Dis seulement une parole 6
Nathalie Bleger
C'est devenu une routine presque agréable, comme beaucoup d'autres : le gâteau du mercredi, le Mc Do du samedi et la patinoire le dimanche après-midi, une routine de plus pour combler le vide, éviter de penser. Le Ministère ne me contactait plus que rarement, même leur assistante sociale semblait avoir renoncé à venir me voir, pensant que j'allais bien. Et j'allais bien, d'une certaine manière, comme un volcan endormi.
La messe du dimanche matin était une béquille de plus, un petit moment où je jouais à la mère parfaite et Clara à la petite fille parfaite, écoutant religieusement les chants et mimant tous les gestes. Je me demandais souvent ce qu'elle y trouvait, à rester immobile les mains jointes pendant de longues minutes alors que les autres gamins trépignaient et soufflaient. Était-ce une espèce de jeu, une pièce de théâtre pour elle ou éprouvait-elle un réel sentiment religieux, alors que je ne lui avais jamais parlé de rien ? Toujours est-il que nous aimions nous trouver côte à côte sur le 5ème banc et participer à la célébration, même si je me disais que ce n'était qu'une mise en scène. Je ne retrouvais pas pendant la messe la même ferveur que quand je priais seule dans cette église, toujours au 5ème rang, toujours à la même place. Les gens nous souriaient à présent et nous saluaient, nous faisions partie de la communauté chrétienne, chose inenvisageable pour moi auparavant.
Au printemps le curé me souffla un dimanche matin : « Je suis heureux que vous veniez régulièrement avec Clara », ce que je pris mal, inexplicablement. Pensait-il avoir eu raison de ma volonté ou croyait-il que je ne pourrais pas m'en sortir sans son aide ? Je ne répondis pas et ruminai cette phrase pendant une partie de la messe, jusqu'à ce qu'il fasse son prêche sur le pardon. Pourquoi lui en vouloir ? Pourquoi en vouloir à Dieu ? Ça n'avait pas de sens, il fallait que j'arrête de tout prendre mal où je finirais comme Suzanne, ma belle-mère amère. C'était comme ça que je la surnommais en secret, je disais « mamie » en présence de ma fille, évidemment.
J'ai regardé Clara, grave et concentrée dans sa prière –le Notre Père qu'elle avait apprise toute seule en l'entendant régulièrement- et je l'ai serrée contre moi, attendrie. En sortant elle m'a demandé : « Il est au ciel, papa ? »
- Pourquoi tu dis ça ma chérie ?
- Parce que c'est ce qu'on dit dans la prière, non ? Ça veut dire qu'il est au paradis ?
- Non. Non, pas du tout, ai-je répondu en pressant le pas et en la tirant par le bras. Ton père n'est pas mort, la prière parle de Dieu, pas de papa.
- Ah c'est pour ça, a-t-elle ajouté d'un air pensif.
- C'est pour ça que quoi ?
- C'est pour ça qu'on dit « Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour », parce que papa il ne peut pas nous l'apporter le pain, il est parti. Je comprenais pas… Alors c'est Dieu qui nous l'apporte ?
- Non, c'est juste une image, c'est pas pour de vrai. Pour de vrai c'est moi qui l'achète, le pain. Tu croyais que la prière « Notre Père » s'adressait à papa ? lui ai-je demandé en m'agenouillant devant elle, au milieu de la place du marché.
- Ben oui… J'aurais pas dû ? a-t-elle demandé d'une petite voix.
- Si, si, c'est logique, remarque. Mais ce n'est pas ça, c'est tout. C'est pas grave du tout ma bichette, t'inquiète pas.
- Et il est pas au ciel, papa, t'es sûre ?
J'ai hésité quelques secondes, elle me fixait avec ses grands yeux bleus, les yeux de Guillaume, j'ai répondu dans un souffle : « Je ne sais pas ma chérie, je ne sais pas. On n'a plus de nouvelles mais moi je crois qu'il est vivant. Et toi ? »
- Moi aussi ! a-t-elle répondu avec un tel entrain que je me suis demandé si ce n'était pas un pieux mensonge, pour me faire plaisir.
