Désarme, tes figures.
Nathan Noirh
T'es belle. Je le pense un peu, parfois. Je ne te trouve pas belle parce que tu as de beaux yeux et que j'aime respirer ton odeur, caler ma tête dans le creux de ton cou, sans bouger, comme anesthésié. Non, ça c'est tous les jours, c'est dès que je peux. Je te trouve belle quand toi tu ne le sais pas. Ces imperfections que tu caches, ces habitudes et ces tics que tu as appris à détester toute ta vie. Ces tâches rouges, ces tics de langage, ce paradoxe d'humeur changeante quand tu as faim. J'aime bien ça chez toi. J'aime bien ta façon d'essayer de dissimuler certaines choses, comme si tu avais peur que je les découvre. Il m'est arrivé de sourire en te voyant trébucher, ou quand tu fais une bêtise et que tu t'empresses de la dissimuler. Mais je te vois. Je remarque souvent ce que tu souhaites particulièrement enfouir. Tu as plusieurs visages, plusieurs figures. Tu les caches et tu reste avec ta façade armée, renfermée. Mais ton vrai visage, celui qui est désarmé, est beau. Parce que tes habitudes changent, ta façon de parler change, même tes yeux me deviennent étranger.
Si tu pouvais être nue à mes yeux, nue de toute cachotterie, de toute déception que tu t'infliges à toi-même, je serais coi par ta volonté. Je serais silencieux, impressionné, admiratif. J'aime bien quand tu as honte. Parce qu'à chaque fois que c'est le cas, j'ai le cœur meurtri, coupé en deux et dégoulinant. Il se roule dans tous les sens et se replie sur lui-même de ne pas pouvoir te soulager. C'est ta honte, ton mystère, ton repaire. C'est ton choix de ne pas me le montrer. C'est ta fierté. C'est ta belle fierté, ta belle force d'âme qui se remet en question, qui regrette, qui ne sais plus comment faire. Tes yeux cherchent, tes yeux dansent entre rien et moi, le regard perdu à la recherche d'un complice. Puis tu fermes les yeux brièvement, comme si tu comprenais que tu n'avais pas besoin de complice. Et je te vois alors serrer les dents, te dresser de toute ta hauteur, la main serrée dans la poche, prête à faire la guerre, prête à casser les autres. Jeune fille cherche la guerre.
J'aime bien ça chez toi, ce côté guerrière quand tu es acculée par les autres, acculée par l'opinion et les remarques déplaisantes. J'aime bien quand tu t'emportes, que tu t'énerves, comme indignée par ce qui se passe, tout ce qui se passe. Ça bouge en toi, ça remue parce que tu n'est pas d'accord, parce que cela ne te paraît pas « normal ». Je le sais très bien, parce que pour moi aussi ça ne me paraît pas normal. Je veux te laisser faire, je veux te laisser te révolter toute seule, c'est là que tu deviens magnifique, c'est là que je tombe éperdu de toi. Et alors là, à ce moment, ce petit moment en suspense, tu fronces les sourcils. Tu les fronces, et tout ton visage change. Il devient quelqu'un d'autre, il devient sérieux, engagé, indigné. C'est à ce moment là que je tombe amoureux, encore. C'est là que je remarque toute la beauté qui t'anime, toute cette force qu'aucun autre ne devine. Je regarde en toi, je regarde tes yeux profondément, et dans mon cœur se passe toutes les blandices du monde. Et dans mon âme aussi, il y vient une tornade chimérique, un changement brusque, une invitation. Tu n'as pas compris que ta beauté m'indiffère, que tes beaux yeux, tes tics et tes tâches rougeâtre ne représente aucun intérêt à mon âme. Mes yeux t'aiment, ça oui. Mes mains aussi. Tout ce que je peux contrôler émanant de moi. Mais mon esprit, mon cœur, mon âme, ils résonnent avec toi. Ils changent, se transforment parfois aussi, mais ils changent quand toi ça ne va pas. Je change quand tu ne vas pas bien, le savais-tu ? Je te le dit. Je change avec toi. Ton indignation devient la mienne, tes hontes, tes imperfections c'est les miennes aussi, maintenant. Je veux faire la guerre avec toi, je veux froncer les sourcils moi aussi et saigner pour avoir souhaité te soutenir.
C'est dans la douleur me semble-t-il que je t'aime, ta douleur surtout. Désarmes, tes figures.