Dis seulement une parole 10

Nathalie Bleger

Guillaume a dit "Au revoir, mon Père" au jeune prêtre et j'ai juste balbutié "Au revoir". J'avais déjà un père, ce n'était pas lui. Récit.


J'ai vite oublié cet incident, toute à ma joie de faire une charlotte aux fraises avec Clara puis d'aller au parc pour la voir jouer avec ses petits copains, comme tous les vendredis après-midi. Il y avait là Antoine et Jérémy, qui tournaient déjà avec leurs petits vélos, bientôt rejoints par Morgane et Sophie. Clara avait encore ses petites roulettes, c'est dans ces moments-là que je regrettais le plus l'absence de Guillaume car je ne me sentais pas la force de tenir son vélo et courir derrière elle, comme le faisaient les pères. Je m'installais sur un banc avec les autres mères et nous bavardions tranquillement, échangeant petits trucs et recettes en gardant un œil sur les monstres qui poussaient des cris de joie et effrayaient les pigeons.

J'aimais particulièrement discuter avec la mère de Morgane, qui était très douce et très enceinte cet été-là, toujours un peu essoufflée. Elle m'avouait ne plus avoir la force de faire grand-chose –elle en était à la 35ème semaine- et je compatissais, étant moi-même de nature un peu paresseuse. Je me sentais souvent à la traîne par rapport aux autres mères idéales – saintes ou menteuses ?- qui cuisinaient tous les jours des légumes et de la viande fraiche pour leur progéniture, avec le sourire. Je gardais toujours un petit complexe en moi, même si je ne me débrouillais pas si mal, vu la bonne santé de ma fille. Mais je crois que ce que j'appréciais le plus chez Catherine, la mère de Morgane, c'était le fait qu'elle attendait un enfant, expérience que j'avais adorée et qui m'était désormais interdite. A part un miracle je ne porterais plus jamais d'enfant, alors j'aimais me plonger dans les souvenirs – pas tous agréables - de ma première grossesse, ce temps béni où j'étais mère, et femme.

Son époux était commercial, un bellâtre que j'avais tout de suite détesté, qui passait la plus grande partie de la semaine sur la route, dans le Grand Est. Nous savions toutes les deux très bien ce qu'était l'absence et le poids de la famille dans ces instants là, quand il faut tout assumer, de la panne d'électricité à la roue crevée. Elle avait en outre la délicatesse de ne pas m'interroger sur la probable mort de Guillaume, je parlais de lui comme elle parlait de son mari, un absent attendu avec impatience. Je comprenais au détour d'une phrase qu'elle avait des doutes sur la fidélité de son époux comme moi j'avais des doutes sur la vie du mien, mais nous n'abordions jamais directement le sujet, trop douloureux.

Je lui promis de garder Morgane au moment où elle devrait partir à la maternité, n'ayant pas de famille sur place, elle me fit la même promesse en retour, si un jour je devais partir en urgence –sans préciser dans quel cas de figure. Sa plus grande crainte était de devoir accoucher seule, une nuit, chez elle. J'avais beau lui assurer que l'ambulance arriverait toujours assez tôt pour la chercher et la conduire à la clinique, à 20 km de là, elle faisait semblant de me croire et détournait les yeux, apeurée. Nous regardions nos filles courir derrière leurs cerfs-volants dans leurs petites robes légères, c'était bientôt les grandes vacances.

Le dimanche suivant le temps était couvert, je passai donc un gilet sur les épaules de Clara au moment de me rendre à la messe, comme chaque semaine. Elle connaissait maintenant toute la liturgie par cœur et prenait toujours autant de plaisir à se conduire en petite fille modèle alors que moi j'en profitais pour prier pour Guillaume, m'évadant parfois par la pensée de ce décorum un peu strict. Quand nous sortîmes de chez nous j'eus la surprise de voir un attroupement devant la porte de l'église, et même certaines personnes qui repartaient en murmurant. Il y avait une affichette précisant que le curé était souffrant et qu'il n'y aurait pas de messe ce dimanche-là, invitant les paroissiens à aller dans un autre village.

