" Des couteaux dans les poules "

gautier

Une chronique sur une des pièces du 50 ième festival d'Avignon OFF , aujourd'hui " Des couteaux dans les poules" de David Harrower (retrouvez le format audio sur le lien média.)


Plutôt que du théâtre contemporain, qui titille le bourgeois et inquiète le prolo, on pourrait parler d'une pièce originale écrite par un auteur contemporain, mais aussi d'une tranche de vie plurielle conjuguée constamment d'un présent pas toujours plus que parfait pour les trois personnages, le laboureur et sa femme, le meunier et sa solitude récente. Pour autant, oubliez la fable naturaliste et moraliste du Meunier et du Laboureur, on n'est pas non plus chez Jean de la Fontaine. Néanmoins cette pièce passionnante à bien des égards est truffée de liens actifs, de prolongements de sens, de clins d'œil jamais appuyés, rien à voir avec des clichés.

Une femme de champs, Catherine Creux, infantilisée par son mari laboureur, Jean Philippe Pertuit, réduite  à l'état de bête de labeur et de terre à fertiliser, avant qu'une autre plus verte n'apparaisse, entrevoit dans l'univers rude qu'elle côtoie, autre chose que les simples mots utilitaires de la terre, autres choses d'impalpables qui ne collent pas à ses pas, ni à sa bouche. Bien qu'elle soit emplie d'une croyance en un Dieu omniprésent et omniscient, nécessaire et suffisant à toutes les explications de son monde quotidien, nait en elle un désir de recherche de sens. Désigner, nommer l'indicible autour de ces choses qui n'ont de valeur et de raison d'être pour ses congénères que celle d'être désignées par un simple mot, jamais plus. La flaque d'eau, le nuage, l'arbre... Viendront ainsi les premiers synonymes, puis leur métaphore poétique, qui tenteront de faire le contour de l'inimaginable, de l'inutile, de l'éphémère, nous sommes bien là à l'essence même de la poésie et de la littérature.

Ce désir de lettres, d'exister enfin à travers la sensation de l'immatériel se posera le temps d'une récolte de grain entre les mains puis contre le corps du meunier, Alain Azérot, haït par tout le village. C'est le thème de l'étranger qui apparaît, celui de la différence ou de l'indifférence, d'un l'intellectuel au cœur de la ruralité.
La mise en scène de Jean Camille Sormain, suit de près celle inscrite dans le texte de l'auteur David Harrower. En effet, au lieu qu'un accent caricatural pour faire parler les gens de la terre, le romancier écrit court, bref, supprimant les pronoms personnels, les “Je“ les “On“. Sans fioriture, il va directement au sujet de la phrase : son verbe ! Seul le meunier plus éduqué possède un langage moins frusque. Jean Camille rajoute également à cette indication intrinsèque, une mise en scène sobre, sensible et efficace, créant de faits un naturaliste de situation jusque dans la simplicité des changements de scène.                                                                                                                 La séparation des taches est donc complète et réussie: La poésie brute au texte, la vérité au jeu étonnant des acteurs,  l'imaginaire aux projections vidéo d'arrière scène. Le metteur en scène évite ainsi la redondance et le mélange des genres, en suivant de près le célèbre adage paysan : “ A chacun  sa place et les spectateurs seront bien gardés…jusqu'à la fin de la pièce !“                                                               

Thierry Gautier (copyright SACD Avignon off 2015)

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