Désillusion
Jean Marc Kerviche
Patrick monta dans le wagon juste avant que les portes ne se referment.
Il l'avait échappé belle. Pour un peu, il serait resté sur le quai. Et encore serait-il arrivé à la gare ? Il en doutait.
Il posa son sac à dos au sol, essuya les quelques gouttes de sueur qui lui perlaient au front avec un mouchoir en cellulose qu'il remisa dans sa poche, reprit son souffle qu'il n'avait plus et, l'espace d'instant, se remémora sa course folle.
Avec tous ses ennuis du matin, le réveil qui n'avait pas sonné, le café qui n'avait pas chauffé et bien qu'il eût préparé son sac depuis la veille, il se rappela qu'il n'était pas arrivé à mettre la main sur son billet de train. Il ne se souvenait plus de l'avoir rangé entre deux livres de la bibliothèque après l'avoir imprimé par crainte de l'égarer deux jours avant son départ. Quelle idée saugrenue avait-il eu pour le placer dans cet endroit ? S'il l'avait laissé en évidence, il n'aurait pas perdu autant de temps dans la recherche de ce fichu billet. Il se demandait la raison qui l'avait obligé à prendre autant de précaution. Aucune tempête, nul ouragan n'avait encore dévasté son petit studio. Et aussi pourquoi ne se souvenait-il plus de ce geste. Parce que c'était inaccoutumé chez lui, lui qui laissait d'ordinaire son petit appart' dans un désordre indescriptible. Probablement !
Enfin il était là, dans ce train qui l'emmenait vers les plages du Sud, haletant encore après la course qu'il venait d'entreprendre et qui lui avait fait prendre tous les risques.
Il reprit son sac à l'épaule, et commença par entreprendre la remontée de l'allée centrale de la voiture. Son billet en main, il commença par vérifier les numéros des places à la recherche de son siège. Toutes les places étaient occupées, mais au loin, une place vacante lui apparue devant une jeune blondinette au joli minois, radieuse et engageante. Leur regard se croisèrent. Curieuse et insistante, elle ne détournait pas la tête continuait même à l'accompagner dans sa quête. Il continuait sa recherche et à chaque fois qu'il relevait la tête, il constatait qu'elle ne le quittait pas des yeux.
Cette place libre qui l'attendait, nul doute que c'était la sienne et cette jeune fille qui s'attardait à le dévisager, nul doute qu'elle n'était pas insensible à son charme ?
Il s'imaginait déjà en conversation avec elle, échafaudait mille possibilités. Il lui venait à l'idée les premiers mots, les premières phrases. Il envisageait une stratégie pour entrer en relation. Il imaginait les questions à lui poser, les sujets à aborder et même les réponses qu'elle lui ferait.
Arrivé auprès d'elle, négligeant de vérifier si le numéro du siège correspondait au billet qu'il avait en main, il entreposa son sac dans le porte-bagages au-dessus des têtes puis tentant de s'immiscer entre les genoux des voyageurs déjà assis pour s'installer à son tour à la place qui lui était destinée, il sentit un tapotement sur son épaule droite. Il se retourna vivement pour découvrir un jeune homme derrière lui qui l'interpella en ces termes :
"Excusez-moi Monsieur, cette place est la mienne !"
Confus et dépité, Patrick s'écarta pour laisser la place espérée à l'importun.
Assistant, désemparé après la perte de ses illusions, il vit alors celui-ci, juste avant de s'asseoir, embrasser goulûment la jeune fille…
Waouh, la douche froide !
· Il y a plus de 5 ans ·Louve
On s'illusionne, on idéalise des situations et on cristallise des sentiments... pour se heurter très souvent à des réalités pour lesquelles on ne peut rien faire d'autre que de les accepter.
· Il y a plus de 5 ans ·Jean Marc Kerviche
Nous serons toujours des incorrigibles, et ensuite il nous faut, hélas, en effet, accepter la réalité.
· Il y a plus de 5 ans ·Louve