Dis seulement une parole 9

Nathalie Bleger

Guillaume a dit "Au revoir, mon Père" au jeune prêtre et j'ai juste balbutié "Au revoir". J'avais déjà un père, ce n'était pas lui. Récit.

Clara suçait son pouce sur le canapé en regardant ses dessins animés, encore en pyjama, et moi je m'attaquais à mon repassage du samedi matin quand j'ai ressenti un coup au cœur en sortant un caleçon de mon panier à linge. C'était idiot, je savais très bien pour qui et pour quoi je faisais ce repassage – pour de l'argent - mais soudain me retrouver devant du linge d'homme me fit me rappeler tout ce que j'avais perdu. Mon mari, mon mariage, ma vie de femme. Alors que Maya l'abeille voletait gaiement avec ses amis sur l'écran j'essuyai en douce quelques larmes stupides en reniflant le plus discrètement possible.

- Tu pleures maman ? fit Clara en sautant sur ses pieds et en lâchant son doudou.

- Mais non ma chérie, c'est de l'allergie qui me fait couler les yeux, ça doit être à cause du printemps. Je vais fermer la fenêtre, ça ira mieux.

- C'est quoi la lergie ? me demanda-t-elle avec intérêt alors que j'essayais de respirer et me calmer.

- C'est quand on ne supporte pas quelque chose, ça pique les yeux et ça fait éternuer.

- C'est quoi que tu supportes pas, maman ? Le repassage ?

- Oui, ça doit être ça, mais je n'ai pas le choix tu sais, il faut le faire.

Elle acquiesça d'un air entendu puis vint trottiner vers le panier à linge :

- Pourtant ça sent bon, mes habits. Oh ! C'est à qui cette chemise, maman ? A papa ?

- Non chérie, c'est au curé.

- Tu laves les habits du curé ? fit-elle en ouvrant de grands yeux.

- Oui, depuis peu. Il me paie pour ça tu sais.

- Ah bon ? Mais pourquoi il peut pas le faire tout seul ?

- Oh, parce qu'il n'a pas le temps tu sais, il est très occupé. Tu veux manger quoi à midi ?

- Mac do ! sautilla-t-elle en battant des mains.

- Encore ? Mais on y a déjà été mercredi !

- Oui, je sais mais j'aime trop.

- C'est pas très bon pour toi de manger trop de frites. Si on faisait plutôt du poulet ?

- Avec des frites ?

- Non bichette. Avec de la purée, OK ? Et des haricots verts. Un peu.

- J'aime pas les z'haricots…

- Oui mais c'est excellent pour la santé. Bon, si tu allais t'habiller, bichette, il est 10 heures et tu es encore en pyjama.

- Après la fin de Maya l'abeille. Tu pleures plus ?

-Ben non, tu vois, c'est passé, fis-je en souriant.

Discuter avec elle m'avait fait passer le cap difficile, à présent je repassais les habits masculins sans même y penser, concentrée sur mon futur repas de midi. J'avais acheté un poulet la veille au marché et il me restait des haricots du jardin, avec un peu de crème elle finirait bien par les manger. Clara s'installa à nouveau sur le canapé avec son doudou et son pouce dans la bouche, puis me fixa d'un air interrogatif :

- Ca prend tant de temps que ça de faire la messe ?

- Comment ? Oh non, je ne pense pas. Mais il est très occupé par plein de choses, comme les mariages, les enterrements, les baptêmes, aller visiter les gens vieux et malades, etc… et puis les hommes n'aiment pas repasser, c'est bien connu.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Bonne question. C'est comme ça, il y a des choses que les hommes font, comme aller au travail, s'occuper de la voiture et d'autres choses que les femmes font, comme le ménage et le repassage, c'est comme ça.

- Mais toi tu fais tout, non ?

- Ben oui, bien obligée, comme je suis toute seule. Mais si ton papa était là il y a des choses que je ne ferais pas, c'est sûr, ai-je menti avec aplomb.

Elle opina d'un air grave, visiblement en pleine réflexion. Je me grattai la tête en me demandant où j'allais ranger les chemises et le pantalon, en attendant. Ca m'ennuyait de les mettre à côté de ceux de Guillaume, pour une raison que j'ignorais. Sans doute une forme de superstition un peu idiote. Depuis sa disparition je devenais irrationnelle, ça m'énervait mais j'avais du mal à lutter, je voyais des signes du destin partout, des signes qui me disaient qu'il n'était pas mort.

- Et quand il reviendra tu ne repasseras plus les habits du curé, dis ?

