, lui, un oiseau qui se pose près de moi, le mouton qui se demande qui je suis, les chiens qui se reposent, lui encore… Je fais plusieurs allées retours pour changer d'angles de vue, de versant, de sujets, sans trop m'éloigner, en le gardant toujours en vue. Un peu plus haut, je remarque une petite cabane et je la prends aussi en photographie. Je comprends mieux cet état de solitude dont m'a parlé Manon. Seul, en effet, loin de toute civilisation, loin de tout. Je me retourne, le regarde. Il semble si serein, regarde la montagne qu'il doit connaitre par cœur. Je le prends en photographie.
Il y a tellement de sentiments qui me submergent que je ne sais pas lequel choisir. Je respire cet air si pur, si frais, admire cette nature sauvage et libre sans que la main de l'homme en ait pris le contrôle, écoute avec passion ce silence qui laisse aux oiseaux et au vent le loisir de chanter. Je ressens du bonheur face à cette simplicité et à l'idée que beaucoup d'autres bergers se soient tenues là aux fils des siècles, admirant les mêmes creux, les mêmes bosses que nous deux. Quand j'en ai assez de vadrouiller et que l'appareil devient trop lourd pour mon poignet, je prends place par terre sur l'herbe et je la caresse de la paume de ma main. J'observe les alentours, encore et encore, avec avidité. Je me sens bien, si bien. C'est comme si en arrivant ici, je m'étais directement connectée avec moi-même. Je ne sais pas si c'est le changement d'altitude ou cette nature omniprésente qui me donne envie d'être authentique, de revenir aux origines de tout. C'est si bon… je m'allonge à même le sol sur cette herbe grasse. Le ciel me parait le plus beau et le plus pur que je n'ai jamais vu. Rien à voir avec celui que j'ai croisé depuis ma naissance avec ses taches de pollutions. L'odeur de la terre et de l'herbe est divine, je ferme les yeux et ne fait plus qu'un avec ce qui m'entoure. Je laisse le soleil réchauffer ma peau et je sombre dans un demi-état de pure bonheur.
Chapitre 4
« Le temps des arbres » Éric NEVEUX
J'entends des pas qui se rapprochent et je me redresse au moment où Alexandre prend place à ma droite. Je regarde son profil de statue.
« -Déjà fatiguée ? » Me demande-t-il.
« -Je fais une pause. Tout est tellement beau, tout mérite tellement d'être regardé que je ne sais plus où donner de la tête. » Il attrape une herbe, s'amuse à la glisser entre ses doigts. Je suis son mouvement quelques secondes, fascinée. « C'est un chouette bureau, tu as de la chance.
« -Merci. » Il esquisse un rapide sourire et envoi l'herbe devant lui avant d'en reprendre une autre. Le silence retombe tranquillement. C'est étrange, habituellement, il me met mal à l'aise alors que là, il est agréable. Avec David, nous parlions tout le temps et tout à coup je me rends compte que ne rien dire c'est bien aussi.
« -Tu n'es pas très bavard en général eh ? » Il me regarde droit dans les yeux et je sens une nouvelle chaleur envahir peu à peu mon corps.
« -Pas vraiment, non.
« -C'est parce que tu passes tes journées seul ?
« -Peut-être. Je n'ai pas grand-chose à dire, je préfère le silence. » Il se tourne à nouveau vers le paysage et j'en fais de même.
« -Ce qui est marrant, c'est l'impression que je viens juste de découvrir ce que le mot silence voulait réellement dire. En ville, on ne s'en rend pas compte mais il y a du bruit parasite en continue. Avions, voiture, musique, électroménager, voix… Là-bas, s'il y a un blanc dans une conversation c'est qu'il y a un malaise. Ici tout est calme et les sons semblent avoir un sens. Rien n'est inutile. » Je lui lance un regard, il me regarde avec une certaine tendresse.
« -C'est beau ce que tu dis. Les sons semblent avoir un sens ici. J'aime bien. » Je lui souris. Oui, je suis poète aussi à mes heures perdu. Poète ou hypersensible, ça dépend selon les gens. Un des chiens s'approche de nous, hésitant. « Viens. » Alexandre lui fait signe d'approcher et le chien s'exécute avec une certaine excitation. Il s'allonge près de son maître et attend des caresses. Il est tout beau ce chien.
« -Je peux ? » Je tends la main pour lui demander la permission. Il acquiesce d'un mouvement de tête et je glisse enfin mes doigts dans la masse de poils blancs. Je souris. C'est si doux, si épais que mes doigts disparaissent presque. « Tu es beau toi tu sais ? » Le chien se met à remuer la queue. « C'est rare que tu amènes quelqu'un ici ?
« -Très rare, je ne veux pas qu'ils s'habituent aux humains. » Je trouve cette idée triste.
« -Pourquoi ?
« -Parce qu'ils doivent garder le troupeau. » En ville, les chiens ont pour seule fonction de faire des câlins ou de servir de décoration. Ici, ils ont un autre métier.
« -ça ne t'embête pas de les savoir toujours là sans caresses ?
« -Ils en ont tous les jours. » Je m'adresse au chien.
« -Dis le lui à ton maître que tu aimerais te retrouver dans ta maison de temps en temps avec pleins de caresses et de papouilles.
« -Ils sont très heureux. » Je regarde autour de moi, me laisse bercer par le bruit du troupeau à quelques mètres de nous. Qui ne serait pas heureux ici ? « La nature et la liberté, que désirer de plus ? » Il n'a pas tort. Sans que je ne sache pourquoi, cette simple question apaise mon cœur. Et si je m'étais fourvoyée ? Il sort du pain de son sac, un couteau et du saucisson. Il coupe plusieurs tranches et m'en propose. J'accepte volontiers cet encas. Ça doit faire bien quatre, cinq heures que je suis debout. Je manquais un peu d'énergie. Tout as un goût si délicieux, même mes sens semblent se réveiller tout à coup. Le pain a la croûte presque brûlée et c'est divin.
Nous restons bien une heure assis là, dans le silence complet, à observer ce qui nous entoure sans s'en lasser une seule seconde. Je retire mon pull, il commence à faire chaud. Le soleil se pose sur mes bras nus, les réchauffant d'un léger voile. Je vais devoir faire attention avec ma peau de rousse, je brûle plus que je ne bronze. Tout est si pur ici que les UV doivent être un vrai danger. Je passe une main sur ma nuque.
« -Rousse ou brune ? » Me demande-t-il. Je me tourne vers lui, surprise de sa question. Il me regarde avec une certaine intensité et mon cœur me fait de nouveau mal.
« -Auburn. Disons que c'est du brun avec des reflets roux, surtout au soleil. » Il acquiesce d'un mouvement de tête.
« -Brun ou châtain ? » A mon tour de lui renvoyer l'ascenseur.
« -Disons que c'est brun avec des reflets châtains, surtout au soleil. » Je me mets à rire et il sourit. Il est beau lorsqu'il sourit. Encore plus.
« -Il est pas mal ton pull.
« -Merci, c'est Manon qui l'a fait.
« -Ah oui ? » Je suis surprise.
« -Elle a filée la laine, l'a teinte puis l'a tricoté. » Je souris, fascinée par ce travail.
« -Tu penses qu'elle pourra me montrer comment faire ? » Il hoche la tête sur le côté pour me répondre. Je suis tout à coup prise d'une soudaine envie de me dégourdir les jambes. Je me lève, m'étire. « Je peux m'approcher du troupeau ? » A nouveau, il hoche la tête. Je m'avance vers les moutons, ils sont si nombreux que ça me fait presque peur. Un des chiens grogne et Alexandre le calme de là où il se trouve. Je prends plusieurs photographies, regarde un aigle voler au-dessus de ma tête. J'essaye de le photographier mais j'ai quelques difficultés. Au moment où je vais pour bouger, je sens une certaine résistance. Le troupeau a bougé et je suis coincée au milieu d'eux. Euh… Oui ? Je lance un regard paniqué à Alexandre. Il me sourit, apparemment ça l'amuse beaucoup.
