Des souvenirs inutiles

Ferdinand Legendre


Je me souviens d'écrire à t'en séduire, d'étreintes et encore, d'une manière presque automatique les doutes cernés sous l'œil, d'avoir cessé de rire. Nous nous regardions alors comme ceux qui savent qu'ils n'ont l'un pour l'autre qu'une haine latente et profonde. Nos vérités respectives, sous scellés, laissaient parfois s'échapper un spectre, elles s'échouaient au détour d'une table miroir, d'anciennes valises, de bières d'épicerie et de mensonges. Dissimulant l'aveu, en écrin certitude, j'en voulais à tes fesses, tu n'voulais que toi-même et l'éclat temporaire d'un succès d'apparat. Comme un linge étendu, blanchi par la douleur, j'avais, irrationnel, incorporé les coups, fait mine de comprendre, et la lèvre tremblante, prétendu m'en sortir. J'avais, comme d'habitude, gonflé de certitudes, emprunté ce chemin dont je voyais les ronces, sauté quelques barrières, alors que dans le champs, un moindre mouvement déclencherait dans tes yeux un torrent de colère, une pluie de semonces. J'avais tendu poignets et chevilles à ton corps, envisagé d'instinct, de glisser une clef dans un recoin de méridienne, n'ayant pas su fuir j'ai moi-même resserré ces liens lorsque tu m'as tendu un double de la tienne. Il a fallu murmurer entre les barreaux, rejeter un peu de jeunesse, affronter le froid du manque avec une couverture de honte. Sur mon bras le garrot, l'absence de tendresse, on y voit plus très droit quand l'histoire est remplie de ratures et la tête pleine de fonte. Et l'art de ma pupille semble être un peu moins fort, je n'distingue plus vraiment, les raisons et les torts, les draps n'ont pas changé. Il restera de nous des fragments falsifiés, des souvenirs inutiles, une pelletée de regrets, l'absolue certitude qu'on ne pouvait s'y fier, que rien n'est jamais vrai.




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