- Non, bien sûr que non, ai-je répondu sans réfléchir, surprise moi-même de ma réponse.

- Et il revient quand, papa ?

- Je ne sais pas, bichette, personne ne le sait. Il faut attendre et espérer.

- Même pas Dieu ?

- Comment ça ?

- Même Dieu il sait pas quand papa rentrera ?

- Ah ça, je ne peux pas te le dire ! Enfin, je suppose que si, lui il doit le savoir, dis-je en soulevant mon panier de linge bien repassé pour le ranger.

- Pourquoi tu demandes pas au curé, alors ?

- Mais parce qu'il ne le sait pas, pardi ! Quelle drôle d'idée…

- Si, la maitresse elle a dit que le curé parle à Dieu.

- D'accord, il lui parle mais Dieu ne répond pas, il ne répond à personne tu sais.

- Ah bon ? Et personne ne l'a rencontré, jamais ?

- Non, jamais.

- Mais comment on sait qu'il existe alors ?

- Mais on n'en sait rien justement. On suppose qu'il existe, mais personne n'en est sûr, puisque personne ne l'a jamais vu. Bon, je vais mettre tout ça dans la chambre, à mon retour tu t'habilles, OK ?

Elle ne répondit pas, perdue dans ses pensées. J'avais peut-être eu tort d'être aussi franche mais je ne voulais surtout pas qu'elle se fasse des illusions, qu'elle imagine que Dieu puisse répondre à ses questions, en direct ou non. Arrivée dans ma chambre je suis restée quelques minutes perplexe devant mon armoire puis je me suis résolue à ranger les vêtements masculins dans un coin, loin de ceux de Guillaume. Puis j'ai bien vite refermé la porte et je me suis préparée à aller à la boulangerie.

Arrivée là je me suis mise à la file, c'était jour d'affluence et j'ai regretté de ne pas avoir fait des réserves au supermarché, réflexion que je me faisais chaque samedi, mais je mettais un point d'honneur à fréquenter les petits magasins locaux, pour voir et être vue, prouver que tout allait bien, malgré mon malheur –réel ou supposé.

Ce matin il me sembla que plusieurs personnes murmuraient en me regardant, ce que je mis sur le compte de ma paranoïa. Il n'y avait pas eu d'article récent dans le journal concernant mon mari, et pas de reportage à la télé non plus, donc il n'y avait aucune raison pour qu'ils s'intéressent à moi.

C'est en sortant de la pharmacie que j'ai compris, en croisant Mme Lemaire qui discutait avec deux vieilles pies, comme elle. A coup sûr elle racontait qu'elle m'avait vue dans la maison du curé, l'histoire ne tarderait pas à faire le tour du village, comme de bien entendu. Amplifiée et déformée, comme il fallait s'y attendre. Un peu agacée je me demandai si je devais en parler au curé –pour qu'il fasse quoi ? une annonce en chaire ? – puis je décidai de prendre le taureau par les cornes et allai directement saluer Mme Lemaire et ses amies, dont j'ignorais le nom.

- Bonjour Madame Lemaire, belle journée n'est-ce pas, ça sent déjà l'été, vous ne trouvez pas ? fis-je en m'arrêtant près d'elle.

- En effet, oui, fit-elle en reculant d'un pas.

- Ça fait du bien, ce soleil. Et puis ça fait plaisir de sortir quand on est enfermée toute la journée. Je suppose que vous avez compris que j'ai un nouveau job ?

- Un nouveau quoi ? demanda-t-elle, la bouche en cul de poule.

- Une activité. Je nettoie la sacristie et le presbytère, après l'arrêt de cette pauvre Thérèse. Il faut bien aider la communauté, pas vrai ?

- Vous ? C'est vous qui faites ça ? articula-t-elle en regardant ses amies d'un air effaré.

- Eh oui, c'est moi. J'habite en face, c'est plus pratique.

- Je ne comprends pas pourquoi il vous a demandé ça à vous, reprit-elle avec réprobation.

Je décidai de garder mon calme malgré tout, et lui répondis en souriant –jaune :

- Allez savoir. Par grandeur d'âme, pour m'aider dans mon malheur, ou alors parce que je suis jeune, et c'est plus facile de frotter à 30 ans qu'à 60, pas vrai Madame Lemaire ? Je vous souhaite une excellente journée !

Elle avait encore la bouche ouverte de surprise que j'étais déjà à plusieurs pas de là, à me demander si j'avais fait le bon choix. Je sentais leurs yeux sur ma nuque et je m'appliquai à redresser les épaules, faussement sûre de moi. En passant près de l'église je faillis y entrer mais renonçai, que dire et comment ? Tout cela n'avait pas de sens, je devais m'en moquer et continuer mon petit bonhomme de chemin, j'avais ma conscience pour moi, Dieu le savait bien.