Clara me tira par la manche : « On fait quoi, maman ? » et je haussai les épaules, un peu perplexe :

- On va rentrer, non ?

- Non, j'ai pas envie de rentrer. Et si on allait au zoo ?

- Mais c'est loin bichette, et il ne fait pas très beau.

- Oh allez maman, s'il te plait, t'avais promis qu'on irait un jour !

- Oui, mais un jour où il ferait beau, plutôt. On ne va pas emmener les parapluies quand même !

- Mais le dimanche après-midi tu veux jamais sortir à cause de la télé, alors là on a le temps, non ?

Elle me fixait avec ses grands yeux et je finis par sourire et dire oui, après tout ça changerait de notre routine, pourquoi ne pas profiter de ce temps offert pour aller un peu plus loin que d'habitude ?

Nous partîmes vers l'est en chantonnant dans la voiture, le temps se dégageait. Au zoo Clara passait de cage en cage en battant des mains, il y avait foule ce jour-là, quelques gouttes de pluies firent leur apparition et nous en profitâmes pour aller déguster des gaufres et nous reposer un peu. C'était un dimanche un peu extraordinaire et c'était bien, au final. La joie de ma fille me faisait sourire même si la vue de familles complètes – le père, la mère et les enfants - me serrait un peu le cœur. Difficile de passer outre, de ne pas se comparer dans ces moments-là.

Au moment de repartir elle était toute rouge, les joues collées par le sucre et les mains remplies de ballons, qui entrèrent difficilement dans la voiture. Elle me fit promettre de revenir, ce que je fis avec mauvaise conscience, car l'occasion ne se représenterait peut-être pas de sitôt, même si ça ne dépendait que de moi. Je me demandai alors pourquoi je me sentais obligée de suivre une telle routine semaine après semaine, ce que j'essayais de protéger avec toutes ces habitudes, ces rites.

Sur le chemin du retour elle s'endormit dans la voiture et ne fut même pas réveillée par l'orage qui s'abattit sur la route, me forçant à m'arrêter dans une aire. Je me sentais particulièrement en danger, seule sur cette aire avec ma fille et commençais à imaginer le pire –passer la nuit dans la voiture- quand la pluie se calma, nous permettant de repartir. A notre arrivée j'eus l'impression d'être partie depuis longtemps, bien plus longtemps qu'une simple journée et retrouvai ma maison avec grand plaisir. Clara chouina un peu avant de prendre son bain puis nous dégustâmes une soupe de champignons que j'avais congelée à l'automne dernier, heureuses de se réchauffer car la température avait chuté.

- On retournera au zoo la semaine prochaine, maman ?

- Ah non, la semaine prochaine on ira à l'église. A moins que tu préfères ne plus y aller ?

Elle fit la moue puis répondit :

- Si, j'aime bien. Mais pas tous les dimanches. Il est malade, le Curé ?

- Ben oui, faut croire.

- Et il a quoi ?

- Aucune idée, dis-je en jetant un coup d'œil par la fenêtre, vers le presbytère.

Tout était sombre, je me demandai s'il était alité, ou parti. Quelqu'un s'était-il occupé de lui, avait-il à manger ? Une légère mauvaise conscience me titilla, qui s'accrut quand Clara demanda :

- Qui c'est qui s'occupe de lui quand il est malade ?

- J'en sais rien. De bons paroissiens, j'imagine, dis-je en haussant les épaules.

- Tu crois qu'il a mangé ?

- Comment veux-tu que je le sache, je ne le connais pas si bien que ça, tu sais. Je suppose que oui. Tu crois que … ? commençais-je en regardant à nouveau vers le presbytère.

- Quoi ?

- Tu crois qu'on devrait lui proposer de la soupe ?

