DES BISOUS ET DES CLAQUES

ahqepha

En solidarité avec ces jeunes Marocains qui ont osé se prendre en photo en s'embrassant.

Oui, M. l'Inspecteur, j'avouerais tout… Oui, vos hommes m'ont bien préparé. J'ai vu le poulet rôti, le caca dans le coca, et d'autres positions dont je ne me rappelle pas les noms… Oui, peu importe ce que vous écrirez dans votre PV, je le signerais… Oui, j'ai fait mes adieux à ma carrière de futur avocat… Maintenant que je reconnais avoir agressé sciemment le neveu du cousin de la belle-mère de votre Ministre de tutelle. Avocat ou chômeur, ça ne fait pas une grande différence… Oui, M. l'Inspecteur, je serais bref car il est 4 heures du matin et que vous voulez rentrer chez vous…

L'histoire a commencé en fait il y 20 ans… Elle s'appelle Lamia. C'est ma cousine. Elle est maintenant l'épouse d'un riche grossiste. Aussi riche que gros que vieux. Mais il ne veut pas crever… Ils ont trois enfants, je crois… Nous avions 7 ans à l'époque. Nous étions élèves dans la même classe. C’était le printemps. Il faisait très beau ce jour-là. Il y avait une agréable brise marine... Nous étions debout dans les rangs: une rangée pour les filles et une autre pour les garçons. Elle était, comme d’habitude à mon côté. Main dans la main... Nos parents avaient lu notre Fatiha pour à sa naissance. Nous étions promis l'un pour l'autre. Notre amitié faisait plein de jaloux parmi les autres élèves… Je ne sais pas qu’est ce qui lui a traversé la tête ce jour-là. C’était peut-être le soleil? Elle s’est rehaussée sur les pointes des pieds pour arriver à ma hauteur. Elle voulait m'embrasser sur la joue. Chose que nous n'avons jamais fait avant. Ni après. Au même moment, je tournais la tête, et nos lèvres se sont frôlées, un bref instant... Un charivari de fous rires a envahi les rangs. Lamia me regardait avec un petit sourire et des joues rougies. Son léger strabisme la rendant encore plus belle et accentuant l'innocence de son bisou... Quelqu’un a dit: "Je vous ai dit que c’est une salope!". Et il y a eu un nouveau charivari de fous rires... Je ne sais pas qu’est-ce qui m’a traversé la tête. Au lieu d'aller casser la gueule au con qui nous a insultés, j’ai giflé Lamia. Une sacrée claque… L’expression de son visage a changé. Elle a voulu dire quelque chose. Mais ses sanglots ont bloqué ses paroles. Elle a couru. Je ne l’ai pas revue de toute la journée. Le lendemain, ses parents l'ont changé de classe. Et moi, entêté come un mulet, je me suis obstiné à ne pas m'excuser…

Comme vous le dites, M. l'Inspecteur: pourquoi s'excuser d'ailleurs? Oui, c'est certainement l'influence des chaines de télé occidentales. Tout un plan pour corrompre nos enfants...

Douze ans après, Lamia s'est mariée. Nos pères se sont disputés à cause d'une affaire d'héritage. Ils en ont oublié la Fatiha…. L'oncle a eu ensuite des difficultés financières. Et il a dû même vendre la télé...

A sa demande, je suis allé les aider à faire les dernières courses pour les fêtes. Lamia m'a vu et m'a appelé pour me montrer ses cadeaux de mariage avec d'autres invités… Nous nous sommes trouvés seuls, un bref instant. La première chose qu'elle m'a dite dès que les autres étaient sortis, a été: "Je ne veux pas l'épouser !". Je ne l’ai pas giflée, mais qu’est-ce que j’aurais pu faire ? La dépassant toujours d'une tête, j'ai déposé un bisou sur son front. Même de loin, j'ai pu sentir son cœur battre très fort. Alors, j’ai essayé de lui remonter le moral. Quitte à mentir. "Lamia, il y a toujours de ces moments où l’on a peur de l’avenir, où l’on panique… Souvent, on n’a pas le droit car on s’aperçoit plus tard qu’on avait tout… Tu vas te marier, c’est l’un des plus forts moments de la vie, alors c’est normal de paniquer… Vivre à deux, c’est une aventure … Tu es belle, intelligente, jeune : tu as tous les atouts pour découvrir ton mari, pour le connaître et le comprendre… C’est comme ça que lui aussi t’aimera plus… C'est vrai qu’il est un peu plus âgé, mais ça ne doit pas te faire peur : on connait tous plein de couples comme ça et ça marche bien pour eux… La différence c’est ce qui enrichit une relation…"

