Destins Croisés (2/3)

mamzelle-plume

La suite, toujours dédiée à mon paternel.

Abby renifle.

Elle marmonne dans sa barbe. Elle se tire les cheveux, secouant sa petite caboche de gauche à droite.

Elle s'insurge.

Je te l'avais dis ! Je t'avais prévenu ! Qu'elle répète. Pauvre fille ! Pauvre idiote ! Stupide, stupide ! Tu es stupide, ma pauvre ! Abby marmonne plus fort encore, déambulant frénétiquement dans la pièce plongée dans l'obscurité. Elle se ronge les ongles. S'arrachant des bouts de peau, tant elle s'y cramponne avec les dents.

Une vilaine petite souris. Elle saigne. Le goût métallique glisse dans sa gorge comme une nuée de rat. Grattant et griffant sa gorge. Le liquide lui arrache une grimace de dégout. Pourtant, elle continue. Abby fait les cents pas. Elle se ronge les sangs. Se repassant inlassablement la soirée en boucle. Les images défilant comme dans un kaléidoscope.

Elle a parlé. Abby a posé des questions.

Abby en a trop fait. Elle s'est fait collante, suintante comme un vieux chewing-gum à la fraise. Personne n'aime ces vieux chewing-gums. Et paf !

Une image de plus, lui revient en pleine face. Et un énième lambeaux de peau chute sol. C'était prévisible, pourtant qu'elle se dit. Les souvenirs s'acharnent. Elle veut les faire déguerpir. Elle aussi, se cramponne.

Non, vous ne m'aurez pas ! Je veux plus les voir ! C'est fini ! Stop ! Mais Abby n'y parvient pas, tout son corps se crispe. Elle souffre, pleurniche en silence. La chambre est vide. Plongé dans l'obscurité. Elle est seule.

Il est partit. Il a claqué la porte. Il s'en est allé.

Partit… Partit ! Abby renifle de plus belle.

Elle n'aurait jamais du parler. C'est dangereux d'aborder ces sujets. Et elle le savait ! Elle le savait ! Mais c'était plus fort qu'elle. Abby avait été trop heureuse, trop tout d'un coup. Cela ne dure jamais éternellement. Depuis le temps, elle aurait du le savoir.

Mais voilà, elle était faible. Elle avait pensé. Bêtement, elle avait cru que cela ne poserait pas de problème.

Mais non ! Elle se trompait. Abby. La pauvre fille, l'idiote paumée. Elle aurait du s'en douter ! Mais c'était plus fort que toi, hein, qu'elle se dit.

Pauvre folle. Bien fait pour toi. Maintenant, tu es seule. Il est partit.

Partit. Partit. Les images défilent.

Elle se souvient.

Comme chaque soir, Abby se rendait chez l'homme aux yeux de charbon. Exaltée par une joie nouvelle, elle s'était précipité chez lui afin de lui faire part de cette merveilleuse nouvelle. Abby en sautillait de joie. Comme une gamine ayant reçu ses cadeaux de Noel. Et puis, elle avait prit le temps de se faire belle. Il l'aime quand elle se pomponne, quand elle enfile une belle robe.

Il lui dit alors « Que tu es belle. Mon bébé, mon ange. ». Et il effleure la nuque, soulève la chevelure, respire le parfum. Et il rajoute fiévreux « Tu sens si bon bébé, j'adore ». Abby rit, se cambre, lorsqu'il lui joue ses poèmes. Abby trottine. Elle sourit à ses souvenirs.

Ce soir. Elle s'est parfumée, maquillée, épilée, comme il aime. Elle a enfilé sa belle robe émeraude tout en dentelle. Celle qu'il adore. Celle où il touche les frêles gambettes, les montre, les exhibe et déclare « C'est à moi, à moi. Tout ça ». Et comme à chaque fois, elle rit. Elle remue les jambes, avec l'impatience d'une enfant.

Tirée à quatre épingles, elle se rend chez lui.