En arrivant chez nous je me suis demandé si je lui parlais suffisamment de son père, qui ne faisait plus partie de notre routine et avait peu à peu disparu de nos conversations, sauf à la venue de ses parents. Nous nous sommes lavées les mains et j'ai terminé de préparer le repas qui mijotait au four pendant qu'elle chantonnait joyeusement en mettant le couvert. Alors que nous commencions à manger notre rôti de porc au miel accompagné de pâtes –un de ses plats préférés- je l'ai observée longuement :
- Tu voudrais qu'on parle un peu à papa chaque soir, comme s'il était là, ou qu'on dise une prière ?
- Oui, une prière ! Une prière pour papa et une prière pour toi aussi, la tienne.
- La mienne ? C'est quoi la mienne ?
- La prière de Marie, c'est pour toi, non ?
- Comment ? Oh non, non. C'est une autre Marie, la mère de Jésus, dont on parle là. C'est pas moi, bichette.
- Ah bon ? C'est pas toi non plus ? a-t-elle dit d'un ton déçu en reposant sa fourchette.
- Ben non. Tu sais, à l'église on parle surtout de Dieu et de sa famille, Jésus et Marie, les apôtres, mais pas de nous. Jamais.
« Ah bon ? » a-t-elle répété, désappointée, et je me suis dit qu'il était temps que je lui inculque quelques rudiments religieux, au risque d'une grande confusion dans sa tête. Elle m'a posé des questions pendant tout le repas, à la fin j'avais la gorge sèche et la tête qui tournait un peu, à force d'essayer de me remémorer la Bible –ou du moins le Nouveau Testament. En mâchant la dernière bouchée de son gâteau elle m'a fixée avec intensité :
- Ça existe vraiment, le paradis ?
- Oui, ai-je répondu après une hésitation. Oui, je pense que oui.
- Et si papa mourirait, il irait au paradis ?
- On dit pas « mourirait » chérie, on dit « mourait ». Oui, bien sûr que oui. Mais pourquoi tu me demandes ça ? Il est pas mort, papa !
- T'es sûre ? Sûre sûre sûre ?
- Non, je n'en suis pas sûre mais je préfère penser ça.
- Mais pourquoi il ne nous donne pas de nouvelles alors ?
- Parce qu'il est prisonnier très loin et il n'a pas le droit de nous écrire ou nous parler. Mais il pense à nous, c'est sûr. Comme nous on pense à lui.
Elle a hoché la tête et a joué avec des miettes de pain sur la nappe pendant quelques minutes, muette.
- Et si moi je mourirais j'irais au paradis maman ? Même si je pense pas à papa tous les jours ?
- Mais bien sûr ma chérie ! Pourquoi tu dis ça ? Les petits anges comme toi vont tous au paradis et puis tu ne mourras pas, quelle idée ! me suis-je exclamée en me levant pour la prendre dans mes bras. Tu sais… ce n'est pas parce que tu ne penses pas à lui que c'est un péché. Moi je n'y pense pas tout le temps non plus. On vit, parce qu'il faut bien vivre. On ne peut pas toujours être dans le passé.
- Mais mamie Suzanne a dit que je devais penser à mon papa tous les jours, comme elle.
- Ne t'inquiète pas ma chérie, même si tu ne le fais pas ce n'est pas grave. Tu es jeune, tu as le droit de vivre, toi. Et puis papa est dans ton cœur et il sera toujours là, pas vrai ?
Nous nous sommes serrées l'une contre l'autre puis j'ai lancé « C'est pas l'heure de notre promenade ? Vite, vite, on va être en retard… » et nous avons couru mettre nos chaussures en riant. Il faisait beau, c'était le début de l'été.
oOo oOo oOo
Une semaine plus tard en rentrant du marché j'ai reçu un coup de fil du Ministère m'avertissant que des corps avaient été découverts dans le désert, non loin du lieu de l'enlèvement de mon mari et de ses hommes, et qu'une expertise était en cours pour déterminer leur identité. Bien que la voix au téléphone se soit montrée aussi rassurante et prudente que possible j'ai senti mon sang se retirer de mon corps et j'ai dû m'asseoir, les jambes coupées.
