Des m2 de commercialité à la banqueroute du logement parisien
Sandie Khougassian
Il était une fois Paris
Capitale de toutes les convoitises, Paris n'a jamais cessé de rayonner à travers le monde. Et comment ne pas succomber aux battements de cils de la belle « citadine » qui au XVIIe siècle avait pour lampe de chevet une simple lanterne ? En passant les diapositives, Paris a bien changé mais elle a su conserver les pierres de son histoire. La Lutèce nous a laissé ses arènes, les bras de Notre-Dame nous enlaçassent inlassablement de son gothisme rayonnant et les visiteurs sont toujours aussi nombreux à vouloir atteindre le sommet de la Kapla de fer de notre Gustave national. À quelques mètres de la rue de Rivoli, la Pyramide du Louvre fait une cour assidue aux passants, et quand on lève les yeux, les toits de Paris se souviennent encore d'Haussmann sans qui Paris ne serait pas Paris.
De l'architecture mais aussi une culture du métissage des genres, des arts en perpétuel mouvement, de la mode, des marques charismatiques, de la gastronomie haute couture, un art de vivre sur mesure, Paris fait toujours bonne impression et se classe parmi les métropoles mondiales les plus prisées.
Et avec le succès, les courtisans ne sont jamais bien loin. Les grands investisseurs de ce monde ne sont pas sans ignorer la valeur du pavé parisien. Les « Ultra High Net Worth Individuals », personnes dites « de haute valeur », seraient, selon l'étude du cabinet Wealth-X à l'initiative du réseau Barnes International Reality, au nombre de 3475 à Paris mais aussi les heureux propriétaires d'un patrimoine estimé à plus de 30 millions de dollars.
Le marché immobilier parisien ne fait pas grise mine, bien au contraire. Les mètres carrés s'arrachent à prix d'or. La Chambre des Notaires de Paris confirme la tendance avec de nouveaux records de prix. En novembre 2017, le prix du m2 devrait monter d'un cran et dépasser la barre des 9000 euros, soit une hausse annuelle de près de 9 %.
Le premier trimestre 2017 a vu passé dans ses filets des ventes qui donnent le tournis en défiant une nouvelle fois le baromètre immobilier. Thierry Delesalle, notaire à Paris, témoigne de la frénésie ambiante : « Nous avons identifié une vente dans le quartier Saint-Germain dans le VIe arrondissement à 14.850 € le mètre carré, porte Dauphine un appartement de 117 m2 a été vendu à 20.450 € le mètre carré, dans le secteur Gros Cailloux dans le VIIe un appartement de 189 m2 a atteint 29.950 € le mètre carré. Et vers la rue de la Roquette un triplex a été vendu 7.800.000 € ! » (pap.fr, le 30 mai 2017).
Rappelons que la capitale n'a pas connu que des jours de gloire. Selon l'étude des notaires parisiens, « Trois décennies d'immobilier à Paris », publié en février 2016, la Babylone au drapeau tricolore a aussi raté quelques marches par le passé, à commencer par une dépression des prix de plus de 30 % entre 1990 et 1997 puis, à cheval entre 2008 et 2009, avec la fièvre jaune du système bancaire international dont les germes ont contaminé sévèrement le volume des ventes.
Malgré les turbulences cycliques, voyons que Paris ne s'est jamais démotivé. Sourire aux lèvres, la courbe de prix nargue toujours et encore les statistiques. En 1990, le prix courant au mètre carré était de 3420 € et en 2015 de 7980 €/m2. La ville lumière peut se réjouir de l'évolution constante du prix de son mètre carré et le constat est bien sans équivoque. En seulement trente ans, le marché immobilier parisien a été multiplié par trois.
Si le prix à payer pour un mètre carré à Paris est aujourd'hui un luxe, qu'en est-il de sa disponibilité ? Quel est l'accès réelle- ment réservé à nos ménages français ?
La lumière attire certes mais reste réservée à une élite aux reve- nus confortables puisque seulement 33 % de nos ménages pari- siens peuvent prétendre à la propriété de leur résidence principale. Les portes ne s'ouvrent malheureusement pas pour tout le monde. « 120 000 personnes sont en attente d'un appartement à Paris. Il est important de préserver le parc existant car on manque de loge- ments neufs », déplore Ian Brossat, l'adjoint chargé du logement à la Mairie de Paris (leparisien.fr, le 2 février 2017).
Le marché locatif compte plus de 300 000 logements à Paris intra-muros et est, sans commune mesure, le plus accessible. Toutefois, son ouverture demeure limitée. Phénomène gran- dissant, le nombre de logements disponibles à la vente ou à la location s'amenuise de jour en jour au profit de la location sai- sonnière. Phénomène navrant, l'Hôtel de Ville grince des dents et le parisien « résident » est contraint de plier bagage vers des hôtes plus accueillants.
En effet, les propriétaires boudent de plus en plus le bail de location classique pour se tourner radicalement vers la mise en location meublée touristique. Très rentable, facile et peu contrai- gnant, les loueurs de meublés saisonniers profitent d'une révo- lution sociétale sans précédent à laquelle notre réglementation a dû, bien sûr, s'adapter.
Des droits et des obligations s'imposent mais observons que la disette de logements classiques, le besoin croissant d'adresses fiscales en sept cinq, l'inflation du nombre de logements sai- sonniers ainsi que l'appétence des propriétaires pour – toujours plus de revenus – rendent l'unité urbaine bien fragile. Paris va-t-il devenir un dortoir géant pour estivants permanents ? Les prochains mois signeront-ils une refonte complète des Tables de notre législateur ?
Face aux incertitudes du logement de demain, Paris est aussi confronté aux attentes de l'immobilier d'entreprise, profession- nels et sociétés désireuses de toujours plus d'espace.
Les indicateurs du marché des bureaux ne sont pas en berne. BNP Paribas Real Estate rapporte qu'au premier trimestre 2017 les volumes placés1 pour la capitale hors QCA enregistrent une hausse de 79 % soit 41 % de plus par rapport à 2016. Mais si les chiffres semblent satisfaisants, les utilisateurs le sont-ils tout autant ?
Selon le département Etudes et Recherche CBRE, « la livraison opportune en 2017 d'une dizaine d'immeubles de bureaux neufs ou restructurés à Paris intra-muros ne semble toutefois pas répondre aux besoins identifiés des utilisateurs qui ne choi- siront pas pour autant de se replier systématiquement vers des zones géographiques périphériques ou des immeubles de bureaux de seconde main. Cette tension sur l'offre de bureaux de qualité pourrait contraindre les utilisateurs à un statuquo ou à une réorganisation interne de leur immobilier de bureaux faute d'opportunité. ». Voyons que les bureaux flambants neufs sont attrayants certes mais pas forcément calibrés au profil de la demande.
Et, quant à la question de supprimer des mètres carrés habi- tables pour loger des mètres carrés considérés comme « autres que de l'habitation », il va sans dire que la préservation d'un logement responsable conjuguée aux besoins économiques des français dépendra bien évidemment de l'arbitrage mesuré de nos politiques.