Triomphante. Les joues rosies par la joie. Elle lui fait la surprise. Il va être heureux. Il va être fier. J'en suis certaine, qu'elle se chantonne à tue-tête. Fier de nous.

Elle déboula comme une fusée dans l'appartement. Le hall était vide. Elle entendait des rires d'hommes. Ca parlait, ça riait fort. Elle se faufilait, se mordait les lèvres jusqu'au sang. Elle aurait peut-être du le prévenir. Finalement, elle aurait peut-être du l'avertir qu'elle venait.

Abby doutait. Mais elle avançait toujours. Non, non il va être très heureux. Je suis son bébé, se rassurait-elle.

Abby se rapprochait des rires. Elle pénétrait dans la pièce, le sourire aux lèvres. Elle peinait à rencontrer le regard d'Austin. Accroupis sur une moquette sale, avachis sur un vieux canapé éventré, les quatre hommes bavardaient. La pièce plongée dans l'obscurité conférait au salon une allure de squat insalubre. Tandis qu'elle continuait son avancé, les effluves d'alcool à bruler et de cendre froide lui chatouillèrent les narines. L'odeur lui était familière, pourtant elle reteint de justesse une quinte de toux.

Ses yeux vagabondaient entre les hommes et les cannettes de bière disséminées un peu partout. Puis il la vit. Elle lui offrit un grand sourire, dévoilant une belle rangée de dents blanches. Et Abby se précipita dans ses bras. Elle s'attendait à ce qu'il caresse la chevelure brune, à ce qu'il soulève le visage et embrasse tendrement les lèvres.

Mais Austin demeurait droit, tendu. Comme il ne lui rendait pas son étreinte, elle se recula légèrement. Cherchant de ses prunelles le regard d'encre. Mais l'homme lui attrapa vigoureusement le poignet. Si bien, qu'elle laissa un petit cri de surprise sortir d'entre ses lèvres.

Clope au bec, Austin prit congé de ses potes en l'emmenant dans sa chambre. Leur départ fut accueillit par des rires gras et des clins d'œil moqueur. Abby se mordit plus fortement la joue encore, si ce fut possible. Les yeux d'encre étaient si froids et insondables, qu'elle en avait la chair de poule. Il resserrait sa prise sur son poignet, si bien que la douleur vint lui piquer les yeux. En silence, il claqua la porte derrière eux.

Devant elle, droit comme un I, il la surplombait de toute sa hauteur. Ses yeux d'aciers la fusillaient du regard, si bien qu'elle ravala le flot de paroles qui menaçaient de sortir. Elle déglutit. Il lui cracha.

- Qu'est-ce que t'fous là ? J't ai pas appelé. Hein, t'sais bien que j'veux pas te voir débarquer à l'improviste. J'aime pas ça.

Elle prit une grande inspiration. Chassant sa peur. Et retrouvant son aplomb perdu.

« Il lui parlait, c'était déjà cela. »

Elle pouvait faire descendre sa colère. Bien qu'elle ne comprenait pas pourquoi son homme se mettait dans cet état là. Abby lui offrit un autre sourire, avant de se rapprocher de lui. Elle voulait qu'il sente son parfum, qu'il touche, palpe la nuque et les cheveux.

-Je voulais te voir. Je suis désolée, vraiment. Mais j'avais tant hâte de te voir. Il fallait que je te dise !

Ses yeux la toisaient toujours du regard, mais elle le sentit se détendre un peu. Posant une main sur son torse. Elle déposa un chaste baiser sur ses lèvres, avant de reprendre en souriant de plus belle.

-Tu ne vas pas y croire. Vas y, vas y essaie de deviner ! C'est tellement génial. Tu vas être fier ! Tu verras ! Allez, essaie devine.

Elle s'extasiait d'avance, en le fixant dans le blanc des yeux. Austin se gratta négligemment le menton. Avant de déclarer dans un souffle las.

-Dis moi, t'es venue pour ça. Alors, parle, j'ai pas qu'ça à foutre...

Elle le coupa aussi sec.