Je vivais dans une telle routine quotidienne que j'avais relégué très loin, aux confins de ma pensée, l'éventualité de la mort de Guillaume. Il était momentanément absent, c'était la version à laquelle je m'étais toujours raccrochée, presque désespérément. Soudain la réalité faisait une apparition brutale, réveillant toutes mes craintes bien enfouies et je me suis mise à trembler et à bafouiller, tout en sachant que la voix un peu lointaine ne répondrait pas à mes angoisses mais je n'avais personne avec qui parler, à ce moment-là.
Je ne parvenais pas à raccrocher même après qu'elle m'eut dit plusieurs fois « Je dois vous laisser, j'ai d'autres familles à avertir ». « Attendez ! Vous me préviendrez, hein ? Dès que vous saurez ? » « Bien sûr madame » a-t-elle répondu d'une voix désolée et j'ai eu honte, bêtement. Je suis restée un long moment abasourdie sur ma chaise dans la cuisine, le cerveau vide. J'avais beau me répéter « Il n'y a pas de preuve que ce soit lui, pour l'instant », je n'arrivais pas à être tout à fait rassurée. Tout était en place, comme d'habitude, ma cuisine bien rangée, la radio chantant des airs joyeux et même un petit rayon de soleil, pourtant tout me semblait différent, étranger.
« C'est pas vrai, c'est pas possible » me suis-je dit au bout d'un moment en attrapant mon balai pour m'occuper les mains et l'esprit. « C'est une grossière erreur, le Ministère va me rappeler, c'est sûr » me répétai-je comme un mantra pour me rassurer – il ne pouvait rien se passer par un aussi beau jour. Impossible.
Tout à l'heure Clara sortirait de l'école, nous mangerions des pâtes au saumon puis dans l'après-midi on irait faire un tour au parc, tout était bien, normal. Il suffisait de ne plus y penser, d'oublier ce coup de fil pour continuer à vivre comme avant. A vivre, tout simplement.
C'est quand la radio a annoncé que les corps des soldats français avaient probablement été retrouvés que je me suis mise à crier, seule dans ma cuisine. « Non ! non ! non ! » ai-je répété, prise d'une angoisse subite, irrépressible. Comment osaient-ils affirmer ça, comment le savaient-ils mieux que moi ? J'ai soudain su qu'il n'y avait plus d'espoir, ça s'est imposé comme une certitude, une cruelle conviction. Ma vie de femme mariée s'arrêtait là, tout était perdu, j'étais foutue cette fois, abandonnée. Je ne pouvais m'arrêter de trembler et gémir, le balai encore à la main.
Dans une réaction de fuite idiote j'ai tout lâché et je me suis mise à courir dehors, affolée, cherchant je ne sais quoi, je ne sais où. Je ne réfléchissais plus, je voulais juste fuir, foutre le camp, n'importe où. J'étais dehors en chaussons et en petite robe, regardant tout autour de moi, paumée. Je crois qu'un instant j'ai pensé à le rejoindre, à mourir aussi mais il y avait Clara, qui sortait de l'école dans deux heures.
Les cloches de l'église ont sonné 10 heures et je me suis réfugiée à l'intérieur sans y penser vraiment, rejoignant le banc du 5ème rang par habitude, cherchant les premiers mots d'une prière comme une bouée de sauvetage. Mais les premiers mots « Notre Père qui es aux cieux » me firent irrésistiblement repenser à la réflexion de ma fille et donc à la mort de Guillaume et je me mis à sangloter de plus belle, recroquevillée sur moi.
Les minutes passaient et je ne parvenais pas à m'apaiser, toute la peur et la rancœur retenues trop longtemps s'échappaient maintenant sous forme de sanglots bruyants, irrépressibles. Cette fois j'étais seule et veuve, je ne le verrais plus jamais et toutes les photos que j'avais gardées pour lui devenaient inutiles, grotesques. Cette pensée m'était particulièrement insupportable, j'avais l'impression de m'être fait avoir, sans raison objective. Je n'avais plus de mouchoirs, mes yeux et mon nez coulaient, je m'en fichais. J'avais envie de rester là, dans cette église gelée, et de ne plus bouger jusqu'à la fin de ma vie, car plus rien n'avait de sens. Rien.
