Des Rats-Pages

Guillaume Lopez

Nathan est un petit garçon qui partage beaucoup de bons moments avec son papy. Comme souvent avec les enfants, la frontière entre réel et imaginaire est mince...

« Dis papy, tu fais des origamis ?

— Des quoi ?

— Des origamis, on en a fait à l'école l'autre jour, avec du papier.

— Ah, non, rien à voir. Ça, c'est un Rat-Page.

— Ça ressemble vachement à un origami quand même.

— Comme un âne ressemble à cheval. Il y a une différence. »

Il remplit mon bol de chocolat chaud.

« Un origami, c'est une simple feuille de papier pliée, pour faire joli. Alors que les Rats-Pages sont vivants. Par contre ils sont très timides, et ils ne parlent pas à tout le monde. Moi ils me connaissent, alors ça va. Si tu es gentil, je pense qu'ils pourraient devenir tes copains. »

Le téléphone sonna dans le salon, et papy alla répondre, me laissant seul avec le petit animal de papier, et mon chocolat au lait. J'observai d'un œil sceptique son corps rose et ses yeux tracés au stylo noir.

Pas l'ombre d'un couinement ou d'un plissement de museau.

Touillant avec attention le sucre que papy avait plongé dans mon cacao, je repensais à ce que m'avait affirmé plus tôt mon copain Fabien, pendant la récréation. Selon lui, les adultes nous racontaient des mensonges. Le Père Noël, les Cloches de Pâques ou les Dents de Sagesse, n'étaient que des histoires, pour nous faire peur et pour qu'ils restent les chefs. Mon papy faisait-il partie de cet immense complot ? J'avais jusqu'à présent refusé de croire la théorie de Fabien, et décidai de laisser une chance à ces Rats-Pages.

Écrasant un biscuit, j'en plaçai une miette devant le rat, et fis mine de m'en désintéresser en quittant la pièce.

Papy raccrocha le téléphone, et maman rentra par la porte de la véranda. Elle venait me chercher comme tous les soirs après la classe.

Je lui racontai ma journée, en évitant bien sûr d'aborder ma discussion avec Fabien, au cas où cette histoire serait vraie. Je ne voulais pas me faire repérer.

Puis maman m'envoya chercher mon manteau dans la cuisine, car il était l'heure de rentrer.

Alors que je saisissais la veste suspendue au dossier de la chaise, je constatai avec stupeur que les restes du biscuit étaient coincés dans les babines du petit Rat-Page.

« PAPY PAPY !! Le Rat-Page il a mangé un bout de gâteau !!

— Ah, tu vois. Je pense que ça veut dire qu'il t'aime bien. Mais il ne faut pas trop en parler aux gens. Ils sont très craintifs tu sais, et on risquerait de vouloir leur faire du mal. Ça restera entre nous, d'accord ?

— D'accord ! »

Papy m'aida à enfiler mon blouson, et en profita pour y glisser discrètement une friandise.

 

Le lendemain, j'avais très envie de parler de ma découverte à Fabien. Mais il ne croyait déjà pas au Père Noël, alors les Rats-Pages…

Quand la cloche sonna à la fin de la journée, je courus jusqu'au banc où m'attendait papy. Je sautais à pieds joints dans les flaques sur le trottoir, le nez et les joues rougis par le froid.

Impatient de m'asseoir devant mon goûter, j'ôtai bottes et manteau pour aller à la cuisine. Le petit rat était là, à côté de mon bol, regardant avidement mes gâteaux encore emballés. Je tirai la chaise avec douceur, de peur de le faire fuir.

Souriant, papy me servit mon chocolat.

« Salut, moi c'est Nathan, dis-je à l'animal. Et toi ? »

Pas de réponse.

« Allez quoi, je te veux pas de mal. Tu connais mon papy non ? Tu veux un bout de gâteau ? »

Toujours rien.

Déçu, et un peu bougon, je m'appliquai à manger.

« Papy, pourquoi il répond pas le Rat-Page ?

— Ils sont tout petits, tu sais, alors ils ont une toute petite voix. Il faut faire très attention et les écouter en se concentrant très fort, sinon on ne les entend pas. Ça m'a pris beaucoup de temps et de patience avant de pouvoir leur parler. »

Alors je me suis appliqué. Le menton au niveau de la table, j'ai chuchoté, et écouté.

« Moi c'est Nathan, et toi petit Rat-Page ?

— Tchip'miet.

— Hein ?

—Tchip'miet.

— Salut Tchip'miet, content de faire ta connaissance. Tu veux un bout de gâteau ?

— Je veux bien oui.

— Alors… c'est dur d'être un Rat-Page ?

— Bof, on finit par prendre le pli.

— Ça a l'air sympa. Moi j'aime bien être un petit garçon. Je m'amuse bien, surtout quand papy me raconte des histoires. Il a fait plein de choses mon papy tu sais, des voyages avec l'armée et tout. Il a plein de médailles.

— Oui je sais, j'habite chez lui je te signale.

— Oh, pardon. T'es tout seul dans le coin ?

— Non, mais les autres se cachent. Et puis comme ça j'ai tous les gâteaux pour moi.

