" Des cailloux plein les poches "

gautier

Une chronique sur une des pièces du 50 ième festival d'Avignon OFF , aujourd'hui " Des cailloux plein les poches " de Marie Jones (retrouvez le format audio sur le lien média.)


“Des cailloux plein les poches“, c'est un rêve de gamin qui finit tristement à l'eau, l'issue tragique d'un itinéraire tourmenté qui reviendrait par une ultime boucle, aux gestes anodins de l'enfance. C'est aussi un second scénario, bien réel qui s'insinue au beau milieu d'une romance convenue, sans que personne n'y prête attention. Car loin du drame annoncé, le premier propos de la pièce semble être les périphéries d'un tournage hollywoodien sur les terres fières d'Irlande, avec en toile de fond ses paysages romantiques à profusion et ses figurants pur jus de malte et pur cru d'expression.

Dès le début de l'histoire et tout le long de la pièce, Charlie et Jake sous les traits respectivement d'Eric Métayer et d'Elrik Thomas sont nos deux référents, des p'tit gars du coin au passé aussi encombré que leur avenir incertain. Mais la confrontation de ces deux mondes,  l'un irréel et fantasmé celui de l'écran noir et l'autre plus collant aux semelles qu'une tourbe du même ton, ne va pas s'arrêter pas aux commentaires satiriques de nos figurants. Car les deux comédiens, seuls en scène, vont incarner successivement et sans aucune transition plus d'une demie douzaine d'autres personnages chacun : des hommes, des femmes, irlandais ou américains peu importe, du moment que c'est dans le script et dans la mise en scène de Stephan Meldegg, et tout ceci avec une véritable frénésie à la limite de l'ivresse, c'est jouissif et drôle comme l'abus d'un pur malt de plus de 30 ans d'expérience des planches. Ces acteurs ont beaucoup plus que de la bouteille, ils ont véritablement du tonneau !!  

Après le “ Seul en Scène “, omniprésent en Avignon car peu coûteux pour les producteurs, le “2 en un“ ou plus exactement le “ 6 en un“, ou plus si affinités, semble être la nouvelle idée géniale des metteurs en scène… de théâtre tout public cela s'entend!  Avec un décor unique pendant toute la pièce, la débauche des moyens est avant tout dans le jeu des comédiens. À cela s'ajoute une seconde économie, celle des costumes des innombrables personnages convoqués, puisque personne n'en change au passage de chacune des âmes incarnées. Là réside toute la beauté d'un transformisme suggéré où seule la casquette resterait l'accessoire essentiel à ces travestissements de l'esprit, à cet art très abouti d'un mime qui irait de la tête aux pieds!

Contrairement au film en tournage, l'histoire écrite par Marie Jones est tout sauf attendue! Ici pas de d'heureuse transgression de classe entre star et figurant, pas de rapprochement des colonisés à la journée avec leurs colons à la semaine, pas de happy end non plus, on respire ! Car un drame est inscrit au cœur du récit. Dès les premières pages, nous connaissons la victime de ce retournement progressif mais nous n'y attachons pas d'importance, comme tout le monde d'ailleurs. C'est alors que l'histoire bascule, pas l'humour heureusement ! Les maîtres cinéastes sont désormais tenus par leurs esclaves-figurants, le mariage de pellicule, clou final du film, n'aura lieu qu'après un enterrement de première classe. Les grands acteurs du film nous apparaîtront alors bien ridicules face à la vie réelle, celle qui n'a le droit qu'à une seule prise avant un unique et dernier “Coupez“ final!     

                                                                                                           Thierry Gautier (Copyright SACD Avignon 2015)

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