Un bruit dans mon dos ne m'a pas fait bouger, je me disais que l'importun partirait en me voyant. En fait je me fichais de tout, même de l'opinion qu'on pourrait avoir de moi. En sentant une légère pression sur mon épaule j'ai sursauté et je me suis retournée, effrayée, prête à fuir.
- Ça ne va pas ? Vous ne vous sentez pas bien ? m'a demandé le prêtre en me regardant avec bonté –il était parfaitement dans son rôle, j'imagine.
- Non, mais ça ne fait rien, je vais partir. Je suis désolée, ai-je murmuré en tentant de cacher mes larmes derrière mon bras.
- Vous pouvez rester vous savez, vous êtes chez vous.
Je l'ai fixé à travers mes paupières gonflées, me demandant s'il se fichait de moi. Non, je n'étais pas chez moi, je ne serais jamais chez moi ici, dans la maison de ce Dieu injuste qui m'avait pris mon mari. Bien sûr, je n'avais pas de raison d'y venir dans ce cas-là mais je ne raisonnais plus, plus vraiment. J'ai fait mine de partir et il m'a retenue doucement par le bras :
- Vous voulez qu'on parle un peu ?
« Non, non merci. Ça va aller. Ce n'est rien. Je vais rentrer… » ai-je dit en cherchant la sortie des yeux – je n'avais pas envie de parler, pas de ça, pas à lui. Si c'était pour entendre des bondieuseries ou des platitudes, ça n'avait pas de sens. Je le détestais, lui et son air compatissant, je détestais cette église, ses faux semblants et ses promesses non tenues.
Autant rentrer chez moi et m'abrutir de médicaments, autant aller au Diable.
- Qu'est-ce qui vous arrive ? C'est au sujet de Guillaume ? a-t-il repris plus doucement en se penchant vers moi et d'entendre soudain le prénom de mon mari a redoublé mes pleurs, malgré moi.
Je crois que j'ai hoché la tête, le cœur déchiré par une douleur intense, presque intolérable puis il m'a entouré de ses bras, en silence, me laissant pleurer contre sa soutane un peu rêche. Je savais que c'était pure compassion chrétienne mais je me suis laissée faire, j'avais besoin de m'appuyer contre une épaule, une épaule solide, même si Dieu ne pouvait plus rien pour moi. Nous sommes restés quelques instants immobiles, avant que je ne me ressaisisse en me disant que j'étais juste ridicule, pitoyable. Ses yeux bruns ne me quittaient pas et me fixaient avec cette bonté infinie un peu crispante, quand on a la rage au cœur, alors je me suis reculée : « Je suis désolée, pardon. »
- Ne le soyez pas. Surtout pas. Le Seigneur est avec nous, dans chaque épreuve. C'est bien au sujet de Guillaume, alors ?
- Oui. Ils ont retrouvé des corps dans le désert, sans doute ceux de ses hommes- et le sien, ai-je dit avec réticence.
Un bref instant j'ai lu de l'effroi dans ses yeux et ça m'a fait du bien, il était donc humain. Un peu.
- Je suis désolé. Je suis de tout cœur dans cette épreuve, sachez-le. Venez, ne restez pas là, venez avec moi.
- Moi ? Où ça ?
- A la sacristie, nous serons mieux.
- Mais je dois rentrer et…
« Venez » a-t-il répété doucement mais fermement, et je l'ai suivi. Il faisait un peu plus chaud dans la petite pièce surchargée d'objets divers, je crois que je me suis écroulée sur une vieille chaise, lessivée par l'émotion. Je m'attendais à un long sermon mais il a été nous chercher deux tasses de café et il s'est assis en face de moi, l'air grave. Le café était tiède et un peu amer, je n'ai pas osé réclamer du sucre.