-J'ai décidée de reprendre mes études ! Et j'ai été acceptée dans un DUT. Je vais pouvoir obtenir en deux ans l'avale pour travailler dans le monde du livre ! C'est pas fantastique ? Tu es fier ? Hein, tu peux être fier de ton bébé. Le seul problème c'est que je dois déménager. Mais la ville en question est à une heure et demi de train d'ici. Donc on se verra tout les weekends. Et deux ans, c'est pas long. Et pis, on s'aime tellement, rien ne va changer ! Hein, Dis ? Tu ne dis rien ?

Austin demeurait muet. Les mains puissantes se crispaient et il émanait de son corps une étrange fureur. Durant son discours, elle ne l'avait pas remarqué. Seulement, L'homme au regard d'un acier incandescent devenait d'un acier glacial. Les poils de ses bras se hérissaient tandis qu'il se rapprochait d'elle. La surplombant de toute sa hauteur.

Elle avait envie de se cacher, de se terrer six pieds sous terre, d'implorer son pardon. Tant ses yeux lui glaçaient le sang. Il posa une main sur ses lèvres, lui intimant le silence. Et il lui assena d'une voix tordue par la fureur.

-Non. NON. Hors de question. T'es à moi. Tu l'as toujours pas pigé ? Tu pars nulle part. Tu reprends pas tes études. Et pourquoi faire en plus ? Bosser dans les bouquins ? Ca ne sert à rien dans la vie, les bouquins ! Et pis, j'fais quoi moi pendant que tu bosses pour rien, hein ? Tu fais la maligne, la précieuse, comme tu l'as toujours fais ? Tu t'crois supérieur à nous, hein ? Mais t'es rien, ma pauvre fille. Sans moi, tu serais dans le caniveau ! Les mots lui faisaient l'effet d'un pieu enfoncé en plein cœur. Des larmes salées lui piquaient les yeux, menaçant à tout moment de faire éclater un torrent sur son visage.

Elle fuyait le regard noir. Abby secouait la tête.

« Non, non, je ne veux pas entendre ça. Il a bu. Il ne le pense pas. » Seulement l'homme continuait, il déversait son venin. Lui infligeant des plaies brulantes.

-Façon, l'affaire est réglé. J'veux plus qu'on en parle, pigé ? Sinon, ça va mal aller pour toi, compris ? T'ne veux pas que je m'énerve, hein ? Reste à ta place. On t'en demande pas plus. Moi, je sais ce qu't'es. Une pourrie gâtée. Alors, pars. J'veux pas te voir, pas maintenant. J'verrais.

STOP ! STOP ! Assez !

Abby en avait assez de ces réminiscences. Abby se frappe le crâne. Non, non. Je ne veux plus t'entendre ! Stop ! Stop ! Elle touche son poignet endolori, par la poigne de l'homme. Le bleu vire en une cascade de couleur rouge-orangée.

Elle pleurniche, renifle. Elle n'aurait pas du lui en parler. Elle aurait du se taire. Elle savait pourtant. Ce sont des sujets belliqueux.

Stupide ! Idiote ! Pauvre fille, tu le savais pourtant, hein ? Mais comme toujours, tu n'écoutes que toi. C'est toujours là même rengaine, la même histoire avec toi, ma vieille. Des que tu tiens un petit bout de bonheur entre tes doigts… Tu le jettes, le gâche ! Ingrate ! On n'a pas idée d'envoyer promener le bonheur par-dessus bord, mais toi si ! Oui, madame Abby se la joue duchesse ! Mais qui es-tu pour refuser du bonheur, et le détruire ainsi ? Hein ? Tu le sais bien pourtant. On t'en a assez fait baver, pour que tu imprimes dans ton petit crâne que le bonheur est une chose fragile et ô combien précieuse ! Mais non, toi ! Toi, c'est avec des gros sabots que tu saccages tout ! Il a raison ! Il a raison sur toute la ligne. Ma pauvre fille ! Pauvre folle ! Et en plus après, tu reviens la larmichette à l'œil ? Implorer son pardon ? Mais il a raison de te fuir, de te traiter ainsi ! Personne ne t'aimera, jamais ! Cesse donc de jouer les martyres ! Grandis un peu ! Et pis, putain ! Tu le savais. Si. Tu le savais pourtant ! Mais c'est tout toi ça. Une vraie tête de mule ! Entêtée comme tu es, tu fonces toujours la tête la première dans le mur. Ah pauvre folle ! Pauvre fille ! Tu me fais honte !

