La haine d'un père n'était pas dans mes prérogatives…

ysiscriten

Dire bonjour ou le témoignage d'une marque d'intérêt. Je ne le lui dis plus et il est en colère. Mais cette rage, il tente de la contenir tant bien que mal. Mais lorsqu'elle tonne et gronde, ce n'est jamais directement vers moi. Il a besoin d'exploser, je suis indifférente, en apparence. J'encaisse, je prends sur moi. Je poursuis paisiblement le cours de ma vie. Mais je n'oublie pas, rien. Abasourdie par tant de méchancetés, je n'ai qu'apparemment baissé les bras. Mais au fond de moi, toute une lutte s'engage désormais contre cet être nuisible, néfaste et nocif. Un combat au quotidien, secret, silencieux, séparé. Sourdement, j'aiguise la seule arme qui soit efficace contre lui, ma parole ou plus exactement, mon silence. Ce refus est une revendication. Muette pour moi, sourde pour lui, intolérable pour lui, triomphale pour moi. Modeste triomphe et semi échec cependant. Jamais il n'a tenté de comprendre ce refus, cette désobéissance. Jamais il ne lui viendra à l'idée qu'il ne s'agit nullement d'un caprice. Non. Pour lui, tout ceci n'est qu'une fantaisie grossière et irrespectueuse. Il est de cette race terrible et inhumaine des cannibales. Ces êtres qui ressentent un besoin vital de vous manger pour se prouver qu'ils existent. Oui, lui, il en fait partie. Dans sa dévoration lente et savoureuse, je me suis débattue éplorée, mais rageuse, j'ai résisté. Au fil des jours, je deviens à mon tour haineuse. Le sang brûle mes veines gonflées de colère. De rage, je fulmine. Mon cœur s'essouffle dans des battements brusques et sonores. Le visage sombre et fermé à tout ce qui l'entoure, j'écris, le poing serré. Les mots sont des armes, ces mots sont mes larmes. Mon œil sec et dur ne s'émeut plus de rien. J'ai débattu, combattu et finalement je l'ai battu. Mais la figure froissée par cet amas d'amertume si longuement refoulé, mon sourire n'est plus qu'une crispation furtive et involontaire se dessinant de temps à autres sur ce visage meurtri. Affronter une haine incompréhensible, gorgée de cruauté, ivre de jalousie, fut l'unique action de ces trois dernières années. Les douleurs allaient croissant, les terreurs aussi. Et j'ai compris. Il y a des paroles que l'on tait lorsqu'on n'a plus la possibilité de les prononcer. Il y a des sentiments que l'on étouffe quand on n'a plus la latitude nécessaire pour les exprimer. J'ai cru mon cœur fané, détruit, pourri. Je n'ai plus aucune once ni d'amour ni de respect pour lui. Je l'ai haï si férocement que mon cœur fragile s'en souvient encore aujourd'hui. Mais il y a longtemps de cela. Aucun regret. Ce fut mon père. Vivant dans le mensonge et découvrant la vérité, j'aurais voulu que ce ne soit qu'un songe et m'endormir sur cette réalité blessée. Alors je pense encore, je me croyais heureuse, ma vie n'avait aucun tort et me semblait radieuse. Mais un soir d'été, j'appris l'horreur véritable de cette vie coupable : mensonges, tricheries, tristesse et cachotteries, tout m'envahit. Je pénétrais dès lors dans le royaume de la peur, sans plus aucun repère. Et j'éprouvais une peur horrible que je peux imaginer : une main, des griffes longues et fourchues, saillantes, noires, sanglantes, qui vous prennent au cou et vous arrachent le peu qu'il reste de vous. Cette peur a pourri ma vie. Son souffle siffle sur mon sang et déferle sur mon existence. Je la crois dévastatrice et rageuse telle une maîtresse manipulatrice et ravageuse. Ma peur, mon père. Son nom ne m'inspire que souffrance et son souffle me fait peur. Je