- Vous êtes sûre qu'il s'agit bien de lui ?
- Comment ? Oh… je ne sais plus, en fait. Le ministère n'était pas sûr mais à la radio ils ont dit que c'était lui et ses hommes, alors…
- Je vois. Je comprends. Tout n'est pas perdu, il ne faut pas vous désespérer, il faut croire et espérer. Espérer toujours.
- Mais s'il est mort… ai-je hoqueté sans plus le regarder. S'il est vraiment mort ?
- Alors il faut prier pour lui, comme pour tous ceux qui sont décédés, même si ça nous parait injuste. Il faut prier le Seigneur de les attirer toujours plus dans sa Lumière, sa Paix, sa Joie et sa Vie, afin qu'ils puissent goûter pleinement le bonheur pour lequel ils ont été créés. Tout ne se termine pas avec la mort. Lorsque notre vie naturelle sera épuisée et que nous aurons rendu le dernier souffle, nous nous éveillerons à une autre vie, non plus naturelle et mortelle, mais à la vie même de Dieu -immortelle- si du moins nous l'acceptons. Et comme Dieu ne fait pas les choses à moitié, c'est avec tout notre être - corps, âme et esprit- que nous vivrons éternellement, vous savez.
Il a continué à me parler et sa voix sourde et basse agissait sur moi comme un baume, un onguent un peu entêtant qui anesthésierait la douleur, même si je n'étais pas totalement convaincue. Du moins ne pleurais-je plus, j'acquiesçais de loin en loin, l'esprit ailleurs. Lui ne se départait pas de son calme et son sourire bienveillant, je crois que je l'admirais un peu pour ça, comme on admire un bon comédien.
- Vous venez souvent dans cette église, alors continuez à venir régulièrement, c'est important. Ne laissez pas la révolte ou la tristesse vous abattre, Marie.
- Vous m'avez vue ? Je croyais qu'il n'y avait personne.
- Si, je suis là, parfois. Mais je sentais que vous souhaitiez rester seule alors je ne suis pas venu vers vous. Mais si vous souhaitez me parler n'hésitez pas. Si la porte de la sacristie est entrouverte c'est que je suis là, et disponible.
J'ai hoché la tête, un peu surprise. En effet sa présence m'aurait fait fuir, il était plus psychologue que je ne le pensais, finalement.
- Je croyais que vous aviez des activités, le matin.
- J'en ai, oui, mais en ce moment je suis souvent là, je n'ai plus personne pour me faire le ménage et assurer le secrétariat, le diocèse m'a promis quelqu'un mais je devrai attendre septembre et me débrouiller tout seul pour l'instant, a-t-il soufflé en grimaçant brièvement, ce qui m'a fait sourire.
La pièce était en effet un peu poussiéreuse et en désordre, des aubes et des soutanes trainaient sur des chaises et des fleurs fanées pourrissaient dans un coin, laissant flotter une odeur de cimetière.
- Je dois aussi m'occuper des trois paroisses des environs, je n'arrête pas de courir. C'est une expression, bien sûr, même si souvent le matin j'enfile mes baskets pour faire un peu de jogging, au lever du soleil ou avant.
- Ah oui, vraiment ?
- Oui, vraiment, a-t-il conclu par un petit haussement d'épaules. Ca fait du bien, parfois.
Je me suis retenue de lui demander s'il courait en soutane, c'était si idiot comme question que j'ai pensé que je perdais la raison. Difficile de l'imaginer en short et basket, transpirant et soufflant comme n'importe quel jogger, pourtant il n'était qu'un homme, évidemment.
- Vous avez quelqu'un pour vous soutenir ? a-t-il repris plus gravement- il était redevenu le prêtre et moi la brebis égarée.
- Non, pas vraiment. Mais je m'en sors, rassurez-vous. Mes beaux-parents ne sont pas très loin et j'ai une amie qui vient parfois le weekend. Je vais me chercher un petit boulot quand Clara sera à l'école l'après-midi à la rentrée, j'en ai assez de rester à la maison à tourner en rond. Vous comprenez ?