Arrivée à la maison je vis Clara sur sa balançoire, qui chantait à tue-tête, ce qui me fit sourire. L'après-midi elle était invitée à un anniversaire, tout allait bien, donc. Je rentrai dans la cuisine quand le téléphone se mit à sonner, me serrant le cœur.

- Allo ?

- Marie ? Bonjour, c'est Suzanne, vous allez bien ? Vous étiez sortie ? J'ai essayé d'appeler tout à l'heure, ça ne répondait pas.

- Oui, j'étais sortie, ai-je répondu d'un ton morne –me gardant bien de donner des précisions.

- Vous n'étiez pas encore chez ce curé, n'est-ce pas ? Pas le samedi ?

- Non, j'étais à la boulangerie. Qu'est-ce qui se passe ?

- Rien, j'appelais pour prendre des nouvelles de ma petite fille, on ne la voit pas beaucoup en ce moment.

- Elle va bien, merci. Elle est sur la balançoire en ce moment, et elle est invitée à un anniversaire cet après-midi.

- Ah oui ? Qui ça ?

- Sa copine Morgane, pourquoi ?

- Pour savoir. Nous aimerions vous inviter à déjeuner demain midi, j'ai acheté un beau rôti.

J'ai soupiré, un peu désespérée, prise entre mon envie de liberté et la nécessité pour Clara de voir ses grands-parents.

- Ça pose un problème, Marie, vous avez déjà prévu quelque chose ? a-t-elle interrogé avec suspicion, à mon grand agacement.

- Non non, j'avais moi aussi acheté de la viande mais je la congèlerai, pas de souci, ai-je consenti le cœur lourd.

- Ce serait bien que vous veniez plus tôt, pour la messe.

- En général nous allons à la messe ici.

- Oui, mais le temps que vous veniez il sera tard, et puis vous pouvez vous passer de votre curé, j'imagine ? lança-t-elle avec mauvaiseté et je me crispai autour du combiné.

- Très drôle, Suzanne. Je vous rassure, quand je fais le ménage je ne le vois jamais, il est toujours à l'extérieur. OK pour demain midi, j'apporterai un gâteau, ai-je répliqué avant de raccrocher sans lui laisser le temps de refuser.

On a les vengeances qu'on peut.

oOo oOo oOo

Une nouvelle routine s'installa à partir de cette semaine-là, agréable quoique légèrement ennuyeuse. Si l'annonce de mon nouveau métier fit un peu de remous dans le Landerneau local ils s'apaisèrent très vite, et bientôt plus personne ne chuchota à mon arrivée, à la boulangerie.

Il faut dire que je ne prêtais le flanc à aucun commérage, ne changeant aucune de mes habitudes et ne croisant presque jamais le curé. Parfois je l'apercevais ici ou là, il me saluait d'un signe de tête un peu sec, restant toujours sur son quant à soi, très droit dans son col dur. Moi je m'étais habituée à son linge et à son absence de reconnaissance, quoique je fasse – vitres, bouquet de fleurs du jardin ou même part de gâteau au chocolat - je suppose qu'il devait avoir l'habitude de ce genre de don en nature, peut-être en faisait-il profiter les pauvres qu'il accueillait de temps en temps chez lui, et que je fuyais comme la peste.

C'est donc avec surprise que je le trouvai chez lui début août, encore au lit. Dès l'entrée dans la maison j'avais trouvé étrange que les volets soient toujours fermés, j'avais donc fait un tour des pièces – toutes en désordre, ce qui était inhabituel - et m'étais retrouvée interdite au seuil de sa chambre, étonnée de le voir dormir encore en ronflotant. Tout d'abord j'avais pensé à le réveiller, c'était sans doute une panne d'oreiller puis j'avais avisé des médicaments sur la table de nuit, dans un rayon de lumière passant à travers les volets en bois. Il devait être malade, j'avais donc fait demi-tour pour attaquer la cuisine, attendant tranquillement qu'il se réveille. Ça ne m'amusait pas particulièrement de jouer les garde-malades, surtout que j'espérais partir plus tôt pour passer acheter des fraises au marché –Clara en raffolait et avait dévoré toutes celles de mon jardin.

Je terminais de passer l'aspirateur sur le vieux tapis de la salle à manger quand il est apparu au seuil de l'escalier, en haut, extrêmement pâle – et en pyjama.