Abby grommelle. Abby se sermonne, se flagelle de ces mots.

Elle tente de faire taire cette insidieuse petite voix. Mais c'est plus fort qu'elle. Elle lui ressert les mêmes paroles.

En boucle. Sa cervelle tourne comme un vieux disque rayé. Personne ne peut lui venir en aide, tandis qu'elle se ronge les sangs. Elle pleurniche, renifle de plus belle. Et les images continuent de l'asservir. Elle essaie de les chasser de son esprit.

Mais les tortueuses l'assaillent encore et toujours. Abby se replie sur elle-même.

L'odeur du menthol s'en est allée laissant une froide odeur de cendre et d'alcool. Les yeux cerclés de noires, les lèvres ensanglantées, elle tremblote. Ses jambes contre son ventre, recroquevillée en position fœtale, la petite s'étiole. Allongée parmi les cadavres de cannettes et les mégots de cigarette, Abby continue de ruminer.

Les dernières salves de cendre froide se mélange au dépôt du liquide âpre restant dans les bouteilles, et lui emplisse les narines. L'enivrant d'un parfum doucereusement toxique. Tandis que les dernières volutes de fumée s'enfouissent dans sa tignasse brune. Abby grommelle contre ses images jaillissantes. Plus jamais.

Elle ne veut plus voir. Plus entendre. Et surtout Abby ne veut plus aimer. C'est douloureux d'aimer.

Beaucoup trop douloureux. Si c'est ça aimer, alors je ne veux plus jamais rien ressentir de tel, pense t'elle.

Un mur, un mur de brique, je veux devenir aussi dur et indémontable qu'un mur. Les sentiments, les remontrances, les émotions glisseront sur ma peau, comme de l'eau.

Oui, plus jamais. Aimer. C'est souffrir. Aimer.

C'est pour les gens qui savent être heureux.

Moi, je ne sais pas. J'ignore ce qu'est l'amour. Je sais juste que ce n'est pas pour moi. Et que l'amour fait mal. Aimer, c'est avoir une gueule de bois amoureuse vingt-quatre heure sur vingt-quatre. C'est décidé, si c'est ça aimer.

Alors, pour moi, c'est terminé. Allongée parmi les cadavres de bières éventrés et les mégots de cigarettes, sa chevelure brune dépliée en éventail. Elle clos ses lourdes paupières. Pleurer, c'est éreintant.

Abby est exténuée, à présent.


*****


Il est tôt.

Le soleil débute à peine sa percé derrière les montagnes. L'humidité nocturne ne s'est pas encore totalement retirée. Elle enduit les porches des maisons, les bosquets fleuris, les bancs encore moite de leur nuit, et ce jusqu'au plus fin brin d'herbe. Son parfum légèrement boisé recouvre la ville d'un délicat voile, balayant à l'aide du zéphire les rues encore nues de monde. Pourtant, assis sur un banc.

Le vieil homme attend. Cette nuit, il avait rêvé. Il avait revu l'oiseau. Le voyageur lui avait alors adressé un signe.

Dans l'incapacité évidente de se rendormir. Il avait attrapé ses chaussures, enfilé pantalon et veston. Tapoté par deux fois son poignet, pour s'assurer de la présence de sa petite boussole. Et puis, il s'en était allé.

Sans plus de cérémonie. Histoire de se dégourdir les jambes. D'aérer ses méninges encore étriqués par le sommeil. Sans savoir où aller. Il s'était mit à errer.

Sans but.