- Ben oui, ce serait charitable, fit Clara d'un sérieux qui me fit sourire.

Je me souvins alors de son attitude et me dit qu'il n'avait sans doute besoin de rien, puisqu'il redonnait aux pauvres tout ce qu'on lui laissait. D'un autre côté il risquait d'avoir réellement besoin d'aide, sans être du genre à la demander. « Quel crétin celui-là » murmurais-je en débarrassant la table alors que Clara se blottissait dans le canapé pour regarder la télé.

- Bichette, ça va être l'heure d'aller au lit, il y a école demain.

- Encore un peu, maman, murmura-t-elle en suçant son pouce alors que ses yeux commençaient à papillonner.

Je rangeai la cuisine puis préparai son cartable pour le lendemain, me demandant quel temps il ferait. J'avais souvent trop chaud en faisant le ménage mais je ne pouvais décemment pas aller à la sacristie en petite tenue, alors je me cantonnais à mon jean et mon vieux T-shirt plus très blanc. Après le brossage des dents - étape toujours compliquée - Clara alla au lit et je m'installai devant le film du dimanche soir, soulagée. Pourtant je n'arrivais pas à oublier le malade de l'autre côté de la rue, m'interrogeant sur son état et le fait qu'il n'avait peut-être rien mangé. J'étais partagée entre agacement et empathie, et je finis par me lever en grommelant « Bon, j'y vais mais s'il m'envoie chier ce sera la dernière fois ».

Je remplis un tupperware du reste de soupe que j'avais et pris un peu de miche de campagne et un morceau de fromage, m'attendant à faire tout ça pour rien. En plus il était tard, presque 21 heures, bien trop tard pour dîner habituellement mais je m'étais mis cette idée en tête, impossible de m'en départir. Au pire je ferais tout ça pour rien, au mieux c'était un geste de compassion chrétienne et je m'achetais ma place au paradis, me dis-je en soupirant, sans être dupe.

Quand je sortis il faisait incroyablement frais, on se serait cru en automne, il flottait une odeur d'herbe mouillée un peu acide assez déplaisante. Le village dormait déjà, je faillis renoncer en traversant la place du marché déserte mais faire demi-tour était au dessus de mes forces, donc je continuai. Bien sûr j'avais les clés mais je me décidai à sonner, en priant pour qu'il ne soit pas déjà en train de dormir. Pendant quelques secondes je n'entendis rien donc je sonnai à nouveau, avec la certitude de faire une connerie.

Un bruit un peu sourd se fit entendre puis celui des clés qui tournent dans la serrure, et je me retrouvai face au prêtre, toujours en pyjama et l'air maussade, les yeux rouges et transpirant à grosses gouttes.

- Oui ? grommela–t-il en me voyant.

- Je vous ai apporté un peu de soupe, du pain et du fromage, ai-je débité d'un souffle avec l'impression de débiter l'inventaire du petit chaperon rouge. Vous avez mangé ?

- Non. Je dormais, fit-il d'un ton de reproche. Posez ça dans la cuisine, je vais me chercher un gilet.

Il tourna les talons et je me retrouvai sur le palier obscur, un peu perplexe. Je ne m'attendais pas à autre accueil mais j'étais froissée quand même, puis un sursaut de fierté me poussa à entrer. Après tout j'étais là pour lui rendre service, s'il ne s'en rendait pas compte tant pis pour lui, me dis-je en posant mes victuailles sur la table sale. Des restes d'un plat au chou trainaient là, dans de la vaisselle inconnue, ce qui me poussa à penser qu'une autre bonne âme était venue pour le nourrir, à midi. « Pratique », me dis-je en débarrassant la table et en sortant une assiette propre.

Quand tout fut prêt, la soupe chaude attendant dans une casserole, j'hésitai à repartir lorsqu'il apparut, emmitouflé dans un vieux gilet beige, ses lunettes de guingois sur son nez.