« -Pas de gestes brusques. » Me dit-il en se levant. Ok, ça je peux faire.
« -Pardon, excusez-moi. » Ils ne réagissent pas, se contentent de manger. « Allô ? Pardon ! » Le rire d'Alexandre me parvient et je le regarde. J'aime beaucoup ce son, moins le fait qu'il se moque de moi.
« -Dommage que je n'ai pas d'appareil photo. » Dit-il entre deux éclats de rire.
« -Ah, ah, ah, très drôle. » Je ne peux pas m'empêcher de sourire face à cette hilarante situation.
« -Avance simplement, ils vont se pousser. » Ah ? C'est si simple que ça ? En effet. Ok, situation débile numéro deux de la journée. Je sors de la masse blanche, victorieuse. « On bouge ?
« -Euh ok. » Nous faisons le trajet en sens inverse, continuons sur le chemin jusqu'au village de granges. Il y en a six, des habitations secondaires à ce que m'explique brièvement Alexandre. Nous bifurquons par un petit sentier entre les arbres et descendons. Je dois faire attention où je marche, le sol n'est que terre battue, le reste est sauvage. Il y a des racines qui sortent de terre tout à coup, des rochers, des pierres, des ronces qu'il faut éviter. Je comprends mieux l'utilité du jean et j'éprouve de la reconnaissance pour Alexandre. Je m'arrête pour faire quelques photographies. Ça sent divinement bon, un mélange de mousse, d'arbre, de terre et de champignon. Il fait si frais et si chaud dès que nous quittons un temps le sous-bois. Je trouve cela magique, j'ai l'impression de passer d'un monde à l'autre. Alexandre est patient devant moi, il me laisse le temps de m'émerveiller, prendre des photographies de tout et de rien. Tout à coup, j'entends de l'eau, beaucoup d'eau. L'excitation et l'impatience montent en moi. C'est presque si je ne veux pas passer devant Alexandre pour voir plus rapidement de quoi il en retourne.
Nous arrivons dans une clairière. Une cascade ! Elle est haute, si haute. Ça fait un bruit d'enfer. Des particules d'eau volètent dans les airs, rendant l'air frais. Je me rapproche avec précipitation du rivage, suit des yeux le cours d'eau. Je me baisse, trempe ma main. Je n'avais jamais touchée un liquide aussi glacé auparavant. Je me retourne pour voir Alexandre.
« -J'adore, c'est génial. » Je suis obligée de crier pour qu'il puisse m'entendre. Il se baisse, retire ses chaussures et ses chaussettes, remonte son pantalon jusqu'à mi mollet. Qu'est-ce qu'il fait ? Il s'approche de moi. « Tu n'es pas sérieux ? Elle est glacée. » Il fait quelques pas dans la rivière en veillant à ne pas tomber. Il se tourne ensuite vers moi, le sourire aux lèvres. Il me fait signe de le rejoindre. « Pour mourir d'une pneumonie ? Surement pas.
« -Tu as une vue géniale d'ici. » Me crie-t-il. Traître. Bon, je ne vais pas le laisser seule ni même passer pour une poule mouillée. Tu veux jouer à ça ? Ok. Je retire mes tennis, range mes chaussettes dedans, remonte mon pantalon jusqu'à mes genoux. Respire Audrey, ça va bien se passer. J'inspire un grand coup et je me lance. Les premiers centimètres sont particulièrement horribles. J'ai la désagréable impression que des centaines de millions d'aiguilles s'enfoncent dans ma chair. Ensuite, ma peau se fait à la température basse. Je fais attention à ne pas tomber, certaines pierres sont extrêmement glissantes. J'arrive enfin à sa hauteur.
« -C'est… complètement… glacé ! » C'est la seule chose que je peux lui dire. Il se met à rire. Point positif, je ne sens plus mes pieds. Faisant preuve de professionnalisme, je prends autant de photos que possible manière de justifier pourquoi j'ai pris le risque de mourir au milieu d'un cours d'eau.
«-Alors ?
« -Ce n'est pas mal. » S'il avait fait plus beau, j'aurai surement voulu tester une douche sous la cascade mais là, actuellement, ma seule envie est de sortir de ce glaçon. Alexandre me contourne pour rejoindre la rive et je le suis. Oh, une libellule bleu et verte ! Vite, je dois la prendre en photo avant qu'elle ne s'envole.
Catastrophe, mon pied ripe sur un caillou pas stable du tout et je me sens rapidement tomber en avant. Non, pas mon appareil photo ! Il m'a coûté tellement cher ! Merci à mes réflexes de survie et à ceux d'Alexandre, j'attrape de justesse la main que me tend Alexandre. Mon cœur se met à battre la chamade dans ma poitrine. Est-ce à cause de la chute ou de sa peau si chaude, sa main si grande, la pression qu'il exerce si divine ?
« -Aïe. » Encore cette pointe dans ma poitrine. Si ça continue je vais aller voir un cardiologue moi.
« -Ça glisse. » Me fait-il remarquer.
« -J'ai vue. » Il m'aide à rejoindre la rive et me lâche la main. « Merci. » Je ressens de faibles picotements à l'endroit où sa peau avait été en contact avec la mienne.
« -De rien. » Je me détourne pour ne pas qu'il remarque mon trouble. Il me propose de remonter, c'est bientôt midi et Manon compte sur nous pour être à l'heure.
Ça grimpe sec. Beaucoup. Énormément. Je n'ai pas vraiment saisi l'idée de base que si je descends à l'allée, le retour sera forcément difficile. Je suis rapidement essoufflée tandis qu'Alexandre monte sans aucune difficulté. Ses mollets aussi doivent être très musclés. Ce n'est pas le genre de garçons qui fait de la gonflette, chez lui tout ça est naturel. Je m'arrête plusieurs fois, prétextant vouloir observer telle ou telle chose alors qu'en fait, je reprends juste mon souffle.
«- Plus tu vas t'arrêter et plus ça va être dur. » Me lance-t-il sans me laisser le temps de reprendre mes esprits. Il est mignon lui, tu crois que ça m'arrive souvent de gravir une montagne ? Je monte quatre étage à pied moi, monsieur, pas plus. Je ne suis pas non plus une adepte des salles de sports. Nous arrivons enfin en haut et j'ai l'impression d'avoir héritée de jambes en béton. Alexandre au contraire semble tout à fait normal, détendu comme si il n'avait fourni aucun effort. Traître.
« -ça va ? » Il a un sourire amusé sur le visage.
« -Toujours. » Je ne vais pas lui laisser la satisfaction de lui donner raison. Nous entrons dans la voiture, ou plutôt je m'écroule sur le siège et j'ouvre la vitre en grand. J'ai chaud. Dans la descente, je me penche en avant, ferme les yeux pour sentir le vent me fouetter le visage. Une dizaine de minutes plus tard, il se gare au milieu de la cours de la ferme et nous descendons de voiture. Manon nous attend à la porte d'entrée, les mains sur les hanches.
« -Alors Audrey, ça va ? C'était bien ce matin ? » Son sourire est charmant et doux.
« -Oui, super. » Je réponds à son sourire. Elle se tourne vers son fils.
«-J'avais dit midi Alexandre.
« -Je l'ai amené à la cascade. » Dit-il pour seule réponse.
« -C'est vrai ? » Elle se retourne vers moi, le visage illuminée.
« -Oui, j'ai eu quelques difficultés à remonter. » Ok, je l'avoue. Si nous sommes en retard c'est entièrement de ma faute.