Oui, M. l'Inspecteur, J'abrège. Elle m’a interrompu net: "Toi Aussi, Tu Ne Veux Même Pas Comprendre?"

Je l'ai regardée en silence, essayant de retrouver notre télépathie perdue. De lui passer le message mentalement. "Je comprends presque tout… Se faire piétiner par ce gros lard, qui n’a même pas fait d'études secondaires. Parce qu’il est riche, et que toi, tu es belle et pauvre… J'ai envie de mêler ciel et terre pour te sortir d'ici. Mais… Fuguons peut-être? Mais… En même-temps, c'est sûr qu'il va crever bien avant toi… Un mauvais quart d'heure à passer…".

La télépathie n'a pas marché, ou bien le contraire? Son cœur a arrêté de battre, un bref instant. Ses yeux refusaient de fixer les miens et elle me scrutait tout le visage comme si elle ne m'a jamais connu. "En Tout Cas, Toi, Je Te Dois… CECI!" Et elle m’a giflé, par surprise, au milieu de sa phrase. Une sacrée claque... Elle est sortie, la tête haute, superbe et souriante malgré son désarroi. Il y a eu un charivari de youyous… Et moi je cherche encore mes mots et étouffe mes sanglots, car les hommes ne pleurent pas.

Oui, M. l'Inspecteur, revenons à notre affaire... Je ne suis plus sûr d'avoir entendu cette fille de 17 ans dire au type qui la harcelait "Laisses-moi tranquille!"… Oui, j'ai bien vu qu'il roulait en Jaguar, et je sais à qui généralement appartiennent les Jaguars... Mais, quand il a répondu "L'Aziza, donnes-moi ton adresse, je viens aujourd'hui demander ta main à ton papa"… Oui, c'est licite, légitime et ça dénote plutôt d'une intention noble… Mais je ne sais pas qu'est-ce qui m'a traversé la tête… Je me suis jeté sur lui. Je lui ai barbouillé le visage avec des claques. Ça m'a libéré, un bref instant… Ils doivent lui refaire la figure? J'ai tapé aussi fort que ça?... Non, M. l'Inspecteur, les gifles de vos bourreaux ne sont rien à côté de celle de Lamia… Oui, il faut revenir à un enseignement non mixte… Oui, comme vous le dîtes, la mixité a créé plein de déséquilibrés… Oui, je signe votre rapport comme convenu. Ce que je viens de raconter ne constitue pas de circonstances atténuantes… Mon plan? Vous venez de me le donner à l'instant: jouer les déséquilibrés!

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Ensuite, dans sa cellule, il chantait toutes les nuits:

ET BI-DI BA-DA BOUM!

الّربيع رّبع،                              [Le printemps est bien là, ]و اللّبن قراص                           [Et le lait caille plus vite]
و اللّي عندو بنيّة، يعطيها لترّاس...  [
Celui qui a une fille, Qu'il la donne à brave gars]و أنا شيهمّني،                           [Et moi, de quoi je me mêle?]خلّي يعطيها حتّى لشيخ بصّاص...    [Qu'il la donne même à un vieux péteur [BASSAS]…]


EUHHHEU! M. L'INSPECTEUR YA BASSAS [HEY, INSPECTEUR PETEUR]!… AÏE!... AÏE!... AÏE!

ET MOI JE M'EN FOUS, J'AI DES POILS PARTOUT!... BI-LI-LI BI-LI-LOU!

A force, il a perdu vraiment la tête. Après son jugement, au bout d'un mois en prison, il a été déclaré aliéné mental. Il a fui sa lâcheté vers la folie… Et ce fut sa seule fugue réussie.

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