- Vous avez vu un médecin ? lui demandai-je en le voyant sortir de sa poche le vieux tube d'aspirine.

- Inutile, pour un simple rhume, croassa-t-il en toussant.

- Ça sent plus la bronchite que le rhume, je connais ce type de toux, fis-je en restant prudemment à l'autre bout de la pièce. En plus vos médicaments sont périmés, ça ne sert à rien, ce que vous prenez.

- Comment ? Comment vous savez ça ?

- J'ai jeté un coup d'œil quand j'ai fait votre chambre, vendredi. Toutes vos boîtes sont périmées depuis des années. J'arrive pas à croire que vous ne vous soignez pas, sérieux !

- J'aime pas les médecins. Et j'en connais aucun, rouspéta-t-il en se servant une bonne louche de soupe. Ça finira par passer.

« Ça m'étonnerait » dis-je d'un ton cassant et il me fixa d'un regard signifiant « Pour qui vous vous prenez ? », qui me fit fuir :

- Bon, je vais aérer votre chambre et changer vos draps, c'est pas du luxe à mon avis.

- Pourquoi vous faites ça ? insista-t-il avec mauvaise grâce.

- Parce que c'est mon métier, même si je sais que vous ne me paierez pas d'heures sup. Ou alors on va dire que c'est par charité chrétienne, lançai-je en montant les escaliers.

Étrangement cet échange me faisait plutôt rigoler, j'avais l'impression de me chamailler avec mon frère, même si mes souvenirs de chamailleries étaient bien lointains maintenant. Il régnait une chaleur et une odeur infernales dans la chambre, qui me firent suffoquer et j'ouvris bien grand les volets, laissant entrer un air humide.

Quand je redescendis il terminait sa soupe d'une main un peu tremblante, je lui tendis une boîte que j'avais trouvée au fond de la boîte à pharmacie :

- Prenez plutôt ça, ce n'est pas périmé. Vous voulez que je vous cherche du sirop chez moi ?

- Non, non, ça ira, merci, fit-il sans lever les yeux. Vous pouvez y aller, je suppose que Clara est seule à la maison, chez vous.

- Vous vous inquiétez pour ma fille ? Elle dort, rassurez-vous, elle ne se relève jamais la nuit. Bon, je vais y aller, mais demain je téléphone à mon médecin de famille pour qu'il passe vous voir, dis-je en me dirigeant vers la porte.

- Pourquoi vous n'écoutez pas ce que je vous dis ? fit-il en laissant bruyamment tomber sa cuillère.

- Pourquoi est-ce que vous êtes si désagréable ?

- Je déteste qu'on me tourne autour, j'ai horreur de ça. Je préfère être seul, vous comprenez ? Je viens d'une famille nombreuse, j'avais toujours ma mère, ma tante ou ma grand–mère sur le dos, alors je ne supporte plus d'être infantilisé, ajouta-t-il à voix basse sans lever les yeux. Je vis très bien seul.

- Je ne vous infantilise pas, j'essaie juste de vous aider. Je pensais qu'un prêtre pouvait comprendre ça, ai-je répliqué sans bouger, le cœur battant.

Je vis ses épaules s'effondrer un peu plus, je sus que j'avais marqué un point. Dehors l'orage reprenait de plus belle, je me fis peur en me demandant si j'avais bien fermé toutes les fenêtres, chez moi. Et si Clara se réveillait en sursaut ?

- Je suis désolé, quand je suis malade je ne supporte personne, je n'arrive pas à me forcer. Mais j'apprécie ce que vous faites pour moi, je vous assure. En plus j'ai un tel mal de tête depuis trois jours que je n'arrive plus à réfléchir correctement, ajouta-t-il en enfouissant sa tête entre ses mains.

- C'est pour ça qu'il faut consulter, attendre ne servira à rien, vous savez. Je connais un très bon médecin, jeune, il ne vous abrutira pas, rassurez-vous. Vous ne pouvez pas laisser tomber votre paroisse comme ça, n'est-ce-pas ?