« -Rien d'étonnant avec un grimpeur comme lui. Allez, rentrez. » Elle nous fait signe et nous nous exécutons en silence. Nous passons par la salle à manger et je suis surprise de voir que la table n'est pas mise. Nous continuons dans le jardin.
Un film. Une carte postale. Une photographie.
Devant moi, une vieille table en bois brut, une nappe blanche, des assiettes anciennes bleus et blanches, des verres pyrex comme à l'école, une bouteille de vin, du gros pain à la croûte brûlée, un pichet d'eau… Le tout sous l'ombre d'un arbre, dans le champ.
« -Ça va Audrey ? » Alexandre et Manon me regardent avec inquiétude. Oups, j'ai du planter.
« -Je crois que je viens de tomber amoureuse. » Ma révélation semble les troubler. Ils se regardent l'un l'autre et je comprends que ma phrase peut porter à confusion. « Je peux prendre la table en photographie s'il te plait ? » Je sens le soulagement retomber autours de moi.
« -Bien sur ma belle, fais comme chez toi. » Sans plus de cérémonies, je m'attaque à ce nouveau projet. Je ressens beaucoup de reconnaissance pour cette famille qui me laisse faire sans me juger ou vouloir me conduire directement à l'asile.
« -Audrey ! » La voix d'Alain dans mon dos m'interpelle. Je me retourne, lui sourit. « Manon m'a dit qu'Alexandre t'avait fait grimper comme une biquette. » Je ne vois pas le rapport mais l'image me fait rire aux éclats. A quelques mètres de nous, je remarque Alexandre appuyé contre le chambranle de la porte fenêtre discuter avec un homme qui m'est inconnu. Pour résumer, c'est la copie conforme du berger avec quelques années et quelques kilos en plus. Il s'approche de moi. « Audrey, je te présente mon autre fils, Pierre.
« -Enchanté. » J'ai le réflexe de lui tendre la main mais il me fait la bise. Je vais finir par m'y habituer au bout d'un moment.
« -De même. » Me répond t-il avec le même sourire que son père.
« -Ils se relaient auprès des bêtes avec Alex. » M'explique Alain.
« -Oui, 70/40. » Ajoute Pierre en prenant place à table.
« -Pourquoi est-ce que ce n'est pas 50/50 ? » Je me dis que ce n'est pas juste.
« -Ça le sera le jour où il sera marié et qu'il aura des enfants. » Répond Pierre en regardant son frère avancer vers la table. Je lance un regard à l'intéressé. « D'ailleurs Alex, c'est pour quand ? » Alexandre prend place en face de lui sans prêter attention à ce que semble lui dire son frère. Alain me propose une chaise, celle à droite de Pierre et l'accepte volontiers. L'excursion m'a sacrément vidée ma batterie. « Tu es célibataire Audrey ? » Je rougie malgré moi, surprise de la question soudaine.
« -Non. » Zut, réflexe. «Euh… » Reprend-toi. « Oui.
« -Oui ou non ?
« -Oui. » Ça fait six ans que je ne l'ai pas dit, ça me fait bizarre, ça sonne étrangement à mes oreilles.
« -Parfait. Maman. » Appelle Pierre. « Maman. » Manon sort de la maison, un plateau dans les mains.
« -Oui Pierre ? » Demande-t-elle.
« -Alexandre est fiancé c'est bon.
« -Mais qu'est-ce que tu racontes encore ? » Son mari lui prend le plateau des mains pour le poser sur la table.
« -Avec Audrey, le mariage est prévu dans deux mois. » Elle attrape la première serviette qu'elle croise et frappe gentiment son fils avec.
« -Arrête de raconter des bêtises et arrête d'embêter ton frère. » Pierre se met à rire tandis qu'une certaine timidité et malaise s'empare de moi. « Excuse-le Audrey.
« -Il n'y a pas de soucis. » Pas de soucis mais ne m'en voulais pas si je ne lève plus mes yeux de mon assiette.
« -Trêve de plaisanterie, à trente et un an il faudrait que tu penses à trouver quelqu'un. » Trente et un an ? Je suis perturbée d'entendre ça. Il a huit ans de plus que moi. Autant dire qu'il est surement trop vieux pour moi et moi trop jeune pour lui. « Je sais que c'est difficile dans un village d'une centaine d'habitant mais si tu descendais plus souvent dans la vallée… il y a de jolies filles en bas. Des femmes qui attendent des hommes avec qui elles n'ont pas grandies. » Le silence s'abat sur la table sans que je ne comprenne pourquoi. Les parents continuent de faire le service mais le malaise est palpable. Je me risque un regard sur chacun avant de finir par Alexandre. Il joue avec les dents de sa fourchette, la fixe pour se donner une contenance. « Il existe autre chose que la montagne et les bêtes Alex.
« -J'en ai conscience. » Sa voix est assez sèche, ça sent le sujet épineux.
« -Qu'en penses-tu toi Audrey ? » Pierre se tourne vers moi. Il arrête de me prendre à partis oui ? « Tu viens de la ville non ? Quel est ton sentiment sur la question ?
« -La question ? » Je ne sais même pas si j'ai bien suivie la conversation ou non.
« -Tu ne penses pas qu'il y a autre chose que la montagne et les bêtes ?
« -Personnellement ? » Alain et Manon s'assoient à leur place et je sens le regard de toute l'attablée sur moi.
« -Oui.
« -Je pense que posséder la nature et la liberté est déjà quelque chose de très important et il ne me semble pas qu'Alexandre soit dénué ni de l'un ni de l'autre. » Expliquais-je calmement. « Une relation peut s'avérer envahissante et il faut être prêt à l'accepter. Ne dit-on pas qu'il vaut mieux être seul que mal accompagné ? » Je ressens une certaine tristesse à cette évocation.
« -Ne dit-on pas qu'il vaut mieux être mal accompagné que de mourir seul ? » Me renvoi Pierre.
« -Penses-tu alors que la seule bonne raison qu'il ait est de se marier avec n'importe qui afin d'être assuré de ne pas finir seul ? N'est-ce pas là réduire le mariage à un simple état de compassion ? Que fera-t-il alors si elle part en premier et qu'il finit par mourir seul ? » Pierre me fait un large sourire, comme si il avait compris qu'il avait perdu la bataille. « L'essentiel de tout homme n'est-il pas de se sentir heureux ?
« -Je m'incline. » Il me fait une brève révérence puis se tourne vers sa famille. « Un sacré phénomène, vous l'avez trouvé où ? Une femme tout à fait digne d'intérêt. » Je tends mon assiette à Alain pour être servie. « Un si joli bout de fille intelligente et célibataire ? Le monde tourne-t-il si mal ? » Je repose mon assiette. Une boule dans ma gorge m'empêche de lui répondre. Je sens tout à coup le poids de cette souffrance m'assaillir. Le monde est-il si cruel ?
« -Comment vont Inès et Emilie ? » Demande Alexandre. Je le remercie intérieurement d'être venu à mon secours.
« -Très bien. Elles sont restées en bas. » Pierre se penche vers moi. « Vieille querelle de clochers, j'ai épousée une femme de la vallée d'en face, ça a fait un sacré tôlé.
« -Pierre ! » Le réprimande Manon comme si il était un enfant.
« -Quoi ? C'est parfaitement vrai. » Se défend t-il. Heureusement pour nous tous, Alain change de sujet de conversation et nous bifurquons vers des choses plus légères. Le repas est délicieux, tout provient de la ferme. Je ne cesse de rire. Ils ont tous beaucoup d'humours et leurs anecdotes sont divines à entendre. Manon est heureuse lorsque je demande à être resservie au dessert.