- J'avais oublié qu'on était vendredi, a-t-il maugréé en me voyant et en se grattant le cuir chevelu. Quel boucan cet aspirateur…

- Désolée, ai-je répliqué d'un ton aigre devant un tel accueil, je peux repartir si vous voulez. Juste le temps de le ranger. Je vous ai fait du café mais vous n'êtes pas obligé de le boire, bien sûr. Bon rétablissement.

- Excusez-moi, je… ce n'est pas contre vous, bien sûr. J'ai attrapé une espèce de truc, je suis complètement crevé et j'ai une fièvre de cheval.

- Vous avez vu un médecin ? ai-je demandé sèchement, pas trop prête à compatir.

- Non, c'est pas la peine, ça passera, a-t-il répondu sur le même ton sec en descendant l'escalier en grimaçant. J'ai besoin de rien.

- Ben voyons. Vous êtes bien un homme, et comme tous les hommes vous refusez systématiquement de vous soigner. C'est plus viril, c'est ça ?

Je ressentais une sorte de rage couver en moi, sans que je sache très bien pourquoi. En tout cas il ne m'impressionnait pas, avec son pyjama à carreaux. Pas de col dur sur les pyjamas, bien fait. Il grogna, mécontent, puis trébucha en haut des marches et se retint de justesse à la rampe. Je fis demi-tour alors que j'allais quitter la pièce :

- Vous feriez mieux de rester au lit et appeler le toubib, je suppose que vous avez la tête qui tourne ?

- Moui, un peu, grommela-t-il en se redressant avec raideur. Mais je ne veux pas rester au lit, je déteste ça. Je vais m'installer en bas, ça va finir par passer.

- Ou pas. Je vous aide ? ai-je fait en le regardant de travers.

- Non, non, merci, fit-il avec une espèce d'effroi. Je n'ai besoin de rien, à part un petit café. Si j'arrive jusqu'à la cuisine, a-t-il murmuré après avoir raté la dernière marche.

Je réprimai un sourire puis posai mes mains sur mes hanches, en bonne matrone :

- Et vous avez pris quelque chose ?

- Quoi ? répondit-il sur un ton « mêlez-vous de vos affaires ». Oui, de l'aspirine. Ça va passer.

- Ça m'étonnerait. Laissez-moi appeler le médecin, je ne veux pas vous retrouver raide mort dans votre cuisine, en revenant la semaine prochaine. Vous avez une mine abominable, on dirait un zombie. En plus je viens de la nettoyer…

- C'est pour moi que vous vous inquiétez ou pour la cuisine ?

- Pour la cuisine, bien sûr. Je ne suis pas payée pour m'occuper de vous, Mon Père, fis-je avec un petit sourire narquois.

Il me jeta un regard de biais et reprit sa route vers la cuisine en chancelant, encore plus pâle. Je crois qu'il aurait pu tomber que je ne l'aurais pas ramassé, tant son attitude me déplaisait. Pour qui se prenait-il, ce jeunot, avec ses grands airs ?

Il s'affaissa sur une chaise à table, je remarquai qu'il tremblait légèrement et sortis un bol pour lui verser un bon café chaud. Il marmonna un vague merci sans lever la tête. Je remarquai quand même qu'il avait les yeux plus clairs que ce que je croyais sans ses lunettes, ce qui renforçait le coté le côté poupin de son visage un peu rond, presque boudeur.

- Il faut manger quelque chose, vous avez autre chose que ce vieux pain rassis ? dis-je en fouillant dans la panière.

- Il reste des biscottes, je crois.

- Des biscottes ? On mange encore des biscottes, à notre époque ? dis-je en ouvrant le placard au-dessus de l'évier et en prenant le paquet.

- Vous savez où ça se trouve ? grimaça-t-il.

- Bien sûr, je vous rappelle que je fais le ménage chez vous, toutes les semaines, et je donne un petit coup de torchon dans les placards, à l'occasion. Enfin, je vois que c'est inutile puisque vous ne vous en rendez même pas compte…

Un coup de sonnette bref nous fit sursauter, je lui lançai en me dirigeant derechef vers la porte :

- J'y vais. Restez assis, ou vous allez vous écrouler.

-  Attendez ! Vous allez dire quoi ?

- Que vous êtes parti en voyage de noces ! Je vais dire que vous êtes souffrant, évidemment. Crétin… ai-je pensé en haussant les épaules.

Une vieille dame en robe mauve et cheveux assortis se tenait devant la porte, un parapluie sous le bras alors qu'il faisait un soleil éclatant :

- Je cherche l'abbé, j'avais rendez-vous avec lui à l'église à 10h, vous sauriez où il est, mademoiselle ?