L'argument était un peu fallacieux mais il sembla faire mouche, il leva un œil inquiet sur moi puis secoua la tête, ce qui le fit grimacer.

- C'est ce que pensent les gens ?

- Quoi ? Que vous avez laissé tomber votre paroisse ? Mais non, rassurez-vous, ils comprennent que vous soyez malade, ça arrive à tout le monde.

- Mais je ne suis pas tout le monde, je suis prêtre, murmura-t-il si doucement que je pensai qu'il se parlait à lui-même. Je me dois à ma paroisse…

Je ne pus m'empêcher de sourire devant tant de candeur et me dis que l'habit devait être bien lourd, en certaines circonstances. Il paraissait jeune et démuni d'un coup, paumé. Je me levai pour lui faire une tisane, il se mit à tousser sans pouvoir s'arrêter.

- Ça fait longtemps que vous toussez comme ça ? dis-je en lui versant l'eau chaude.

- Depuis deux jours je crois. Ça me réveille la nuit, et rien n'y fait.

- Pas même la prière ? demandai-je avec un petit sourire, et il grimaça.

- J'ai l'air d'un idiot, hein ?

- Mais non. Vous êtes courageux mais votre courage joue contre vous, c'est dommage. Parfois il faut accepter de se faire aider, même si on n'aime pas ça. Quand j'étais petite ma mère me mettait une drôle de mixture sur la poitrine, ça puait et ça picotait sur la peau, c'était l'horreur.

- Ah oui, je connais ça, j'espère que votre médecin ne va pas me donner un truc pareil.

- Non, ça n'existe plus, affirmai-je d'un ton rassurant. Vous êtes plutôt parti pour prendre des antibiotiques, à mon avis. Je vais vous ajouter un peu de miel dans votre tisane, j'ai vu qu'il y en avait. Vous aimez ça, au fait ?

- Oui. Je n'aime pas la confiture mais j'aime le miel. Merci.

- Oh, de rien, dis-je en haussant les épaules.

Je demeurai debout près de la porte, un peu hésitante, tandis qu'il dégustait sa tisane à petites gorgées. Pour ne pas rester inactive je me mis à faire la vaisselle, bientôt le bruit de l'eau et des couverts qu'on essuie fut notre seule conversation.

Au bout d'un moment, alors que je me séchais les mains sur mon tablier le prêtre hocha la tête d'un air pensif puis murmura : « J'espère que Guillaume rentrera un jour, il a une belle famille ».

Entendre le prénom de mon mari dans sa bouche me fit tiquer, cette familiarité me gênait mais je décidai de répondre simplement :

- Merci, j'essaie de faire face, c'est pas toujours facile.

- Vous êtes courageuse d'élever Clara seule et sans vous plaindre. C'est un bel exemple pour la communauté.

- Qui, moi ? Oh non, je suis loin d'être une sainte, répondis-je en me tordant les mains. Et j'ai souvent des instants de doute, vous savez. C'est Clara qui me sauve, qui me porte et qui me force à être forte pour nous deux. Si elle n'était pas là j'aurais déjà sombré dans l'alcool ou les médicaments, je crois. C'est si dur d'être seule, certains soirs…

- Je comprends, oui. Vous êtes proche de votre famille ?

- De ma famille, non, je n'en ai plus. Mais on voit assez régulièrement les parents de Guillaume, ça fait du bien à la petite d'avoir des grands-parents, même si moi ça me pèse un peu. C'est peut-être parce que je ne n'ai plus l'habitude d'avoir une famille, dis-je pour me justifier.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il en me regardant avec intérêt.

Je fermai brièvement les yeux et avalai ma salive, je détestais parler de ça, mais je pouvais difficilement refuser de répondre. Je cherchai une réponse sur le vieux carrelage ébréché puis déclamai dans un souffle.