Chapitre 5
« Regard impressionniste » Yves DUTEUIL
La table est débarrassée, il ne reste que la nappe, les miettes et le bouchon du vin qui passe entre les doigts d'Alexandre. Les hommes parlent entre eux et leur parents sont partis faire la sieste. Je me laisse doucement bercée par leur voix masculines sans écouter ce qu'ils disent. Quelques taches de soleil glissent entre les feuilles pour caresser ma peau, il y a un léger vent du coup il ne fait ni trop chaud ni trop froid. Tout est idéal. Je regarde la maison, le jardin, le paysage. Je porte mon attention sur lui, sur ses mains grandes et belles, repense au moment où j'ai failli glisser et qu'il m'a retenu. Son frère se tourne pour lui montrer quelque chose dans la montagne. J'en profite pour observer son semi-profil, la courbe de son nez, la forme de ses lèvres et puis ses yeux clairs se posent doucement sur moi. Je ne détourne pas le regard, pas tout de suite. Pierre continue ses explications sans remarquer cet échange secret. Je pourrais me perdre dans le bleu de ses yeux, l'admirer comme une sculpture dans un musée. Est-ce idiot de dire que j'ai l'intime impression que nos âmes communiquent ? Comme si nous nous connaissions et que nous nous retrouvions quelques années plus tard. Peut-être l'ai-je croisée dans une vie antérieure ?
Aïe ! Encore ce maudis cœur. Non mais franchement, je peux admirer un homme sans tomber amoureuse, si ? Et puis d'abord l'amour ce n'est plus pour moi, je suis en deuil ok ? En deuil !
Le son d'une petite clochette m'interpelle. Un chat noir et blanc avance tranquillement vers nous. Je me penche en avant et lui tend ma main pour qu'il s'approche. Il hésite, m'ignore puis fait quelques pas pour pouvoir renifler le bout de mes doigts. Je semble lui convenir parce qu'il frotte sa tête contre ma paume.
« -Coucou le chat. » J'aime beaucoup parler aux animaux et je suis persuadée qu'ils me comprennent.
« -C'est virgule ? » Demande Pierre.
« -C'est elle. » Répond Alexandre.
« -Bonjour virgule. » C'est un nom trop adorable. Il faudra que je m'en souvienne si un jour j'ai un chat. J'en ai toujours voulu un mais David en était allergique.
Note à moi-même, acheter un chat dès mon retour à la maison.
Virgule se met à ronronner et je continue mes gratouilles sous son menton jusqu'au moment où un papillon capte son attention. Ni une ni deux, le chat se met à le poursuivre. Je souris.
« -Qui veut un dernier verre avant que les vieux se lèvent ? » Demande Pierre. « Deux ? Trois ? » J'acquiesce d'un mouvement de tête. Je n'ai pas l'habitude de boire mais je suis célibataire, le cœur brisée et en vacance alors zut ! Il part chercher le nécessaire, me laissant seule avec Alexandre.
« -Merci pour tout à l'heure. » Je le regarde sans comprendre. « D'avoir pris ma défense.
« -J'ai juste exprimée le fond de ma pensée mais ça a été avec plaisir. » Nous nous sourions comme si nous venions de partager un secret. « Merci d'avoir changé de sujet.
« -Mon frère est lourd et souvent il ne se rend pas compte que ses questions vont trop loin. » Pierre apparait à ce moment-là, pose devant chacun de nous un petit verre. Il me sert en premier puis se sert pour finir par son frère.
« -Marié ou pendu avant la fin de l'année. Tu es prévenu Alex. » Il repose la bouteille vide sur la table. « Santé.
« -Fourbe. » Lui répond son frère avant que ce dernier n'éclate de rire.
« -Il n'y a pas de mal à se taquiner entre frères voyons ! N'est-ce pas Audrey ? » Je m'étouffe littéralement en buvant une minuscule gorgée. C'est de l'alcool ménager ou quoi ? « D'ailleurs, tu es fille unique ? » Laisse-moi quelques secondes pour espérer pouvoir déglutir à nouveau un jour.
« -J'ai une grande sœur. » J'ai du mal à parler, je ne vais surement pas finir le verre.
« -Vous vous taquinez souvent ?
« -Nous ne sommes pas en bon terme. A vrai dire, nous sommes les exactes opposées. Je suis sensible, elle est glaciale.
« -C'est bête ça.
« -C'est la vie. » Je lui souris, j'en ai fait le deuil depuis longtemps. Nous n'avons pas la même vision des choses alors c'est assez difficile de se comprendre.
« -Et avec tes parents, vous vous entendez bien ?
« -Arrête de la questionner Pierrot, ce n'est pas un interrogatoire. » Lui fait remarquer Alexandre.
« -Je fais connaissance, tu as fait connaissance toi ? Tu as passé la matinée avec elle, vous avez parlé de quoi ? Tu es resté muet comme d'habitude non ?
« -J'ai de très bons rapports avec ma mère. » Dis-je rapidement en ayant l'impression de devoir désamorcer une bombe naissante. « Mon père est décédé lorsque j'étais bébé alors je ne l'ai pas connu.
« -Je suis désolé. » C'est Alexandre le premier à réagir.
« -Difficile de regretter quelque chose que l'on n'a pas connu. » Ajoute Pierre. Je ne sais pas comment prendre sa phrase mais je préfère ne pas m'en formaliser.
« -Tu me fais penser qu'il va falloir que j'appelle ma mère d'ailleurs. Elle doit s'inquiéter. Excusez-moi. » Je me lève de table et je les abandonne dehors. Il fait frais dedans et je me pelotonne dans le fauteuil de la bibliothèque.
Ma mère décroche à la quatrième sonnerie.
« -Allô ? » Dit-elle.
« -Coucou maman, c'est Audrey. » Je suis très proche de ma mère, si proche que l'on s'appelle tous les jours même si nous vivons à seulement une demi-heure de distance.
« -Ah Audrey, ça va ?
« -Très bien et toi ?
« -Oui ça va. Très bien ? Alors ça se passe comment ?
« -Oui, les personnes qui tiennent la maison sont vraiment accueillants et chaleureux, j'ai l'impression d'être en vacance dans la famille. Je me sens vraiment à l'aise et en confiance.
« -Tant mieux alors, ça me rassure.
« -La maison et les environs sont si beaux. Si seulement tu étais là pour tout voir.
« -Tu as fait des ballades alors ?
«-Oui ce matin. Leur fils est berger alors il m'a amené dans les pâturages et ensuite nous sommes allés voir une cascade. L'eau était complètement gelée. Il y avait une telle vue là-haut, ça m'en a coupé le souffle. Je me suis retrouvée coincée au milieu du troupeau de mouton, c'était assez comique.
« -Eh beh, tu en as fait des choses ! » Ca me rappelle avec nostalgie lorsque je partais en vacance avec mes grands-parents et que je racontais tout à ma mère, s'extasiant d'un rien.
« -Oui, nous avons mangés dehors à midi. C'était délicieux. Tout est si beau, si simple. Je pense que ce voyage va vraiment me faire du bien. J'ai l'impression de me reconnecter à moi-même, à la terre et à la nature.
« -Tant mieux alors. Tu as beau temps ?
« -Oui, il y a du soleil et il fait assez chaud. Et chez toi ?
« -C'est un peu couvert mais il fait quand même bon. Reparle moi un peu de ce berger, ça ne me plait pas vraiment que tu te retrouves seule avec un homme au milieu de nulle part. » Elle ne peut pas le voir mais je lève les yeux au ciel.
« -Sincèrement, je ne pense pas courir un quelconque danger avec lui. Il est pas mal déjà, ce qui ne gâche rien, il est attentionné et réservé. Nous avons passés une très bonne matinée et je pense que l'on va bien s'entendre.
« -Il a quel âge ?
« -Trente et un.
« -Tu fais attention à toi.