Seulement dans l'idée appréciatif d'emplir ses poumons d'air frais. Puis ses jambes, ses pieds l'avaient directement dirigé vers le parc aux immenses fontaines. Et maintenant. Il était là. Assis sur le même banc.

Le même auprès duquel, il se reposait chaque fin d'après-midi, depuis quatre jours. Le vieillard n'était que de passage sur la capitale. Il rendait une visite d'une semaine à sa fille cadette. Et pourtant. Rapidement, sa promenade dans cette frondaison d'arbre était devenu son petit rituel.

Une balade rythmée par la contemplation. Un moyen de se ressourcer, de s'éloigner de la cadence infernale de la ville parisienne. Loin du brouhaha sonore, des coups de klaxons et de la pollution. Il pouvait enfin penser tranquillement. Alors, bien que l'heure diffère des autrefois. Il ne s'étonnait point, d'avoir trouvé refuge dans ce lieu.

Il pense. Il apprécie ce moment. Ce présent.

L'air frais et humide revigore avec délectation ses poumons. Il inspire. Expire. Il déploie tout ses sens. Cherchant chaque note de parfum dissemblable, chaque murmure.

Il ferme les yeux. Tirant un rideau noir sur ce monde. Pour en ouvrir un autre, vers une autre réalité. Tout ses sens à l'affut.

Il découvre une nouvelle vision du parc. Ses narines vagabondent, elles relèvent chaque flagrance, chaque senteur divergente. Puis son ouïe s'affine, s'agite. Il perçoit chaque piaillement, chaque crissement de pneu, chaque bruissement de feuille. L'humidité de l'air s'amoindrie tandis qu'une odeur citronnée et musquée lui chatouille les narines. Le souffle du vent fouettant délicatement les feuilles des grands chênes résonnent dans son oreille.

Ses sens palpitent.

Il perçoit jusqu'au plus infime mouvement gracile des félidés errants. A l'aube. Lorsque le soleil débute son ascension, la ville redore incontestablement un nouveau visage. Elle arbore une nouvelle allure, plus vivante et triomphante qu'elle ne l'est la journée.

Le monde prend vie. Et tout semble si différent, que cela en est bouleversant.

Le vieil homme renifle. Le soleil pointe le bout de son nez, et lui réchauffe le crâne. Les quelques rayons de soleil ont raison de sa détermination. Et comme un nouveau-né apprenant à gambader librement, il ouvre timidement ses paupières.

Clignant des yeux.

Il s'habitue à la clarté des cieux. Il est l'heure maintenant. La ville va reprendre vie. Mais d'une autre manière.

Alors, le vieux trognon décide de se secouer un peu. D'un bond tout en rapidité malgré son âge, l'homme se redresse. Il passe une main sur son crâne, se gratte la barbe naissante.

Il renâcle.

Tapote son veston à la recherche de son petit bout de tissus fétiche. Renifle un grand coup. Ce sont les désagréments du pollen. La flore est belle, mais elle n'en reste pas moins vilaine lorsqu'il s'agit d'allergie.

La chose faite.

Le vieil homme zieute les différents bosquets. Il choisit de se dégourdir les jambes quelque peu, naviguant de sentier en sentier. Le temps que le parc se remplisse.

Il marche. Déambule dans ses allées fleuries. Le soleil est haut dans le ciel, désormais.


****


Un souffle las s'extrait d'entre ses lèvres gercées. Elle est sortit de sa hutte aujourd'hui.

Abby a quitté son hibernation.

Il faut dire qu'elle étouffait dans cette chambre. Les derniers effluves de poison légale l'avaient presque rendu folle. Alors, après deux jours et deux nuits passés étendue sur le carrelage froid de sa chambre.

Elle était partit. Abby avait besoins d'air.

Machinalement, comme les rouages bien huilés d'une horloge elle s'était douchée, et habillée. Méthodiquement, ses bras, ses jambes s'activaient comme un automate afin de la manœuvrer du mieux possible. Son ventre grognant, elle prit le temps de se restaurer ; muffin au chocolat accompagné d'un chocolat chaud au miel. Comme lorsqu'elle était plus petite.