- Ils sont morts dans un accident de voiture, quand j'avais dix ans. On rentrait de vacances et je m'étais endormie sur le siège arrière, il y a eu comme une grande explosion, je ne me souviens de rien d'autre. Quand je me suis réveillée j'étais à l'hôpital, une voix murmurait mon prénom mais je n'arrivais pas à ouvrir les yeux, un instant j'ai cru que j'étais au paradis. J'avais été éjectée car ma ceinture n'était pas accrochée, ça m'a sans doute sauvé la vie.

- Eux sont morts sur le coup ?

- Mes parents, à l'avant, oui. Mon frère a survécu un peu à l'hôpital, mais j'ai eu beau prier et supplier, il est mort au bout de quelques jours, d'une infection généralisée je crois. Ça a été un choc terrible pour moi, de tout perdre d'un coup. Inimaginable… C'est pour ça que j'ai eu beaucoup de mal à recommencer à prier et croire en Dieu. Je ne suis même pas sûre d'y croire encore, ai-je ajouté à voix basse.

Un silence s'est installé, je fixais toujours le sol comme si j'y lisais mon histoire, il n'a pas levé la tête. La pluie semblait s'être arrêtée, je me suis dit qu'il était temps que je rentre, sans bouger pourtant. Il y avait la vaisselle à ranger, je me sentais lasse, bizarre.

- C'est pour ça que c'est particulièrement difficile de vivre sans Guillaume, c'est comme si Dieu m'avait tout pris, ai-je ajouté en sentant ma gorge se nouer. Et je me demande toujours pourquoi ça m'est arrivé, ce que j'ai fait pour mériter ça. Je me suis longtemps sentie coupable de la mort de mes parents parce que je m'étais disputée avec eux juste avant de prendre la route. Je voulais me baigner une dernière fois et ils n'avaient pas voulu, j'étais folle de rage et je les avais maudits, du haut de mes dix ans. C'est bête mais j'ai vraiment pensé que c'était de ma faute, cette vengeance divine. Parfois je me pose la même question concernant Guillaume, comme quoi on ne grandit jamais vraiment. Si tout ça m'est arrivé c'est qu'il doit bien y avoir une raison, quelle qu'elle soit… Heureusement qu'il y a Clara et qu'elle va bien, elle est toute ma vie, ai-je ajouté rapidement.

- Il faut croire et espérer, déclara alors le prêtre d'un air inspiré en relavant la tête. Même si tout parait perdu Dieu veille sur vous et…

- Ne me proposez pas de prier pour Guillaume, s'il vous plait, ai-je répliqué en ravalant mes larmes amères.

Est-ce qu'il n'avait rien écouté, rien compris ? Comment pouvait-il encore me parler de Dieu, puisque je n'y croyais pas, puisque tout était de ma faute, peu ou prou ? Une fois de plus je me trouvai face à un mur, une vague de rancœur m'envahit, je décidai de rentrer.

« Non, c'est pour vous que je vais prier, Marie » a-t-il répondu d'une voix un peu rauque alors que j'avais tourné les talons pour cacher mes larmes.

Je claquai la porte derrière moi sans écouter sa réponse et rentrai en courant, bouleversée.

A suivre…

 

  • Bon, on continue ! Il est un peu revêche ce jeune curé, ça va s'arranger, elle est patiente Marie. Elle y est peut-être attachée mais ne s'en rend pas compte...

    · Il y a presque 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • J'aime bien l'avatar de la chanson et ça colle avec le texte bien sûr !

      · Il y a presque 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • c'est vrai que ça avance lentement, merci de ta patience... et je suis contente que tu aimes les chansons que je choisis :) Merci !!

      · Il y a presque 8 ans ·
      47864 100556540008068 2367900 n

      Nathalie Bleger

    • Ah mais ça ajoute au suspense Nathalie !

      · Il y a presque 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci !! J'espère que la suite te plaira....

      · Il y a presque 8 ans ·
      47864 100556540008068 2367900 n

      Nathalie Bleger

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