- Oh oui ! Comme vous avez raison… Rien de pire que de rester seule chez soi. Mais Clara a l'air d'aller bien, non ?
- Oui, très bien, heureusement. Elle est très joyeuse, très équilibrée. C'est toute ma vie, vous savez.
- Oui, je sais. Ca se voit. Elle est toujours très attentive à la messe, c'est extraordinaire. Ca fait plaisir de voir une telle ferveur chez une si petite fille. Vous pensez qu'elle voudra être enfant de chœur quand elle sera plus grande ?
- Comment ? Oh non, non je ne pense pas. Enfin, je ne sais pas, ai-je rajouté devant sa mine déçue.
- C'est bientôt l'heure de la sortie de l'école, non ? a-t-il demandé en regardant sa montre et en se levant.
- Déjà ? Oh mon Dieu, je n'ai pas vu le temps passer, il faut que j'y aille. Merci pour le café.
- Il n'était pas très bon, je le crains. Thérèse en faisait un bien meilleur, moi je ne sais pas très bien le doser.
Arrivés devant la porte, il a murmuré avec douceur : « N'hésitez pas à revenir, si ça ne va pas. Il y a des groupes de prière les mardis et jeudis soirs, aussi… »
- Merci mon Père, je vais y penser, ai-je murmuré en baissant les yeux devant son regard profond. Merci pour tout.
Il a hoché la tête d'un air compréhensif et je suis rentrée chez moi me passer de l'eau froide sur le visage et mettre des chaussures avant d'aller chercher la petite à l'école. Je me sentais mieux, je voyais les choses un peu différemment. J'ai avalé un calmant avant de ressortir, juste au cas où, et j'ai enfilé un gilet.
En chemin j'ai décidé de ne rien lui dire, elle était trop petite pour comprendre. Mieux valait attendre d'avoir des certitudes, quelles qu'elles soient. La conversation avec le prêtre ne me quittait pas et quand nous sommes rentrées je suis repassée à la sacristie, sur une inspiration. J'ai sonné, il a ouvert, surpris, une serviette autour du cou. Visiblement il était en train de manger et je tombais mal mais il n'a rien dit, juste souri.
- Je… j'ai réfléchi, ai-je dit rapidement. Je veux bien m'occuper de votre ménage le matin, quand la petite est à l'école. Même si ça paie pas beaucoup. Je n'ai pas besoin d'argent –j'ai encore la paie de Guillaume- j'ai surtout besoin de m'occuper.
- ?
- Enfin, en attendant que vous trouviez quelqu'un d'autre, bien sûr.
- Vous êtes sûre ? C'est assez ingrat vous savez et je n'ai pas beaucoup de moyens.
- C'est pas grave.
- Et puis ce n'est que deux fois par semaine, les mardis et jeudis.
- Parfait.
Je voyais bien qu'il cherchait d'autres arguments pour me dissuader mais j'étais bien décidée, sans savoir pourquoi. Nos regards s'affrontaient alors que Clara me tirait par le bras « Maman, on rentre ? », il a haussé les épaules :
- D'accord. Pourquoi pas ?
- J'ai besoin de faire quelque chose. Et tant mieux si c'est un acte charitable, ai-je menti sans baisser les yeux et il a acquiescé sans conviction.
- Maman, j'ai faim ! est intervenue Clara en tirant un peu plus fort sur mon bras.
- Oui, on y va chérie. A jeudi alors ?
- D'accord. A jeudi, a-t-il en refermant sa porte un peu rapidement.
Clara et moi sommes reparties, le soleil brillait au-dessus des arbres.
A suivre...
Ah bon ? qu'est-ce qui te fait croire ça ? ;) merci de suivre mon histoire...
· Il y a environ 8 ans ·Nathalie Bleger
Une idée comme ça.... que j'ai dans la tête depuis le début de ton histoire.
· Il y a environ 8 ans ·Louve
T'as peut-être bien raison ;)
· Il y a environ 8 ans ·Nathalie Bleger
Je suis certaine que le petit curé va bientôt la consoler beaucoup mieux encore...
· Il y a environ 8 ans ·Louve