Des idées révolutionnaires

Fleuriste Manchot

Comment faire la différence entre une idée de génie et une idée à la con ?

Une idée trottait dans sa tête depuis des heures. Il était resté buté, comme sur l'un de ces dos d'âne qui attiraient l'œil sur la longue route d'une pensée.

Bien sûr, David n'est pas de notre monde.
Puisque cette idée qui l'obsédait était des plus incongrues : il se demandait pourquoi toutes leurs voitures roulaient en — ce que nous appelons — marche arrière.
Le conducteur tournait le dos à la route qu'il parcourait, occupé à surveiller ses arrières. Chaque voiture était équipée d'un important dispositif de miroirs permettant de surveiller « ses avants ». La « marche avant » était même l'une des épreuves possibles du permis de conduire !

Il était resté coincé sur ce dos d'âne mental sans même réaliser pourquoi. Il ne remettait pas en question les principes de la conduire en marche arrière, mais quelque chose le titillait. Un je-ne-sais-quoi sur lequel il n'arrivait pas à mettre la main.
« La nuit porte conseil », pensa-t-il. « Tant que tu cherches, tu ne trouveras pas ».

Cette idée, si saugrenue, le hantait depuis maintenant 22 minutes. Le temps qu'il fallait pour aller, à pied, de chez lui au supermarché du coin.
Arrivant enfin, il se réjouissait déjà de pouvoir s'occuper l'esprit et oublier — à jamais — cette pensée parasite.

À ce stade du récit, j'imagine que vous voyez déjà la suite de l'histoire : il ne réussit pas à l'oublier. Eh bien, heureusement pour le récit, ça ne s'arrête effectivement pas là.

Oh ! Il l'oublia cette idée. Il sortit son sac et commença à s'enfoncer dans les rayons. La première étape était l'étal de fruits et légumes. Il regarda sa liste et s'empara du nécessaire. Ensuite venaient les produits surgelés. Rebelote, il consulta sa liste et remplit son sac. Venait ensuite dans l'ordre, les produits d'hygiène, le frais, les boîtes de conserve puis, enfin, les boissons.

Il arriva aux caisses au moment pire moment (pour lui. Le meilleur pour notre récit). Il choisit une file et prit son mal en patience. Il jeta un dernier coup d'œil à sa liste, puis à son sac, pour vérifier qu'il n'avait rien oublié quand une autre idée lui sauta au visage.
Ses surgelés avaient déjà commencé à fondre et ses fruits et légumes étaient écrasés au fond du sac par le poids des conserves et du pack de lait. Il se demanda alors pourquoi les rayons n'étaient pas disposés dans l'ordre inverse. Ou pourquoi l'entrée ne se faisait pas de l'autre côté. Deux solutions plutôt simples qui éviteraient ce désagrément. Une bonne idée, tout simplement.

Il releva la tête avec fierté et afficha un sourire satisfait. Quand vint son tour, il salua l'hôte de caisse et lui confia ses sacs. Comme il était de coutume dans ce monde, le caissier déballa les produits, les scanna et les plaça ensuite sur un tapis roulant qui les amena lentement jusqu'à notre héros (ce qui prit, comme à chaque fois, un temps fou). Celui-ci les réceptionna et les rangea à nouveau dans son sac.

Sa bonne humeur clignota vaillamment avant de s'éteindre comme une ampoule en fin de vie. Au fur et à mesure que les produits arrivaient et qu'il les rangeait dans le sac, un ordre précis se dessinait. Le pack de lait était bien rangé au fond, au côté des boîtes de conserve. Les produits d'hygiène s'étaient faufilés dans les vides. Les produits frais et les surgelés, placés dessus, partageaient leur fraîcheur. Enfin, les légumes trônaient au sommet, confortablement installés pour les 22 minutes de voyage qu'il leur restait à faire. Exactement l'inverse de l'ordre précédant. Et donc une triste révélation : sa bonne idée n'était pas si bien que ça puisque quelqu'un, longtemps avant lui, en avait eu une meilleure.
En somme, c'était une mauvaise idée, tout simplement.

Sa première pensée (celle qu'il avait oubliée, mais qui est nécessaire à la chute de ce récit) ressurgit alors dans sa tête. Il avait déjà entrevu des solutions plutôt simples, de bonnes idées pour rouler en marche avant. Mais en claquant la porte, sa bonne humeur avait emporté avec elle son envie de réfléchir. Il conclut simplement en se disant que, de toute façon, si c'était une bonne idée quelqu'un l'aurait eue avant lui.

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