-Madame, répondis-je sèchement en croyant reconnaître une comparse de Mme Lemaire. Il est souffrant, nous attendons le médecin. Appelez plus tard, s'il vous plait.

- Mais c'était pour un enterrement demain…

- Je vais prendre votre nom et je transmettrai le message, je pense qu'il vous rappellera, lui dis-je alors qu'elle se démanchait le cou pour voir à l'intérieur. Je ne peux pas vous faire entrer, il n'est pas habillé.

A sa tête je compris tout de suite que j'avais dit une connerie mais c'était trop tard, alors je décidai d'assumer :

- Il est alité et je crains qu'il ne soit contagieux, ça a l'air assez grave. Il vaudrait mieux que vous l'appeliez au téléphone cet après-midi, croyez-moi…

- Merci mademoiselle, bredouilla-t-elle en reculant.

- Madame. Au revoir.

Je refermai la porte dans un soupir et repartis dans la cuisine où il se beurrait une tartine, je recommençai à fouiller le placard :

- Vous n'avez pas de confiture ?

- Je n'aime pas la confiture, fit-il dans un grognement.

- Oh, quand je pense que je vous avais amené un pot de confiture de prunes que j'avais faite, dommage. Vous en avez fait quoi ? ai-je insisté tout en sachant que j'étais grossière.

- Je l'ai donné, comme tout ce qu'on m'offre, a-t-il soupiré douloureusement.

- D'accord. Bon, je vous laisse, j'ai du boulot en haut, et je vais commencer par aérer votre chambre.

- C'était qui ?

- Pardon ?

- A la porte ?

- Une vieille dame aux cheveux mauves, qui venait pour un enterrement, vous aviez rendez-vous avec elle à 10h, d'après ce que j'ai compris. Je lui ai dit de rappeler cet après-midi. Bon, je suis en retard, moi.

Sans attendre une quelconque réaction j'ai attrapé mon seau et j'ai gravi les marches rapidement, je n'avais plus de temps à perdre, surtout avec un tel malotru. J'allai directement dans sa chambre pour ouvrir grand les fenêtres, l'atmosphère était lourde, les draps roulés en boule et des boîtes de médicaments s'éventraient sur la table de nuit.

« Je parie qu'il a pris n'importe quoi » me dis-je en regardant les notices et les dates d'expiration. Bien évidemment l'aspirine datait d'avant guerre, rien que la boîte semblait tout droit sortie d'un film des années soixante, j'aurais même parié qu'elle appartenait au prêtre précédent. « Bah, avec une bonne prière il n'y paraîtra plus, » me suis-je dit avec cynisme en alignant les petites boites, mine de rien. Une sourde colère grondait en moi en raison de son absence totale de reconnaissance, désormais évidente. « Eh bien désormais je ne te laisserai plus rien, mon vieux » ai-je pensé en tirant sur les draps pour les remettre en place.

Une femme de ménage digne de ce nom les aurait changés mais j'avais décidé de ne plus jouer le jeu, j'étais fatiguée et en retard. Après un coup de balai humide j'ai décidé de foutre le camp, tant pis pour la chambre d'amis, j'avais déjà perdu assez de temps comme ça. J'ai attrapé le paquet de linge sale, redescendu les marches bruyamment pour ranger mon matériel d'un coup de pied désinvolte dans le placard avant de passer devant la cuisine, tête haute :

- J'y vais, je suis en retard. Au revoir.

Après avoir jeté un dernier coup d'œil pour vérifier que je n'avais rien oublié, j'allais sortir quand j'ai entendu un vague murmure émanant de la cuisine, peut-être un merci.

- Pardon ? ai-je dit en penchant la tête dans l'embrasure la porte, un brin ironique.

« Merci. Pour le café… » a-t-il murmuré en levant enfin les yeux vers moi et je me suis demandé s'il était timide ou juste con, puis j'ai haussé les épaules.

- Vérifiez quand même les dates des médicaments que vous prenez, ou le prochain enterrement ce sera le vôtre, Mon Père, ai-je lancé d'un ton léger avant de claquer la porte.

A suivre…

 

  • Ah la, la, ces deux-là, quand vont-ils se rendre compte ?

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Magnifique Barbra !

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci de suivre mon histoire, Louve ! Je suis contente que tu apprécies aussi les chansons :)

      · Il y a plus de 7 ans ·
      47864 100556540008068 2367900 n

      Nathalie Bleger

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