n'irai pas jusqu'à dire que je te hais mais ta personne, même ta simple vue me fait éprouver un vif sentiment de répulsion. Je me suis reproché ce dégoût, j'en avais honte, je le réprimais, le taisais, le dissimulais car je m'étais toujours refusé à donner libre cours à mes méchantes pensées, refusé à me laisser aller à de mauvaises paroles. Mais là s'en trop, j'en ai assez, la coupe est pleine et a besoin de déborder, j'ai besoin de te dire une bonne fois pour toute tout ce qui me répugne dans ta personne. Je sais, je suis cruelle, mais je crois bien que c'est ce que tu mérites. Tu n'as cessé de te plaindre sur ton sort depuis que je te connais, tu n'as cessé de médire sur les personnes que tu enviais. Jamais tu n'as pris tes responsabilités dans la situation qui m'amène aujourd'hui à te parler de la sorte. Je suis odieuse. Je le sais, et n'en suis guère désolée. Tu as toujours menti, triché, travesti la vérité, distillé mensonges et ragots auprès de ceux qui par respect pour ta personne t'accordaient encore leur écoute plus ou moins attentive. Tu veux que je te dise une chose, désormais tu as perdu le peu d'amis qui t'entouraient il y a encore peu de temps. Tu les as épuisés par tes jérémiades, ennuyés avec tes discours mythomanes. C'est fini, tout le monde autour de toi a jeté l'éponge, pris la tangente, abandonné le navire en te laissant à cette dérive dont toi seul es responsable. Egoïste, lâche, hypocrite, tes attraits sont si nombreux que je choisis de m'arrêter à ceux-ci qui te caractérisent on ne peut plus parfaitement. Il est vrai que depuis tout à l'heure je déverse, quoi… mon seau de méchancetés. Tu dis? Ah, je crache mon venin. Eh bien tu as raison et je suis loin d'en avoir fini. Sache qu'il a si bien macéré depuis des mois voire des années qu'aujourd'hui il s'écoule et dégouline de ma bouche avec une joie non feinte. Pourquoi avoir attendu autant d'années ? Je me pose moi-même la question. Je crois que j'avais ou du moins je nourrissais secrètement l'espoir que tu changes. J'y ai perdu et ma patience et mon énergie. Tu prétendais avoir toujours raison, tu t'obstinais à toujours avoir le dernier mot. Au début, je m'évertuais à te répondre, à entrer en discussion avec toi, mais aujourd'hui lasse et résignée, j'ai décidée d'abandonner la partie et de te dire véritablement ce que j'ai souffert à cause de toi. Cependant, je ne vais pas verser comme toi dans les jérémiades et autres gémissements. Dans mon propos tu ne décèleras aucune nostalgie ni aucun regret de ma part. Quand l'amour passe puis le respect, je crois bien que plus rien n'est à espérer. L'amour a passé, il a pris son temps, les vexations répétées ont eu à force, raison de lui; le respect à son tour s'est peu à peu mué en une vague indifférence et aujourd'hui en une puissante haine. Aurais-je imaginé un jour te dire ceci ? Non. J'ai de la colère, de la rage et de la haine quand je pense aux années terriblement cruelles que tu m'as fait connaître. Et de ta vie faite de mensonges et d'impostures, n'en as-tu jamais eu assez? A l'évidence, jamais tu ne t'es posé cette question. Te remettre en cause était de l'ordre de l'hérésie pour toi je crois bien. Combien j'ai espéré qu'un jour cela puisse arriver. Combien j'ai pleuré en implorant que tu daignes changer. Désormais pour toi, plus aucune larme, plus aucune prière, sinon celle qu'un jour tu fournisses l'effort suprême de réfléchir à l'intégralité de ta vie jusqu'à aujourd'hui. Peut-être alors, un espoir sera-t-il possible…

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