« -Mais oui maman, ne t'inquiète pas, je prends soin de moi. Si je ne le fais pas, c'est la famille qui m'accueille qui le fera alors tu n'as rien à craindre.
« -Un peu quand même.
« -Mais non.
« -Je m'inquiète encore plus vue la situation dans laquelle tu es.
« -La situation dans laquelle je suis ?
« -Audrey, les conditions ne sont pas idéales. Te savoir loin de tout avec le cœur brisé me terrifie.
« -je ne vais pas faire de bêtises.
« -Je le sais bien ma chérie mais comment puis-je être sûre que tout va bien ?
« -Je te le dis, je vais bien, vraiment. Je ne pense pas ou quasiment pas à… » Impossible de dire son nom. « Lui.
« -C'est parce que tu préfères te concentrer sur autre chose plutôt que d'affronter le problème. » La tournure de la conversation ne me plait pas vraiment.
« -Affronter le problème ? Oui, je préfère m'occuper plutôt que de rester chez moi, assise en pleur sur le canapé à me bourrer de crème glacée comme le font les filles dans les séries américaines. Je n'ai pas besoin de faire ça pour tourner la page, je vais bien.
« -Mais quand même Audrey, ça fait six ans que vous sortiez ensemble, c'est normal que tu sois bouleversé.
« -Je n'ai pas envie de m'apitoyer sur mon sort, je prends ma vie en main qu'il en fasse partie ou non. » Tout à coup, je n'ai plus envie de lui parler. Plus envie de rabâcher le même problème. Je ne voulais pas gâcher cette journée ou rester des heures au téléphone. Ma mère cherche des arguments et je ne l'écoute plus. Tout à coup, je suis lasse et fatiguée. Ce que j'essaye d'oublier à tout prix me revient à présent en mémoire. Il ne fera plus partie de ma vie, plus jamais et c'est un fait. Je ne suis pas là en vacance mais pour oublier ce connard. « Désolé maman, je ne t'entends plus. Allô ? » Oui je sais, c'est vache de faire le coup du téléphone qui ne marche plus à sa propre mère mais je ne veux plus continuer à parler de ça. Je risque de rapidement me mettre à pleurer et à finir roulée en boule comme une loque. « Ça doit être le réseau, je t'appelle demain, bisous. »
Paf, j'ai raccrochée. Le silence retombe autours de moi et je frissonne parce que j'ai froid tout à coup. Je ne suis pas la première à m'être fait larguée et je ne serais pas la dernière. Oui j'ai mal, oui je souffre mais est-ce un tort de refuser de le montrer ?
« -Un problème de téléphone ? » Je sursaute, me retourna pour regarder Alexandre. Il se tient dans l'embrasure de la porte et la pièce semble grimpée en degré. Zut, il a dut entendre la fin de ma conversation.
« -Non, il marche très bien. » Il fronce légèrement les sourcils et je ne bouge pas de mon fauteuil. Je n'ai plus aucune énergie en fait. Batterie à plat.
« -Le coup du tunnel c'est ça ? » Je ne peux pas m'empêcher de sourire.
« -Voilà.
« -On pensait jouer aux cartes, on s'est dit que ça t'intéresserait peut-être.
« -Je ne sais pas jouer à grand-chose.
« -Les règles sont simples. » Je le regarde, pourquoi insiste-t-il autant ? je n'ai pas envie, j'ai envie de monter dans ma chambre pour dormir un bon coup, priant pour ne pas me réveiller. Et pourtant, malgré tout ça, je le trouve adorable et je réponds :
« -Ok. » J'ai le reste de ma vie pour m'apitoyer sur mon sort, autant que j'essaye au maximum d'être heureuse, surtout s'il y a des gens aussi mignons dans le coin. Je le suis dans le jardin et nous passons l'après-midi entière à jouer aux cartes, discuter et rire. Quand le moment de préparer le repas sonne enfin, je pars en cuisine aider Manon tandis que Pierre nous abandonne pour aller dans les pâturages. Chacun retourne à ses occupations.
« -Tu as passé une bonne journée ? » Me demande Manon d'une voix douce en épluchant une pomme de terre.
« -Oui, vraiment bonne. Merci. » J'éprouve beaucoup de reconnaissance pour eux et j'espère qu'ils le ressentent.
« -Tant mieux alors. Pardonne Pierre, il aime agacer son frère sur ses histoires de cœur, il n'avait pas à te mettre dans le panier.
« -Ce n'est pas grave, je ne lui en veux pas.
« -J'ai eu peur qu'il ait mis les pieds dans le plat.
« -Du tout. Alexandre est vraiment quelqu'un de sympa, vous n'avez pas de soucis à vous faire pour lui, il trouvera quelqu'un. » Son sourire s'agrandit.
« -Je l'espère. Pitié, qu'une fille arrive à le détourner de sa solitude ! » Elle a l'air si désespérée que je me mets à rire.
« -C'est si catastrophique que ça ?
« -Si tu savais. De tout petit il a été réservé et distant mais ça a empiré avec le temps. Alors je lui dis, au lieu d'aller passer tes soirées dans les pâturages avec tes chiens, pourquoi est-ce que tu ne sors pas avec tes amis ? Il en a des tas d'amis, mais non, ça ne l'intéresse pas.
« -Ah oui, c'est étrange quand même.
« -Il croit peut-être qu'elle va lui tomber du ciel ?
« -Qui ?
« -La femme de sa vie !
« -Il faut lui laisser du temps, chacun va à son rythme dans la vie. Il vaut mieux ça que de prendre le premier train qui passe sans être prêt. Je le sais par expérience, ça finit toujours mal avec beaucoup d'amertume en prime.
« -Oh mais tu es jeune pour dire ce genre de chose.
« -L'âge ne fait malheureusement pas l'expérience. » Nous continuons le repas puis nous mangeons tranquillement en parlant de sujet bateau. La journée se ressent, surtout pour moi et je monte dans ma chambre assez tôt. Je m'installe sur mon lit et télécharge les photographies que j'ai prises. J'en ai plein du coup je les passe une par une et je fais une sélection petit à petit. Je supprime les mauvaises et note les meilleures. Je reste captivée plusieurs minutes par une en particulier. Un grand angle qui englobe la vue, le troupeau, les chiens et lui. Lui, son visage de profil, le regard perdu au loin. Je ressens une certaine tendresse pour lui, une tristesse aussi sans que je ne sache pourquoi. Peut-être cette solitude maladive. Que s'est-il passé dans sa vie pour qu'il préfère la compagnie d'animaux plutôt que d'humains ?
J'éteins la lumière et je pense à lui. Ferme les yeux et l'imagine seul, assis dans l'herbe le regard perdu sur l'horizon, pensif alors qu'au loin, ses amis font la fête et avancent dans leur vie. Le sommeil me tombe dessus comme une chape de plomb et je n'ai comme seul recours que de sombrer.
Chapitre 6
« Ce qui me vient » Emmanuel Moire
Je me réveille calmement sans prendre le temps de regarder l'heure. Il doit être bien tôt, en tout cas, j'ai toujours sommeil. Je me risque à ouvrir un œil, il fait déjà jour. J'écoute les cloches du village sonner et je compte. Sept… Huit… Neuf. Neuf heures ? Déjà ? Je me lève d'un coup sec, file à la douche puis m'habille d'une jupe et d'un t-shirt avant de descendre en courant, pied nue. Je ne suis pas le genre de fille à faire des grâces-matinées. Non, ça pour moi c'est du temps perdu. En fait, j'ai remarqué que je fais beaucoup plus de choses le matin que l'après-midi, ça aide pas mal à se lever du coup. Je cherche Alain et Manon et les trouve à jardiner dehors. Je les salue d'un mouvement de main et leur crie que je fais comme chez moi, qu'ils n'ont pas besoin de se déplacer. Je retourne en cuisine en chantant puis me prépare mon petit déjeuner avec le même entrain. Je m'assois à table et observe la montagne. Je me perds dans ma contemplation, ne me rend pas tout de suite compte que mon esprit diverge vers David.