Ses souvenirs d'enfants ressurgissant dans la liqueur sucrée, les larmes menaçaient à nouveau de s'écouler. Abby parvint toutefois à les retenir.

Allez, ma grande qu'elle se disait, tu ne vas pas pleurnicher toute ta vie, hein ? Une petite voix, tout à fait inaudible, lui répondit. Non, non, plus jamais. J'en ai fini.

En sortant de sa caverne, ses yeux cerclés de noirs, et injectés de sang, elle prit conscience que le voile opaque de la nuit engloutissait encore la ville. L'aube pointée le bout de son nez. Malgré la moiteur ambiante, la demoiselle n'avait pas froid. Resserrant les pans de sa veste contre elle, Abby déambula dans la métropole encore ensommeillée.

Le bruit de ses petits petons martelant les pavées goudronnées, résonnaient au loin derrière elle.

Elle marcha.

Trottina à travers les différentes ruelles, s'arrêtant à quelque feu rouge plus par prudence que par obligation. Puis s'en qu'elle ne s'en aperçoive. Abby remonta la grande artère principale, traversant les allées où s'agglutinait tout un lot d'échoppe à la pancarte vantant toutes les unes plus que les autres, leurs diverses spécialités et leurs promotions.

Les rues bien que déserte n'allait plus tarder à l'être. Elle pressa le pas, sa démarche se fit plus vigoureuse. Abby savait où aller. Là où tout avait commencé. Et là-bas tout se terminerait. Elle tirerait un trait sur cette époque. Prise d'une exaltation soudaine, Abby sentit ses poumons se gonfler à bloc.

Elle retrouvait peu à peu une sensation familière. Quelque chose croissait dans sa poitrine. Elle inspira de grande goulée d'air. Puis elle le reconnut, le petit ballon rouge au creux de sa poitrine recommençait à tambouriner en elle.

Elle le ressentait. C'était la solution. Enhardit par ses émotions.

Abby se mit à sourire.

Un sourire franc et pur. Comme elle n'en avait pas offert au monde depuis lui semblait-il, une éternité. Et là voilà. Assise sur un siège de fortune.

Le banc de bois, tout en rondin vétuste, n'est pas très confortable. Chaque fois, qu'elle remue légèrement, la brunette sent les cylindres se plaquer contre sa colonne vertébrale. Pourtant.

Elle reste là.

Avachit d'une manière peu orthodoxe. Mais Abby n'en a cure. Elle s'en fout royalement.

Ses frêles gambettes croisées l'une dans l'autre, étendues sur les pans du banc. Elle prend plus de place que nécessaire. Mais à cette heure matinale, nulle personne n'irait se poster à ses cotés. Alors, elle demeure là.

Il fait beau.

Le soleil berce d'une chaleureuse lumière les allées boisées du parc. Les oiseaux chantent, fredonnent leur litanie quotidienne.

La ville s'est réveillée.

Doucement, L'humidité de la nuit s'est retirée, laissant parfois sur son sillage de larges flaques pailletées. Les ondulations des rayons éclaboussent d'une lumière étincelante les carrés d'herbe encore frais de leur soirée passée.

Abby écoute d'une oreille distraite la mélodie des clapotis. Les murmures de l'eau s'entrecroisant, virevoltant avec le chant des moineaux. Sa tête balancée en arrière, ses cheveux bruns reposant en éventail sur ses épaules lui confèrent cette attitude indolente qui lui est propre. Abby cale alors sa respiration sur l'ensemble de cette symphonie.

Elle inspire, expire de large bouffée d'air. Son regard perdu dans les cieux. Elle caresse de ses yeux fatigués les feuillages verdoyants. Les dégradés de couleurs s'imposant face à elle dans un bruissement de branchage.

Pourtant malgré sa fatigue évidente, Abby ne ferme pas ses paupières.

Abby est sereine. Elle contemple d'un œil tendre, ce monde.

Elle vit ce moment.

Pleinement.

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