— Ce n'est pas très gentil de ta part, tu pourrais partager.

— D'accord, je vais voir ce que je peux faire. A plus tard ! »

Dans le salon, papy discutait avec maman, assis dans les fauteuils en cuir.

« Salut maman ! J'ai pu parler un peu avec Tchip'miet ! Il a l'air gentil. Tu pourras m'apprendre à faire des Rats-Pages papy ?

— Bien sûr, Nathan. On verra ça demain d'accord ? Si tu allais jouer un peu dehors ?

— Tchip'miet peut venir avec moi ?

— Tu risquerais de le mouiller, je pense qu'il vaut mieux qu'il reste à l'intérieur. »

— Dommage, la prochaine fois alors. »

 

 

Quand j'entrai dans la cuisine le jour suivant, le Rat-Page était entouré de feuilles de différentes couleurs, et de feutres. En m'asseyant, je remarquai une tâche marron sur sa tête.

« Qu'est-ce qu'il a Tchip'miet ?

— Oh rien, il a juste voulu goûter un peu de mon café ce matin. Il est très gourmand, et pas très prudent.

— Oui je sais, il m'a dit hier qu'il aimait manger des gâteaux.

— Tu vas voir, on va lui faire quelques copains et copines, d'accord ?

— Oh oui oui oui !! »

Papy prit une feuille de papier bleu et se mit à la plier dans tous les sens, en m'expliquant chaque étape, jusqu'à ce qu'un Rat-Page apparaisse. Il prit un feutre noir pour dessiner de petits yeux, une bouche souriante et des moustaches. Puis il le déposa devant Tchip'miet.

« Et voilà !

— Ça a l'air difficile. Montre-moi encore s'il-te-plaît !

— Bien sûr. »

Cette fois-ci, je confectionnai un Rat-Page en même temps que lui, pas à pas. Mon pliage fut un peu raté, et tout tordu.

« Le mien est moche et a l'air malade…

— Non, il est juste différent. Ça ne veut pas dire qu'il faut se moquer de lui ou le mettre à l'écart. Je suis certain que les autres Rats-Pages l'apprécient déjà ! »

Au bout du troisième essai, j'avais compris le truc et confectionnais d'adorables rongeurs.

« Il va falloir partager les biscuits maintenant, Tchip'miet.

— On dirait bien oui.

— Alors, tu aimes le café ?

— Non, je ne sais pas comment les Grands peuvent boire ça. C'est fort et ça brûle.

— Papa me dit toujours que je comprendrai les trucs de Grands quand je serai Grand moi aussi. Il me tarde pas trop, ça a l'air difficile d'être Grand.

— Moi je ne serai jamais grand.

— Mais si, il suffit de trouver une super grande feuille de papier !

— Oui, et comme ça je serai le chef des Rats-Pages, et j'aurai droit à une part de gâteau en plus !

— Je crois plutôt que tu devras les protéger, vu que tu seras le plus grand.

— Ah, bon d'accord. »

Je partis en quête dans le bureau de papy, où il rangeait ses papiers. Je n'avais pas vraiment le droit d'y entrer, mais j'étais sûr qu'il comprendrait et qu'il ne me gronderait pas.

Je fouillai un peu partout, mais ne trouvai rien d'autre que des feuilles de docteur.

Papy entra et me regarda sévèrement.

« Nathan ! Qu'est-ce que tu cherches ? Si tu as besoin de quelque chose, demande-moi.

— Je cherchais une grosse feuille pour agrandir Tchip'miet, pour qu'il puisse se défendre.

— Tu sais que je n'aime pas que tu fouilles dans mes affaires. Allez viens, ta mère te cherche partout. »

 

Cette fois c'est maman qui est venue me chercher à l'école. Elle m'a dit que papy était absent, et que je n'irai pas chez lui pendant quelques jours.

« Mais qui est-ce qui va donner à manger aux Rats-Pages ?

— Je suis sûre qu'ils trouveront de quoi se nourrir, ne t'inquiète pas »

Je m'inquiétais un peu quand même, car ils étaient tout seuls et qu'ils n'étaient pas assez grands pour se protéger. Et puis j'aimais bien prendre le goûter chez papy.

Il s'avéra que les quelques jours durèrent quelques jours de plus, si bien qu'on finit par rendre visite à papy, à l'hôpital. Il était dans une chambre toute blanche et qui sentait bizarre.

Il avait l'air fatigué. Je n'aimais pas trop cet endroit, et j'étais sûr que lui non plus ne l'aimait pas, mais je compris qu'il était obligé d'y rester.

Alors pour lui tenir compagnie, je lui fabriquai un petit Rat-Page rouge, à partir d'un papier que j'avais récupéré chez la dame de l'accueil.

Un peu plus tard, je dessinais sur mon lit la maison de mon papy et des Rats-Pages, qui traînaient de petites valises derrière eux. Tchip'miet me regardait faire.

« Finalement, je crois que tu n'as pas besoin d'être plus grand Tchip'miet.

— Ah bon, pourquoi ça ?

— Parce que c'est moi qui m'occupe de vous maintenant. »

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