Je repense à ses cheveux noirs corbeaux où j'aimais perdre mes doigts, à ses yeux noisette et son regard coquin. Je peux encore entendre sa voix me murmurer qu'il m'aime, que je suis la femme de ma vie. Je repense au jour de sa demande, à ma surprise immense, moi qui ne voulais pas me marier. Puis repasse une à une toutes les étapes de la préparation du mariage, à ses avis, à ses désirs et ses refus. Aux prénoms qu'il voulait donner à nos enfants, à la voiture qu'il venait de changer en me disant que quatre portes c'était plus pratique quand on avait un bébé.
« -Ca va Audrey ? » Me demande Manon en se penchant vers moi. Je secoue la tête comme pour faire sortir ces idées stupides de ma tête.
« -Oui, je repensais à certaines choses. » Je lui réponds en buvant une gorgée de mon café tiède.
« -Auxquelles ?
« -Des trucs qui mis bout à bout ne forment qu'un immense gâchis. » Je lui souris tristement. Un énorme gâchis, oui voilà. De temps, d'argent et de sentiment. Pas une erreur non, car je ne regrette pas, enfin pas encore. Non, juste du gâchis, du gaspillage. Je me demande s'il regrette lui.
« -Tu as des idées bien sombre dès le réveil je trouve. » Je hausse les épaules. « Je pensais aller me promener un peu ce matin tant qu'il fait encore bon, tu veux m'accompagner ?
« -Pourquoi pas. » C'est une excellente idée, j'ai besoin de me changer les idées et de bouger.
« -Je ne vais rien faire d'extraordinaires eh. » Je lui souris.
« -Ça me va très bien. » Je me lève, range mes affaires pour qu'elle n'ait pas à le faire..
« -Surtout qu'Alexandre a prévu de t'amener quelque part cette après-midi.
« -Ah oui ? Où ?
« -Ah ça… bonne question. »
Une dizaine de minutes plus tard, nous quittons la ferme et nous nous promenons dans le village. Je prends quelques clichés tant que la rue est vide. Ca fait rire Manon. Elle est curieuse, me demande ce que je prends en photo et pourquoi. Je lui parle de ma vision des choses, de ma passion pour les détails, pour la poésie. Ca la fascine et l'impressionne en même temps. Nous continuons notre marche jusqu'à l'entrée du village où se trouve le lavoir. Je souris en voyant un vieux panneau des années 70, disant que le lavage des voitures est interdit. Je le prends en photo, plus par souvenir que par esthétique. Le lavoir est encore fonctionnel. L'eau est froide mais pas autant que celle de la cascade.
« -Et oui, celle de la cascade vient directement des glaciers. » M'explique Manon. D'accord. C'est cool, j'apprends des choses. Je ne peux pas m'empêcher de caresser cette pierre si lisse après tant d'années de services. « C'était une autre époque. » Je me tourne vers Manon et elle a un air nostalgique. Nous continuons notre chemin sur la route. Elle me parle des fleurs que l'on croise ou des traces de pattes d'animaux. Le reste du temps, nous écoutons la nature. Il doit bien s'écouler une heure avant que nous décidions de faire demi-tour.
Impossible de chômer avec Manon, dès notre arrivée, elle se lance dans la préparation d'une croustade aux pommes. Je lui propose mon aide et elle la décline poliment, me disant que je suis en vacance. Je lui souris, elle n'a pas tort. Je m'installe dans la bibliothèque et je bouquine jusqu'à l'heure du repas. Je sursaute lorsque la porte d'entrée s'ouvre au moment où je sors de la pièce. Alexandre me jette un regard surpris et je dois sans aucun doute lui renvoyer le même.
« -Salut. » C'est tout ce qui sort de ma bouche.
« -Salut. » Me répond t-il en fermant la porte. Il sent bon l'extérieur. Pourquoi est-ce que je me sens aussi intimidée et cruche qu'une adolescente ? Nous avançons ensemble jusqu'à la salle à manger. Le repas est délicieux et le dessert… Le dessert ! La pomme fond presque sur ma langue. Manon ne doit pas être pâtissière mais dans ma boîte, elle ferait un sacré carton. Je sens qu'avec tout ça je vais rapidement prendre des kilos et je n'en ai rien à faire.
Rien à faire de grossir.
Je m'en fou royalement !
Il faut dire que tout est tellement bon, comment se priver ?
Quand il est l'heure de partir, j'enfile vite un jean pour ne pas me faire disputer par Alexandre. Comme d'habitude, enfin comme la veille quoi, il m'attend près de sa voiture. Il a passé un t-shirt immaculé qui lui donne quelques teintes de bronzage en plus.
« -Prête ? » Me demande-t-il. Oui ! Je suis toute excitée, encore plus que je ne connais pas la destination. Que va-t-il me faire découvrir aujourd'hui ? Déjà, nous descendons vers la vallée. Je continue ma contemplation du paysage, imaginant tous les coins que je ne connais pas. Que cachent encore ces belles montagnes ? De temps en temps, je jette un regard au chauffeur, observe sa main changer de vitesse. Je repense à David et à son habitude de poser sa main sur ma cuisse entre deux changements. Mais zut, pourquoi est-ce que je pense encore à ce connards moi ? De toute manière, je peux toujours espérer qu'Alexandre en fasse de même mais il a huit ans de plus que moi. Ma conscience me dit qu'il est trop vieux, mon âme la traite de vieille fille et mon cœur retient ses lambeaux de tomber. Je roule des yeux, exaspérée par la propre traitrise de ma pensée. Je ne viens pas ici pour me trouver quelqu'un de toute manière alors on se calme les gars. Je ne suis pas prête à retomber amoureuse, ça, je vous le garantie !
Croix de bois, croix de fer, si je meurs, je vais en enfer !
Après vingt minutes de route en silence pour que je me bataille contre moi-même, la voiture s'arrête enfin. Nous sommes garés sur le bord de la route. Je descends et cherche un chemin des yeux. Rien. Ou alors je suis aveugle. Au choix. Alexandre m'indique la route d'un mouvement de main et je le suis. Nous sommes obligés de marcher l'un derrière l'autre à cause de la circulation. No problem, je me mets derrière toi. Mes yeux se perdent sur le coton blanc et des tas de questions se mettent à fusionner dans ma tête. Il fait un mètre quatre-vingt-dix non ? Il est mince mais il a pas mal de muscle eh ? Il a des tablettes de chocolat ? Il doit avoir un sacré puissance dans ses bras, il peut ne pas me porter pour que je tâte ? Je peux savoir pourquoi il a des fesses rebondies et pas moi ? Comment le mec le plus canon du coin est encore célibataire ? Pourquoi ? Quelle est sa tare ?
Sans prêter attention à mes commentaires silencieux sur sa personne, il bifurque sur un petit chemin qui s'enfonce dans la forêt. Encore de la grimpette. La différence avec la dernière fois c'est que je sens qu'Alexandre ralentit l'allure pour que je puisse le suivre. Pareil, il fait des pauses lorsque je m'arrête pour prendre des photographies. Il est vraiment sympas ce mec. Il enjambe plusieurs rochers, se tourne et me tend à chaque fois la main pour m'aider. Quel gentleman ! Sa poigne est forte et j'ai l'impression d'être minuscule et fragile. Vue les efforts que je suis en train de fournir, j'aurais pu prendre une autre part de croustade. Je crois que je vais maigrir finalement. Le rocher devant moi est assez haut et je dois pousser sur mes jambes pour pouvoir rejoindre Alexandre. Pourquoi payer pour un club de gym alors que l'on peut avoir la même chose gratuitement ?
