DÉSIRÉ

kephas

Il n'était pas...

1.

Il n'était pas encore né qu'il contrariait déjà le monde et sa mère. À croire qu'il ne voulait point paraître au grand jour pour de mystérieuses raisons. Quel être peut préférer l'ombre à la lumière ?

L'enfant ne venant pas par les voies naturelles, le chirurgien-accoucheur du haut de sa science avait dû se résoudre à utiliser des pinces métalliques. Il n'y avait plus qu'à le forcer à sortir coûte que coûte.

Après des heures de batailles, dans les hurlements de la mère, le chirurgien-accoucheur avait fini par attraper quelque chose, au milieu d'une mare de sang. Il tira encore dessus pendant de longues minutes et ce fut le pied droit de l'enfant qui apparut. Puis l'enfant tout entier.

Le chirurgien-accoucheur exulta triomphant portant l'enfant sur le sein de sa mère. Elle qui toute à sa joie oublia ses douleurs et ses larmes :

- C'est un garçon ! Il sera beau mais il claudiquera du pied droit !

En dix sept ans d'études et quinze ans d'excercices, il se jugeait "bon spécialiste" mais cette fois, il était vaincu par plus fort que lui. La science s'inclinait devant la Nature. Il avait besoin de se justifier auprès de la mère :

- J'ai fait tout mon possible, croyez moi . C'était inévitable !

La mère observait le chirurgien-accoucheur complètement effarée. Elle serrait son enfant contre sa peau, le protégeant de ses bras. Elle lui murmura:

- Mon bébé, tu es beau. Tu surmonteras cette épreuve, malgré l'avis défavorable du chirurgien-accoucheur.

                                        2.

L'enfant grandit malgré tout et fut baptisé : Désiré. Il s'épanouit tant bien que mal entre sa mère et son père, comme une graine tombée dans une mauvaise terre.

Un jour, la mère emmena Désiré voir un pédiatre. Celui-ci derrière son bureau aux murs bardés de diplômes profera :

- Votre chirurgien-accoucheur m'a communiqué son compte-rendu. Votre enfant claudiquera du pied droit toute sa vie.
- Ne peut-on pas le corriger par des exercices ? Supplia-t-elle.
- Oui, on pourrait essayer mais ça sera long, douleureux et vain !
- C'est mon fils ! Je veux le meilleur pour lui ; affirma-t-elle.
- Soit ! Puisque vous insistez. Inscrivez le à des séances de rééducation fonctionnelle. Mais je vous préviens, il n'y a pas de changement ni d'amélioration à attendre...
- Merci docteur; le coupa-t-elle.

En rentrant chez elle, Désiré dans les bras, elle lui chuchota :

- Mon enfant, tu es sage. Tu surmonteras cette épreuve, malgré l'avis défavorable du pédiatre.

                                             3.

Le petit Désiré devint un petit garçon, toujours entouré par sa mère. Il apprit à marcher. Trois fois par semaine ont forcé son pied droit qu'on enserrait dans une infernale chaussure de fer et de cuir. La mère assistait son enfant avec des encouragements. On l'obligeait à marcher droit.

Désiré lui, ne disait rien. Il avait la patience d' un ange. Il n'avait qu'un seul souhait: faire plaisir à sa mère. Voir un sourire sur son visage ensoleillait son cœur tout entier.

Cependant les séances s'enchaînaient jour après jour, mois après mois mais aucun progrès m'apparaissait malgré tous les efforts du petit Désiré.

La mère à la fin d'une énième séance demanda :
- Alors Docteur, je ne vois aucune amélioration. Êtes-vous sûr que votre méthode est bien efficace pour mon enfant ?
- Ah, mais non ! Puisque vous le demandez, on peut toujours continuer jusqu'à la saint glin-glin, Désiré ne marchera jamais droit !
- Comment ça ?! S'étonna la mère.
- Et bien oui, vous vouliez absolument faire des séances pour votre fils, nous les faisons ! Je vis de cela, voyez-vous, c'est mon métier. Je ne peux pas me permettre de donner mon avis personnel, je mourrais de faim !
- Alors vous avez laissé torturer mon fils pendant toutes ces heures pour rien ? S'indigna la mère.
- J'ai fait ce que vous vouliez n'est-ce pas...?

La mère furieuse quitta le bureau du clinicien.
Sur le chemin du retour, elle  sussura à son enfant :
- Mon fils, tu es courageux. Tu surmonteras cette épreuve, malgré l'avis défavorable du clinicien.

                                          4.

La mère retourna voir le pédiatre.
- Mon fils s'exerce depuis des mois comme vous me l'avez conseillé sans aucun résultat  le clinicien lui-même m'a dit que c'était sans espoir. Je ne comprends pas. Nous avons fait tous les exercices demandés. Nous enserrons son pied droit, nous marchons des heures, tout ça pour rien ?
- Comment ça ? Vous vous rendez compte des tortures que vous lui infligez ? C'est indigne d'une mère ! Je vous l'ai dit, votre fils est bancal depuis sa naissance. On ne peut rien y faire.
- Mais c'est vous qui m'avez prescrit ces séances ! Lâcha la mère.
- Moi ? Vous êtes sûre ? S'étonna le pédiatre.
- Oui, j'en suis sûre ! Je vais vous faire de la publicité sur votre incompétence. Adieu monsieur !

                                           5.

L'enfant Désiré, cahin-caha, rentra à l'école. Il avait appris à marcher mais il claudiquait du pied droit. La mère s'était résignée  et avait accepté le handicap de son fils.

- Va mon fils ! Tu es tel que la nature t'a crée. Tu surmonteras cette épreuve. Tu ne marcheras peut-être pas droit mais tu resteras toi-même.

Au bout de six mois, le maître convoqua la mère:
- Votre enfant est la risée de la classe. Son handicap attire les moqueries des autres élèves. Il faut faire quelque chose. Le placer en maison spécialisée...
- Pourquoi voulez vous exclure mon fils ? Ne peut-il il pas vivre tranquillement au milieu des autres enfants ? Ce ne serait pas à vous plutôt à leur apprendre la tolérance, le respect des différences, la bienveillance ?
Il n'a pas, lui, à être mis à l'écart, reclus soi-disant pour le protéger. C'est surtout ses camarades qui ont besoin d'élargir leur cœur.
Pourquoi vouloir cacher ce qui dérange ? N'a-t-il pas le droit de vivre comme tout le monde ?
- Et bien oui , je dois l'admettre, vous avez raison..souffla le maître.
- Une société qui commence à exclure les différences finira par des extrêmités que le passé nous rappelle. La vie est multiple et variée, pas un seul enfant ne se ressemble et c'est heureux. Une société uniforme serait la fin programmée de cette sociéte et des hommes qui la composent.
- ...Le maître ne savait plus quoi dire.
- Laissez mon fils vivre sa vie. Et agissez pour qu'il puisse être accepté au milieu de ses camarades. Vous ferez l'action d'enseignement la plus honorable qui soit.

Fin.

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