« -Je n'ai peut-être pas choisi la meilleure destination. » Il semble désolé. Je lui souris pour le rassurer. Bah personnellement ça va, je ne suis pas encore essoufflée.
« -Non c'est bon. » Il se retourne et nous continuons la marche. Tant que je peux te toucher, peu m'importe où tu m'amènes. Aïe ! Maudis cœur !
J'écoute le chant des oiseaux cachés dans les arbres. Tout est si serein que j'ai envie d'arrêter le temps à jamais. Ah, problème. Il y a un éboulis sur le chemin. Ça doit bien faire trois mètres de hauteurs. On ne peut pas le contourner ? Je n'ai même pas le temps de poser la question au berger qu'il est déjà en train d'escalader. Euh, là, je ne sais pas si je vais en être capable. Je l'observe trouver ses prises sans soucis, comme si il avait fait ça toute sa vie. Arrivé en haut, il me demande de le rejoindre. Il est mignon, comment je fais-moi ? Je mets mon pied où ? Je suis tellement cruche que je vais tomber sur les fesses et me casser le coxis. Je le sens venir gros comme une maison. Bon allez Audrey, tu es forte, tu vas y arriver, il n'y a pas de problèmes. Je fais les premiers centimètres tranquillement. Je suis tellement stressée de trouver ma prochaine prise dans toucher un serpent que je ne remarque pas tout de suite la main d'Alexandre tendue vers moi.
« -Besoin d'aide ? » Me demande-t-il. Je glisse ma main dans la sienne.
« -Ce ne sera pas de refus. J'aurais dû prendre escalade en option au lieu de choisir grandes-occasions. » Il me sourit. J'ai déjà dit qu'il était encore plus beau lorsqu'il souriait ou pas ? Non parce que je n'aimerais pas radoter, surtout pas à vingt-trois ans. Il a tellement de force que je n'ai presque rien à faire. C'est étrange de se sentir parfaitement en sécurité avec un demi-inconnue, non ? Et d'avoir le sentiment que je pourrais le suivre n'importe où s'il me le demandait ? Il y a-t-il un psy dans la salle ?
« -Bravo, belle montée. » Je ne sais pas s'il se moque de moi ou pas mais je suis fière de ma performance en effet. Je regarde en contrebas, c'est assez haut quand même.
En tout, escalade et arrêts compris, il a dut se dérouler un peu plus d'une heure jusqu'au moment où nous arrivons à la destination tant convoitée. Au début, j'avoue avec une certaine honte que je ne sais pas trop ce que je regarde. La montagne, des pierres rectangulaires disposées à plusieurs endroits. Ça me fait penser à des ruines mais en très dispersé. Je me retourne pour voir le paysage, en face, je peux voir deux petits villages. C'est paisible.
« -Ce sont des ruines mégalithiques. » Me dit Alexandre. Ah ! Je comprends mieux. Il y a eu des hommes ici à cette époque ? « Une rumeur dit que ça porte chance de venir ici. » Je lui souris. Ce n'est pas le lieu, c'est toi qui es magique. Aïe… Bon, je prends plusieurs clichés, me promène au milieu des pierres. Certaines sont sculptées, d'autres représentes de petits trous. Alexandre ne peut pas me répondre quand je lui demande l'utilité. Personne ne sait vraiment en fait, à ce qu'il me dit. J'ai du mal à imaginer qu'il y a de ça plusieurs siècles des hommes se sont tenues là. Voyaient-ils le même paysage que moi ? « Un peu plus loin il y a des traces du passage des templiers. » Alexandre me désigne une direction et je lui demande si nous pouvons y aller. Il acquiesce d'un mouvement de tête et nous reprenons la marche. C'est loin, mes jambes commencent à se changer poteaux mais tout ça m'importe peu. Mon appareil ne cesse de fonctionner, à un moment, j'ai même peur de ne plus avoir assez de place sur ma carte mémoire. Nous arrivons devant une chapelle minuscule et Alexandre me montre des personnages sculptés sur plusieurs pierres. Ils sont le plus souvent par deux, toujours une femme et un homme. Il m'explique brièvement que ce sont des pierres funéraires que les personnes du coin ont réutilisées pour construire le petit édifice. Au moyen-âge. Merci les bonds dans l'histoire, je suis fascinée par la culture du coin. C'est tellement riche. Il pousse le verrou et la porte en bois grince.
« -On peut y aller ? » Vraiment ? La chapelle est ouverte, comme ça et n'importe qui peut y rentrer ? Ils n'ont pas peur des tags et des dégradations ? Il m'invite à entrer. Je ne vais pas me le faire dire deux fois. Il y fait sombre et froid mais les peintures qui s'y trouvent valent le détour. C'est comme entrer dans une grotte préhistorique et regarder les dessins en imaginant les gens les faire. J'ose à peine les prendre en photographies tellement elles sont anciennes et rares. Alexandre s'assoit sur un des bancs et me laisse le loisir de faire et refaire le tour des murs pour pouvoir en capter les moindres détails. Sur l'autel il y a plein de vieux bouquets de fleurs.
« -Ça s'appelle la chapelle des mariées. » Me dit Alexandre avant même que je pose la question. « La tradition veut que la mariée vienne déposer son bouquet de fleur en offrande conte l'assurance d'un mariage long et heureux. » Je souris devant tant de superstitions avant de ressentir une profonde et lourde tristesse. C'est un peu comme une lame qui s'enfonce tout à coup dans mon estomac et me plie en deux.
« -Ta belle-sœur l'a fait ? » Je me tourne vers lui pour le voir secouer la tête de gauche à droite. « Ta femme le fera ? » Il haussa les épaules. Je regarde une dernière fois les bouquets de fleurs, complètements secs et mort. Comme mon mariage. « Moi je l'aurais fait si j'avais été dans le coin. » J'ai mal et j'ai besoin de m'asseoir. Je me dirige lentement vers le banc d'Alexandre.
« -Il faut que tu épouses un gars d'ici alors. » Je prends place à sa droite, me laisse le temps de prendre de grandes inspirations pour enlever cette pointe dans ma poitrine. J'apprécie beaucoup ce silence quand il provient de lui. Les minutes défilent sans que j'éprouve la moindre gêne. « Tu n'es pas ici en vacance eh ? » Cette question qui résonne contre les murs froids glace mon sang sans que je ne sache pourquoi. Peut-être est-ce parce qu'il a trouvé mon secret ? Ou que je joue mal mon rôle de parfaite petite idiote heureuse ? Je n'ose pas le regarder, ne sait pas encore quoi lui répondre. Non mais de quoi je me mêle d'abord ?
« -Pour un mec qui ne parle jamais, je trouve que c'est un peu gros comme question. » Le silence retombe et je regrette aussitôt ma phrase. Pourquoi est-ce que je l'agresse, il n'y est pour rien. « Désolée. » Je laisse encore quelques secondes pour me donner l'énergie de lui révéler mon secret. « Non, tu as raison, je ne suis pas ici en vacance. Enfin, pas vraiment. » J'observe l'autel, le bois est lisse sous mes doigts. « Je suis en voyage de noce. Voilà. » Je le vois du coin de l'œil se tourner vers moi pour me regarder. « En voyage de noce mais je ne suis pas mariée. » Il détourne son visage de moi. « Je ne me suis pas mariée parce que mon fiancé m'a largué deux jours avant. » C'est étrange de dire ça dans une église, en tête à tête avec un bel homme et pourtant ça me fait du bien comme si en parlant, j'extirpais le mal de mes lèvres, que je guérissais mon cœur. « Il m'a quitté parce qu'une nuit, il a fait un rêve et quand il s'est réveillé de ce rêve, il a compris que l'on faisait une erreur. Il a compris que je n'étais pas la femme de sa vie. Il m'a expliqué ça calmement, comme si c'était une raison tout à fait valable de tout foutre en l'air deux jours avant le mariage. Je l'ai regardé faire ses valises sans rien dire et puis il est partie. Il m'a laissé le loisir de tout annulé, d'appeler tout le monde pour leur annoncer. Mais leur annoncer quoi ? Qu'il avait fait un rêve et que ça avait tout gâché ? J'ai passé deux jours entiers à passer des coups de fils, à devoir m'excuser encore et encore pour le prix des billets, l'achat des tenues ou celui des cadeaux. Et je n'ai pas osée leur dire que moi aussi j'avais payé une superbe robe qui ne me servirait jamais en définitive. » Je fais une pause, essayant de ravaler la boule dans ma gorge et mes larmes dans mes yeux. « Du coup, le matin du mariage j'ai décidé que ça ne servait à rien que je reste là à rien faire, à ruminer alors j'ai pris une carte et j'ai choisi la zone la plus au sud. Ensuite, j'ai cherché le village le plus pommé où il y avait une maison d'hôte. Puis j'ai téléphoné pour savoir si c'était libre, si le réseau et le wifi passait ou pas. J'ai réservé, fait mes valises et je suis partie dans la foulée. Je ne voulais pas et je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort. » Il y a un silence de plusieurs secondes. « Comment peut-on savoir que quelqu'un est réellement fait pour nous ?
« -Je crois qu'on le sent dès la première rencontre. » Sa voix est douce et apaisante. « Certains disent que c'est avec le temps qu'on le sait mais moi je pense que c'est dès le début. » Je souris.
« -Je suis mal partie alors, nous sommes sorties ensemble par défaut. On ne se plaisait même pas au début puis l'amour est arrivé ensuite.
« -Ca faisait longtemps ?
« -Six ans. Il m'a demandé en mariage l'année dernière alors que je ne voulais pas me marier. Je les connais ceux qui se marient à mon âge, ils font des enfants dans la foulée puis divorcent aussi sec. Et après, ils se retrouvent à trente ans à vouloir refaire leur vie en ayant déjà des gosses d'un mariage célébré trop tôt. Mais ça lui tenait tellement à cœur que j'ai dit oui.
« -Je suis désolé. » Je sens beaucoup de franchise en lui.
« -Merci, moi aussi.
« -C'est un connard qui ne te mérite pas Audrey. » Je me tourne vers lui, surprise de ce qu'il me dit. « Vraiment, je le pense. Si il n'est pas capable de voir la fille merveilleuse que tu es alors sincèrement, tu as bien fait de ne pas l'épouser. » Je souris doucement, ne sachant pas si il me dit ça par politesse ou si il le pense vraiment.
« -C'est marrant parce que plus les jours passent et plus je me le dis. Je crois même qu'avec le recul je suis soulagée de ne pas m'être mariée. Depuis que je suis arrivée ici, j'ai l'impression d'être quelqu'un de nouveau. J'ai envie de faire tellement de choses.
« -Tu en es capable.
«- En fait je crois que mon plus gros problème dans cette relation c'est que je n'ai pas vécu. Je me suis mise avec lui à la fin du lycée. J'ai loupée tellement de choses, les fêtes étudiantes, les soirées entre amies, les vacances en solitaire, les week-ends pénard… Et la finalité à toute cette histoire triste à mourir est que tous mes sacrifices m'ont conduit à me retrouver larguée deux jours avant. Et en dehors de lui, j'ai fait quoi de ma vie ?
« -Tu es jeune, tu as encore le temps. » Je lui souris.
« -Je ne pensais pas que tu serais le genre de garçon à me sortir un stéréotype aussi énorme. » Il esquisse un rapide sourire et la boule dans ma gorge disparait.
« -Je veux dire, des fêtes, des soirées, des week-ends, tu vas en avoir toute ta vie. Des hommes aussi, tu vas en avoir d'autres, des connards comme des saints et tu trouveras le bon et tu seras heureuse de l'épouser. Tu ne lui diras pas oui pour lui faire plaisir mais parce que tu le voudras. Tu as l'impression que c'est terminé parce que tu n'es plus sa petite-amie mais tout ça sera fini uniquement le jour où tu seras morte, pas avant. Tu pourras changer de vie même à quatre-vingt-dix ans, personne ne t'en empêchera. » Je ressens beaucoup de reconnaissance et de tendresse pour lui.
« -Merci. Je ne sais toujours pas quoi faire maintenant.
« -Deviens bergère. » Je me mets à rire, trouve l'idée excellente. « Tu peux tout faire Audrey, il faut juste que tu en aies envie. » Nous nous regardons et tout à coup j'ai envie de l'embrasser.
« -Je dois écouter mes désirs ?
« -Oui car il n'y a que toi pour décider de ta vie. » Je lui souris, j'aime beaucoup sa façon de penser et de voir les choses.
« -J'aimerais faire cette expo qu'on me propose depuis un an et demi.
« - Alors lance-toi.
« -Tu ne sais même pas ce que je fais comme photo, si faut c'est juste de la merde en boîte.
« -Je suis persuadé que non, tu me montreras ? » Je suis tout d'abord surprise avant d'être prise de timidité. Il semble sincère alors j'acquiesce.
Ensuite, je demande solennellement à mon cœur de ne pas tomber amoureux de cet homme.
«-Quelqu'un les as déjà vue ? » Me demande-t-il, me coupant de mon lien spirituel avec mon organe meurtri.
« -Oui, j'ai fait trois expositions déjà, dans un salon de thé, une librairie et une petite galerie.
« -Tu voies.
« -Oui, enfin… pas de là à me faire un nom ou à gagner assez pour en vivre. » Il hausse les épaules.
« -L'important est de faire ta passion. Tu crois que ça me rapporte beaucoup d'être berger ? » Je repense à ma photographie préférée prise la veille.
« -Tu crois que tu… hum… accepterais de poser pour moi ? » Il semble surpris de ma requête. Oui, je suis assez prévisible aussi.
« -Je ne suis pas mannequin. » Je lui souris.
« -Enfin, pas de poser disons juste, que tu es naturel, tu fais ce que tu veux et moi je te prends en photo. Par exemple avec tes moutons et moi, je… » Je suis troublée, intimidée, au bord du un malaise.
« -Si ça peut t'aider à tourner la page alors d'accord.
« -C'est vrai ? » Je suis si surprise qu'il se met à rire.
« -Oui.
« -Cool. » Le silence retombe dans la pièce jusqu'au moment où il me propose de rebrousser chemin. J'en étais fatiguée d'avance mais la présence d'Alexandre calme mes courbatures. Il fait moins clair quand nous sortons de la chapelle. Ici le soleil se couche plus rapidement qu'en ville, il suffit qu'il passe derrière la montagne pour qu'on ne l'ait plus. Nous repassons devant les ruines mégalithiques puis redescendons dans la forêt. Alexandre m'aide à descendre des éboulis. Il prend ma taille fille et me fait glisser contre lui jusqu'à ce que mes pieds retrouvent la surface du sol. Je peux sentir la puissance de ses bras sous mes mains.
Alors, pour donner l'exemple type utilisé dans les films pour décrire cette scène, c'est ce moment où, il y a un contact assez intime, les deux protagonistes sont l'un contre l'autre, leur regard est intense, leur respiration diminue et tous les spectateurs se demandent si ils vont s'embrasser ou non.
En tout cas la tension sexuelle est présente.
Bref, j'en suis toute retournée, je me sens toute petite, toute fragile. Il sent bon l'assouplissant et je désire enfouir mon visage dans son cou pour découvrir sa véritable odeur. A quoi penses-tu Audrey ? A rien.
Rien du tout.